Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juin 2019, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. M'B... devant le tribunal administratif de Lille.
Il soutient que :
- les premiers juges ont retenu à tort que la décision refusant de faire bénéficier M. M'B... d'une mesure de régularisation de sa situation au regard du droit au séjour était entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
- c'est également à tort que les premiers juges ont estimé que les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au regard desquelles la situation de M. M'B... a été appréciée, ne s'appliquaient pas aux ressortissants algériens alors que l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ne prévoit pas un semblable régime d'admission exceptionnelle au séjour en faveur des jeunes majeurs précédemment pris en charge par l'aide sociale à l'enfance ;
- c'est aussi à tort que l'Etat a mis la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
- pour les motifs exposés dans les mémoires produits au nom de l'Etat en première instance, les autres moyens soulevés par M. M'B... devant le tribunal administratif de Lille ne sont pas fondés.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. M'B..., ressortissant algérien né le 3 juin 2000, est entré régulièrement en France le 27 juillet 2014, à l'âge de quatorze ans, en compagnie de sa mère, qui s'était vu délivrer un visa portant la mention " visiteur " afin de rendre visite à sa propre mère installée sur le territoire français. La mère de M. M'B... a sollicité, le 4 février 2015, la délivrance d'un certificat de résidence, mais sa demande a été rejetée par un arrêté du 3 novembre 2015 du préfet du Pas-de-Calais, lui faisant également obligation de quitter le territoire français. L'intéressée, qui a vainement contesté cet arrêté et s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français, a de nouveau fait l'objet, le 23 septembre 2016, d'une obligation de quitter le territoire français à laquelle elle a déféré au cours du mois d'octobre 2016, après avoir confié son fils à une amie. M. M'B... a alors été placé, par un jugement du 3 février 2017 du juge des enfants du tribunal de grande instance de Béthune, auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département du Pas-de-Calais. A sa majorité, M. M'B..., en se prévalant de sa situation de jeune majeur ayant bénéficié d'un accompagnement par l'aide sociale à l'enfance, a demandé la délivrance d'un premier titre de séjour. Par un arrêté du 7 septembre 2018, le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 15 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé, pour excès de pouvoir, cet arrêté, lui a fait injonction de délivrer à M. M'B... un certificat de résidence et a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. M'B... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
2. Pour annuler, par le jugement attaqué, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. M'B... et, par voie de conséquence, les autres décisions édictées par cet arrêté, le tribunal administratif de Lille a tout d'abord rappelé que les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui sont susceptibles de leur être délivrés. Le tribunal a ensuite relevé que les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au regard desquelles la situation de M. M'B... avait été examinée par l'autorité préfectorale, qui déterminent les conditions dans lesquelles un titre de séjour peut être délivré, dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, à un étranger âgé de dix-huit ans ayant été confié à l'aide sociale à l'enfance et justifiant suivre une formation qualifiante, étaient inapplicables aux ressortissants algériens. Les premiers juges ont ensuite rappelé que l'impossibilité de se référer à ces dispositions ne faisait toutefois pas obstacle à ce que l'autorité préfectorale apprécie, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, l'opportunité d'une mesure de régularisation en faveur d'un ressortissant algérien âgé de dix-huit ans et qui avait, au cours de sa minorité, été placé auprès du service de l'aide sociale à l'enfance. Ces principes étant posés, les premiers juges ont relevé que M. M'B... s'était, à compter de son admission, en 2017, en classe de seconde professionnelle au lycée Pasteur d'Hénin-Beaumont, investi dans sa formation, ainsi qu'il en était attesté par la conseillère principale d'éducation, ce qui lui avait permis de réaliser des progrès constants en dépit des difficultés liées à sa situation. Les premiers juges ont relevé, en outre, que M. M'B... était, à la date de l'arrêté contesté, inscrit en classe de première professionnelle dans le même établissement, au titre de l'année scolaire 2018/2019, afin de préparer les épreuves du baccalauréat professionnel de maintenance des équipements industriels. Enfin, ils ont estimé que l'intéressé, qui, bien intégré dans la société française, s'était montré respectueux de ses encadrants et des règles qui lui étaient fixées, disposait de l'essentiel de ses attaches affectives en France, constituées par le réseau amical tissé autour de sa compagne, une ressortissante française avec laquelle il entretient une relation depuis deux ans, ainsi que par quelques membres de sa famille, tels sa grand-mère maternelle ainsi que des oncles et une tante, quand bien même il avait conservé des contacts téléphoniques ponctuels avec sa mère installée en Algérie. Les premiers juges ont estimé, dans ces conditions, que le préfet du Pas-de-Calais, en refusant de faire usage, en faveur de M. M'B..., du pouvoir de régularisation qui lui est reconnu, avait entaché sa décision de refus de séjour d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé.
