Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er octobre et 30 novembre 2020, sous le n° 20DA01539, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... en première instance.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leur famille et le protocole annexé du 22 décembre 1985 ;
- le code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... C..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes enregistrées sous le n° 20DA01539 et le n° 20DA01540 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
2. Mme A... B... épouse D..., ressortissante algérienne née le 25 janvier 1973, est entrée sur le territoire français, le 4 avril 2016, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour. Le 5 avril 2017, invoquant son état de santé, Mme D... a sollicité son admission au séjour sur le fondement des stipulations du 7. de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leur famille. Un certificat de résidence pour ressortissant algérien portant la mention " vie privée et familiale " lui a été délivré le 25 octobre 2017, puis a été renouvelé jusqu'au 8 juillet 2019. Le 29 mai 2019, Mme D... a de nouveau sollicité le renouvellement de ce titre de séjour. Par un jugement du 8 septembre 2020, le tribunal administratif de Rouen, d'une part, a annulé l'arrêté du 3 mars 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté la demande de Mme D... tendant au renouvellement de son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné, notamment, l'Algérie comme pays de renvoi, d'autre part, a enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à l'intéressée un titre de séjour, enfin, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance. Par deux requêtes distinctes, le préfet de la Seine-Maritime, d'une part, relève appel de ce jugement et, d'autre part, demande à la cour d'en prononcer le sursis à exécution.
Sur l'appel du préfet de la Seine-Maritime :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Rouen :
3. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) / 7. au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. / (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ".
4. Pour rejeter, par son arrêté du 3 mars 2020, la demande de Mme D... tendant au renouvellement du titre de séjour qui lui avait été délivré sur le fondement des stipulations du 7. de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé sur un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en date du 29 août 2019, qu'il a produit en première instance. Selon cet avis, si l'état de santé de l'intéressée nécessite un traitement médical dont le défaut pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, un tel traitement est disponible dans son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est atteinte d'une pathologie neurologique évolutive invalidante pour laquelle elle bénéficiait, à la date de cet arrêté, d'un suivi médical régulier et d'un traitement par injections régulières d'Ocrevus en milieu hospitalier, ainsi que par une prise quotidienne de Fampyra destinée, en association avec des soins de kinésithérapie, à ralentir les effets moteurs de cette pathologie. Selon les indications données par plusieurs pharmacies algériennes, en particulier une attestation rédigée par un pharmacien le 1er avril 2020, le médicament Fampyra n'est pas commercialisé en Algérie. Il en va de même de l'Engerix, vaccin contre l'hépatite B régulièrement administré à Mme D... en France en parallèle de son traitement. Toutefois, les pièces produites par cette dernière ne mentionnent ni une éventuelle indisponibilité en Algérie de l'Ocrevus ou du principe actif de ce produit pharmaceutique, ni celle de tout produit susceptible de lui procurer des effets équivalents à ceux du Fampyra, ni, enfin, celle d'un vaccin contre l'hépatite B susceptible de lui être administré. Les attestations rédigées par le neurologue qui la suit, insuffisamment circonstanciées, ne comportent en particulier aucune précision sur ces deux deniers points. Ainsi, les éléments dont se prévaut Mme D... ne permettent pas de contredire le sens de l'avis rendu le 29 août 2019 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, au vu duquel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de renouveler son titre de séjour, sur la disponibilité d'un traitement adapté à son état de santé dans son pays d'origine.
5. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... ne pourrait effectivement accéder dans son pays d'origine à la prise en charge médicale nécessaire à son état de santé, dès lors qu'elle se borne à affirmer, sans précision, que son lieu de résidence en Algérie se trouve dans un lieu reculé et à faire état, en termes généraux, de l'insuffisance de l'offre de soin dans ce pays.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que le préfet de la Seine-Maritime, en refusant, par son arrêté du 3 mars 2020, de renouveler le titre de séjour de Mme D..., n'a pas procédé à une application inexacte des stipulations précitées de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du 3 mars 2020.
7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens invoqués par Mme D... tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par Mme D... :
8. En premier lieu, l'arrêté contesté énonce de façon suffisamment précise, dans le respect du secret médical, les circonstances de droit et de fait sur lesquelles le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé pour rejeter la demande de Mme D... tendant au renouvellement de son titre de séjour, prononcer à son encontre une obligation de quitter le territoire français et désigner, notamment, l'Algérie comme pays de renoi. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet arrêté manque donc en fait.
9. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que cet arrêté serait intervenu sans avis préalable du collège de médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration manque également en fait dès lors que, comme il a été dit au point 3, le préfet de la Seine-Maritime a produit cet avis devant les premiers juges.
10. En troisième lieu, Mme D..., fait valoir qu'elle vit en France depuis 2016, où résident, dans des conditions régulières, ses trois frères et soeurs ainsi que ses neveux. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que son mari et son fils demeurent en Algérie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de quarante-trois ans. La requérante ne saurait, par ailleurs, utilement se prévaloir de ce qu'elle a présenté une demande en vue d'obtenir le bénéfice du regroupement familial au profit de son époux et de son fils, dès lors qu'il ne pourrait y être fait droit qu'à la condition préalable qu'elle dispose elle-même d'un titre de séjour. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, l'arrêté du 3 mars 2020 n'a pas porté au droit de Mme D... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été édicté. Il n'a ainsi méconnu ni les stipulations du 5. de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En quatrième lieu, la circonstance que les vols à destination de l'Algérie soient suspendus dans le cadre de la lutte contre la pandémie du covid-19, si elle fait obstacle à l'exécution de l'arrêté contesté, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'illégalité la décision de refus de titre de séjour prise à l'encontre de Mme D..., ni, en tant que telle, la décision par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a fait obligation à l'intéressée de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, ni, enfin, la décision désignant, comme pays de renvoi, le pays dont Mme D... a la nationalité, en cas d'exécution d'office de cette décision.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen, d'une part, a prnoncé l'annulation de son arrêté en date du 3 mars 2020, d'autre part, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme D... un certificat de résidence valable un an portant la mention " vie privée et familiale ", enfin, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 8 septembre 2020 :
13. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 8 septembre 2020, les conclusions de sa requête, enregistrée sous le n° 20DA01540, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement, sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les frais d'instance en lien avec le litige d'appel :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais exposés par Mme D... dans l'instance d'appel et non compris dans les dépens soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20DA01540 du préfet de la Seine-Maritime.
Article 2 : Le jugement n° 2001268 du 8 septembre 2020 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 3 : La demande de première instance de Mme D... et ses conclusions présentées en appel au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... B... épouse D....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
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Nos 20DA01539, 20DA01540