Par une requête, enregistrée le 7 mai 2018, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il n'a pas fait droit entièrement à sa demande de condamnation du département du Pas-de-Calais ;
2°) de condamner le département du Pas-de-Calais, d'une part, à lui verser une somme de 27 166,45 euros en réparation des préjudices résultant pour elle des travaux entrepris sur le territoire de la commune de Norrent-Fontes et, d'autre part, à lui rembourser les frais d'établissement des constats d'huissiers et de l'expertise technique réalisés à sa demande ;
3°) de mettre à la charge du département du Pas-de-Calais les dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Christophe Binand, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me B..., pour le département du Pas-de-Calais.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... relève appel du jugement du 8 mars 2018 du tribunal administratif de Lille, en tant que, par ce jugement, le tribunal n'a pas fait droit entièrement à ses conclusions tendant à être indemnisée du préjudice causé à l'immeuble dont elle est propriétaire, sur le territoire de la commune de Norrent-Fontes, par les travaux de voirie réalisés en 2013 sous la maîtrise d'ouvrage du département du Pas-de-Calais. Par la voie de l'appel incident, le département du Pas-de-Calais relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser la somme de 394,48 euros à Mme A... au titre de frais de constats d'huissier.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. Même en l'absence de faute, le maître de l'ouvrage est responsable vis-à-vis des riverains des voies publiques, qui ont la qualité de tiers, des dommages causés par l'exécution des travaux publics d'aménagement ou de réfection des voies publiques. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Les tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Toutefois, il leur appartient d'établir la réalité de leur préjudice ainsi que l'existence d'un lien de causalité entre ce préjudice et les travaux en cause.
3. Mme A... soutient que les travaux de voirie réalisés au droit de sa propriété sous la maîtrise d'ouvrage du département du Pas-de-Calais en 2013 sont à l'origine d'une dégradation du portail d'accès à sa propriété ainsi que du muret attenant, de l'apparition de fissures dans le revêtement de la cour intérieure ainsi que dans le mur de façade de son habitation et dans le carrelage de sa cuisine et, enfin, de la détérioration d'un mur et du bardage d'un hangar sur sa parcelle.
4. Il résulte de l'instruction que le démarrage du chantier en cause a été fixé au 29 avril 2013, soit un lundi et non un samedi contrairement à ce que prétend le département du Pas-de-Calais dans ses écritures. A la demande de la société en charge des travaux, un constat d'huissier a été dressé le vendredi 3 mai 2013, soit quatre jours ouvrés après le début du chantier. Ce constat, établi sans que l'huissier de justice ait eu accès à la propriété de Mme A..., fait état de fissures à la base des deux pilastres du portail d'accès qui est noté en mauvais état, d'une cour intérieure en enrobé à l'état d'usage, de fissures multiples et de pierres cassées sur le muret et le couvre-mur longeant la cour et de l'absence de désordres apparents sur la façade de l'habitation située en retrait de la cour. S'agissant du hangar en continuité, est constatée la présence d'un mur blanc sale et d'un bardage en mauvais état qui se désolidarise de sa base, elle-même corrodée. Un deuxième constat d'huissier, établi le 21 mai 2013 à la demande de Mme A..., relève que le bas du mur du hangar présente de nombreuses traces de terre et que le sol est maculé de boue provenant des travaux en cours. Un troisième constat, dressé le 3 juin 2013, toujours à la demande de l'appelante, fait une description des fissures des montants du portail et du couvre-mur correspondant à celle faite par le premier huissier, le 3 mai 2013, en relevant notamment la présence de nombreuses fissures et cassures dans les pierres. Ce constat fait également état de fissurations importantes du revêtement en enrobé de la cour, à la perpendiculaire de la chaussée, de fissurations dans le carrelage du plan de travail de la cuisine de Mme A... et de fissures dans le mur extérieur arrière donnant sur la cuisine. En outre, un rapport d'expertise, établi à la suite d'une réunion qui s'est tenue chez Mme A... le 18 septembre 2013 en présence de représentants du département du Pas-de-Calais, conclut à l'imputabilité du décollement du bardage supérieur du hangar à la corrosion, à la préexistence aux travaux des fissures et du décollement du couvre-mur du muret et des pilastres du portail, à l'absence de certitude sur les causes des fissures apparues dans l'enrobé de la cour et à l'imputabilité aux travaux des traces de projection situées sur la partie basse du mur du hangar. Enfin, un expert technique mandaté par la requérante conclut, dans son rapport du 22 novembre 2013, à l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les fissurations apparues dans l'enrobé de la cour de l'habitation de l'intéressée et les travaux de compactage effectués à l'occasion des travaux publics au droit de la propriété de Mme A... entre le 21 mai et le 3 juin 2013.