3. Ainsi que le souligne le préfet du Pas-de-Calais au soutien de sa requête, l'investissement scolaire de M. M'B... n'a pas été constant depuis son admission, en 2014, dans le système éducatif français, l'intéressé ayant obtenu des résultats très insuffisants durant ses années de collège, de la cinquième à la troisième, et les appréciations portées par plusieurs de ses enseignants ayant souligné un manque de travail personnel ainsi qu'un comportement dissipé, tandis que de nombreuses absences non justifiées ont été relevées par les autorités scolaires. Ce manque d'implication n'a ainsi pas permis à l'intéressé d'obtenir le diplôme national du brevet. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le comportement de M. M'B... a connu un changement sensible à partir de son admission en lycée, l'intéressé ayant alors fait montre, dans le cadre d'une filière professionnelle répondant mieux à ses attentes et à ses capacités, d'un comportement plus responsable et d'une implication notablement plus grande dans sa scolarité, ce dont les résultats qu'il a pu obtenir et les appréciations portées par ses enseignants et par la conseillère principale d'éducation témoignent, alors même que le niveau de l'intéressé en seconde est demeuré un peu juste dans certaines matières et que des absences injustifiées ont pu encore, mais en moins grand nombre, être relevées. Ces difficultés n'ont cependant pas fait obstacle à ce qu'il obtienne, au premier trimestre, la moyenne générale de 13,20/20 et à ce qu'il soit mis " à l'honneur " par le conseil de classe. En outre, s'il n'est pas contesté que la scolarité à finalité professionnelle que M. M'B... suit en France, pourrait être poursuivie en Algérie, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé doit être tenu comme ayant fixé sur le territoire français le centre de ses intérêts personnels, dans le cadre du cercle relationnel de sa compagne française, avec laquelle il avait noué une relation suivie depuis un peu plus de deux ans à la date de l'arrêté contesté, quand bien même les contacts téléphoniques qu'il a conservés avec sa mère demeurant en Algérie seraient plus fréquents et les liens avec celle-ci plus intenses que ce qu'ont relevé les premiers juges. Or, l'appréciation à laquelle l'autorité préfectorale doit se livrer afin d'apprécier l'opportunité de faire bénéficier un ressortissant algérien d'une mesure de régularisation de sa situation au regard du droit au séjour est nécessairement plus large que celle que cette autorité porterait sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, laquelle tient spécifiquement compte de l'intensité des attaches conservées par l'intéressé dans son pays d'origine, ces dispositions étant toutefois inapplicables aux ressortissants algériens dont la situation est régie exclusivement par les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Dans ces conditions, le préfet du Pas-de-Calais, en refusant de faire usage, en faveur de M. M'B..., de son pouvoir de régularisation, doit être tenu, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, comme ayant porté une appréciation manifestement erronée sur la situation de l'intéressé et comme ayant, en conséquence, entaché d'illégalité l'arrêté contesté.
4. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision de refus de séjour édictée par l'arrêté du 7 septembre 2018, ainsi que, par voie de conséquence, les autres décisions contenues dans cet acte, et lui a fait injonction de délivrer un certificat de résidence à M. M'B.... Les premiers juges ont également, à bon droit, regardé l'Etat comme étant la partie perdante, pour l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, et ont ainsi pu mettre à sa charge la somme de 1 000 euros sur le fondement de ces dispositions, au titre des frais de procédure exposés dans l'intérêt de M. M'B..., et dont l'avocate de ce dernier n'avait pas à justifier.
5. Enfin, M. M'B... ayant obtenu en appel le maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocate de M. M'B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante, une somme de 1 000 euros à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Pas-de-Calais est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me C..., avocate de M. M'B..., la somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. M'B... et à Me C....
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N°19DA01374