Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juin 2020, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... en première instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... B..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A..., ressortissant ivoirien né le 28 mars 1976, est entré en France le 27 février 2013, selon ses déclarations, afin de rejoindre sa compagne et leur enfant, née le 13 février 2013, de nationalité française. Il s'est ensuite séparé de sa compagne et a épousé, le 11 juillet 2015, une ressortissante française, dont il a eu un fils, le 20 octobre 2016. L'enfant est atteint d'un retard de développement en raison de sa naissance prématurée. En août 2017, M. A... a obtenu, en qualité de parent d'enfant français, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", délivrée, puis renouvelée une fois, par le préfet du Val-de-Marne. Le 24 juin 2019, il a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour auprès des services de la sous-préfecture du Havre. Par un arrêté du 6 novembre 2019, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande, au motif que la présence de l'intéressé sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné le pays de renvoi. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 29 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée ; / (...) ".
3. D'autre part, aux termes du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
4. Pour rejeter la demande de renouvellement de titre de séjour présentée par M. A... en qualité de parent d'enfant français, au motif que la présence de l'intéressé sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public, le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé sur la circonstance que celui-ci avait été condamné, le 23 novembre 2013, par le tribunal correctionnel de Paris, à cent heures de travaux d'intérêt général pour des faits de violences en état d'ivresse ayant entrainé une incapacité de travail inférieure à huit jours puis, le 13 août 2018, par le tribunal correctionnel de Créteil, à un an et six mois d'emprisonnement, dont dix avec sursis, assorti d'une mise à l'épreuve de deux ans, pour avoir commis, en état en récidive, le 11 août 2018, des violences aggravées en état d'ivresse sur sa concubine et les enfants de celle-ci, avec usage ou menace d'une arme.
5. Le préfet de la Seine-Maritime fait, par ailleurs, valoir, tant en appel qu'en première instance, que M. A... ne justifie pas avoir effectivement participé à l'entretien et à l'éduction de son fils, après sa séparation d'avec son épouse, en janvier 2017, et le dépôt par cette dernière d'une requête en divorce, le 27 août 2018.
6. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que, par une ordonnance de non-conciliation du 7 février 2019, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre a constaté l'exercice en commun de l'autorité parentale sur le fils de M. A..., a fixé la résidence de l'enfant au domicile de sa mère et a ordonné une enquête sociale. Par une ordonnance du 18 octobre 2019, le juge aux affaires familiales a fixé les droits de visite et d'hébergement de M. A..., à la demande de son épouse, aux fins de semaines paires et à la moitié des vacances scolaires, au motif, notamment, que l'enquête sociale avait fait apparaître qu'en dépit des violences ayant entraîné l'incarcération de ce dernier et de fragilités repérées chez la mère, chacun des deux parents offrait un " espace de vie sécurisant " pour l'enfant, décrit comme équilibré, en dépit du retard de développement dont il souffre, et que ce dernier manifestait beaucoup d'affection et d'attachement à l'égard de ses deux parents. Il ressort, par ailleurs, du jugement du 4 novembre 2019 par lequel le juge des enfants de ce même tribunal a, en raison des fragilités présentées par les deux parents, prononcé une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert au profit de l'enfant, que M. A... avait collaboré à la mesure judiciaire d'investigation éducative destinée à clarifier les relations familiales et à améliorer les conditions de développement de l'enfant et s'était montré à l'écoute des conseils prodigués dans ce cadre. Le juge des enfants a, en outre, constaté qu'au cours de l'audience, le fils de M. A... était principalement resté dans les bras de son père, avec lequel il avait montré une grande complicité. L'ensemble de ces éléments tend à mettre en évidence la réalité du lien affectif qui unit M. A... à son fils et l'intérêt pour ce dernier de conserver ce lien. Enfin, il ressort des pièces du dossier, d'une part, qu'après avoir achevé en septembre 2019 une formation de 434 heures dans le domaine des fibres optiques, M. A... s'est engagé, avec le statut d'auto-entrepreneur, dans une activité d'installation et d'entretien d'infrastructures téléphoniques et de fibres optiques et, d'autre part, qu'il s'est soumis avec régularité à un suivi dispensé dans un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie, alors, au demeurant, que le préfet de la Seine-Maritime ne fait état d'aucune condamnation ultérieure.
7. Dans ces conditions, l'arrêté du 6 novembre 2019 refusant de renouveler le titre de séjour de M. A... et lui faisant obligation de quitter le territoire français doit, conformément à ce qu'a estimé le tribunal administratif de Rouen, être tenu comme ayant porté atteinte à l'intérêt supérieur du fils de l'intéressé, en méconnaissance des stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, pour ce motif, le tribunal administratif de Rouen a prononcé l'annulation de cet arrêté.
8. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... devant la cour, sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. E... A... et à Me D....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
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No20DA00894