5. En premier lieu, ainsi que les premiers juges l'ont estimé à juste titre et en l'absence d'éléments nouveaux produits en cause d'appel, compte tenu des dégradations préexistantes qui ressortent des éléments exposés au point précédent, même si elles n'ont été constatées formellement que peu après le début du chantier, Mme A... n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, d'un lien de causalité direct et certain entre, d'une part, les désordres affectant les pilastres, le portail d'accès à son habitation, le muret longeant la cour de sa propriété ainsi que le bardage du hangar et, d'autre part, les travaux de voirie réalisés, sous la maîtrise d'ouvrage du département du Pas-de-Calais, au droit de sa propriété. Mme A... n'établit pas davantage que les désordres constatés dans sa cuisine et sur le mur extérieur de cette dernière seraient imputables à ces travaux dès lors que l'état antérieur de ces éléments n'est pas connu.
6. En deuxième lieu, l'expert intervenu au cours de la réunion contradictoire du 18 septembre 2013, relève que le revêtement en enrobé a été appliqué dans la cour intérieure sur un support béton, " ce qui est peu recommandé du fait de la grande différence d'élasticité entre ces deux matériaux ". Dans sa note technique du 22 novembre 2013, l'expert mandaté par Mme A... indique, pour sa part, que le revêtement de la cour repose sur une dalle de béton armé destinée à la desserte d'une ancienne station-service de carburant et retient que cette configuration a eu pour effet de transmettre les vibrations des engins de compactage à la dalle béton et, par voie de conséquence, a entraîné la fissuration de l'enrobé appliqué sur cette dalle en 2005. Il précise par ailleurs que " cette situation ne se produit pas dans le cas courant de la mise en place d'enrobés sur une fondation de chaussée habituellement réalisée en mélange ternaire ". Dans ces conditions, Mme A..., qui n'apporte aucun élément permettant d'apprécier l'intensité des vibrations qui ont pu accompagner les opérations de compactage menées au droit de sa propriété, n'établit pas que les fissurations de l'enrobé de la cour de son habitation trouveraient leur origine directe dans les travaux réalisés et non dans les propriétés techniques du support sur lequel est appliqué ce revêtement.
7. En troisième lieu, l'imputabilité de la salissure de la partie basse du mur extérieur du hangar aux travaux réalisés est établie par les éléments énoncés au point 4 et n'est d'ailleurs pas sérieusement contestée par le département du Pas-de-Calais qui se borne à faire valoir qu'il a été remédié à ce dommage, à la fin du chantier, par l'entreprise en charge des travaux. Par suite, c'est à bon droit, contrairement à ce que soutient le département, que les premiers juges ont estimé que la responsabilité du département du Pas-de-Calais était susceptible d'être engagée au titre de ce désordre.
En ce qui concerne les préjudices :
8. En premier lieu, il ressort du procès-verbal de la réunion d'expertise qui s'est tenue le 18 septembre 2013, que l'entreprise en charge des travaux s'est engagée à procéder au nettoyage du mur du hangar appartenant à Mme A.... La requérante n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations exposées très sommairement en cause d'appel, selon lesquelles ce nettoyage aurait été insuffisant pour remédier à ce désordre, alors d'ailleurs que l'état général de ce mur avait été qualifié de " sale " par l'huissier intervenu le 3 mai 2013. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à demander la condamnation du département à lui verser une somme de 2 700 euros en réparation de ce préjudice.
9. En second lieu, Mme A... n'a justifié ni devant les premiers juges, ni davantage en cause d'appel, avoir supporté des frais afférents à l'expertise technique réalisée en novembre 2013. Par suite, les conclusions de Mme A... tendant à la réparation de ce chef de préjudice, dont la réalité n'est pas établie, ne peuvent être que rejetées.
Sur l'appel incident :
10. Contrairement à ce que fait valoir le département du Pas-de-Calais, les constats d'huissier dressés à la demande de Mme A... permettent au juge d'apprécier tant les circonstances de l'espèce que le bien-fondé de son action en réparation, qui n'était pas dépourvue de chances de succès, alors d'ailleurs que l'imputabilité aux travaux des salissures constatées sur le mur du hangar a pu être établie grâce à ces constats d'huissier. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Lille a, dans les circonstances de l'espèce, mis la somme de 394,48 euros à la charge du département du Pas-de-Calais.
11. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille n'a fait droit à sa demande de condamnation du département du Pas-de Calais qu'à hauteur de la somme de 394,48 euros, d'autre part, que le département du Pas-de-Calais n'est pas fondé à demander la réformation, dans la mesure de la condamnation prononcée à son encontre, du jugement attaqué. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par Mme A... ne peuvent qu'être rejetées. Enfin il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département du Pas-de-Calais sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département du Pas-de-Calais sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au département du Pas-de-Calais.
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N°18DA00924