Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 octobre 2019 et le 11 février 2020, la SAS Alliance Elabores, représentée par la société d'avocats Fidal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de dégrèvement transitoire en litige et de prescrire la restitution, assortie des intérêts moratoires, des sommes versées par elle à ce titre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au titre des dépens de l'instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Alliance Elabores, aujourd'hui dénommée Gelaé, exerce une activité de fabrication de produits alimentaires. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, ainsi que sur l'ensemble des déclarations fiscales ou opérations susceptibles d'avoir un impact sur les impositions dues par elle au cours de cette période, étendue à la contribution économique territoriale de l'année 2012. Au terme de ce contrôle, l'administration a remis en cause les dégrèvements transitoires de contribution économique territoriale dont la SAS Alliance Elabores avait bénéficié au titre des années 2010, 2011 et 2012. Elle lui a fait connaître sa position sur ce point par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 4 décembre 2013. Les observations présentées par la SAS Alliance Elabores n'ayant pas amené l'administration à revoir son appréciation, les impositions supplémentaires résultant de ces rectifications, auxquelles se sont ajoutés des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2011 et 2012, ont été mis en recouvrement le 9 avril 2014 pour un montant de 139 181 euros. La SAS Alliance Elabores a présenté une réclamation le 27 décembre 2016. Celle-ci n'ayant donné lieu à aucune réponse dans le délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, la SAS Alliance Elabores a porté le litige devant le tribunal administratif de Rouen, conformément à l'article R. 199-1 du même livre, en lui demandant de la décharger du reversement d'un montant de 116 809 euros correspondant, en droits, frais d'assiette et intérêts de retard, au dégrèvement transitoire de contribution économique territoriale dont l'administration a remis en cause le bénéfice au titre des années 2010, 2011 et 2012. La SAS Alliance Elabores relève appel du jugement du 10 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, pour retenir que l'administration avait pu mettre à la charge de la SAS Alliance Elabores, par le moyen d'un avis de mise en recouvrement, le reversement du montant correspondant au dégrèvement transitoire de contribution économique territoriale dont le service avait remis en cause le bénéfice, le tribunal administratif n'avait pas besoin de se prononcer sur le point de savoir si l'émission, en ce qui concerne l'année 2010, d'un rôle supplémentaire après l'expiration du délai de reprise avait pu régulariser la procédure d'imposition, ce qui ne constituait d'ailleurs qu'un argument au soutien du moyen tiré de l'impossibilité pour l'administration de recouvrer régulièrement les impositions en litige par la voie d'un avis de mise en recouvrement. Ainsi, la critique de la SAS Alliance Elabores, selon laquelle les premiers juges auraient omis d'apporter une réponse à cet argument, ne peut qu'être écartée.
3. D'autre part, en estimant que la mention de la seule cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui n'est qu'une des composantes de la contribution économique territoriale, sur l'avis de mise en recouvrement résultait d'une erreur matérielle, les premiers juges ont porté une appréciation sur ce document, dont la régularité en la forme était contestée devant eux, ce qui leur incombait, dans le cadre de leur office, quelle que soit l'argumentation développée en défense par l'administration. Ainsi, et à supposer que la SAS Alliance Elabores entende soutenir que les premiers juges ont, ce faisant, soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public ou méconnu le principe du contradictoire, cette critique ne peut qu'être écartée.
4. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que la SAS Alliance Elabores n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularités de nature à en justifier l'annulation.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
5. Aux termes de l'article 1447-0 du code général des impôts, qui a été inséré à ce code par la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 : " Il est institué une contribution économique territoriale composée d'une cotisation foncière des entreprises et d'une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. ". Par les dispositions de l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts, qui sont issues de la même loi, le législateur a entendu instaurer un dispositif transitoire en vue de permettre aux contribuables subissant un accroissement significatif de leur imposition, au titre de l'année 2010, en conséquence de l'entrée en vigueur de la réforme de la taxe professionnelle désormais remplacée par la contribution économique territoriale, de bénéficier, au titre des années 2010 à 2013, sur demande de leur part, de dégrèvements dégressifs de cette contribution et de ses taxes annexes. Ces dispositions précisent que l'entreprise qui forme une demande de dégrèvement dans le délai légal de réclamation prévu pour la cotisation foncière des entreprises peut y prétendre lorsqu'elle remplit les conditions requises, c'est-à-dire lorsque la somme de la contribution économique territoriale, des taxes pour frais de chambres de commerce et d'industrie et pour frais de chambres de métiers et de l'artisanat et de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux due par l'entreprise au titre des années 2010 à 2013 est supérieure de 500 euros et de 10 % à la somme des cotisations de taxe professionnelle et des taxes pour frais de chambres de commerce et d'industrie et pour frais de chambres de métiers et de l'artisanat qui auraient été dues par elle au titre de l'année 2010, en application des précédentes dispositions du code général des impôts, à l'exception des coefficients forfaitaires déterminés en application de l'article 1518 bis qui sont, dans tous les cas, ceux fixés au titre de l'année 2010. L'article 1647 C quinquies B du code général des impôts précise également les modalités de calcul du dégrèvement dont peut bénéficier l'entreprise. Enfin, le même article prévoit, en un dernier alinéa, la possibilité, pour l'administration, d'obtenir de l'entreprise le reversement de toute somme indûment restituée au titre d'un dégrèvement infondé.
6. Il ne résulte d'aucune des dispositions de l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts que l'administration ne pourrait, à la suite d'une vérification de comptabilité lui ayant permis de constater une erreur dans la détermination des dégrèvements de contribution économique territoriale dont a bénéficié l'entreprise vérifiée, remettre en cause ces dégrèvements puis mettre en œuvre les voies de droit propres à lui permettre, dans le respect des garanties offertes par la loi au contribuable, d'obtenir de cette entreprise le reversement des sommes indûment perçues par elle à ce titre. Par suite, le moyen tiré par la SAS Alliance Elabores de ce que les dégrèvements dégressifs de contribution économique territoriale présentent un caractère définitif et ne peuvent être remis en cause à l'issue d'une vérification de comptabilité, doit être écarté.
En ce qui concerne l'invocation de l'interprétation administrative de la loi fiscale :
7. Les énonciations du paragraphe n°30 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-IF-CFE-40-20, en ce qu'elles rappellent qu'en vertu des dispositions de l'article L. 56 du livre des procédures fiscales, la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55 de ce livre n'est pas applicable en matière de cotisation foncière des entreprises, ne comportent aucune interprétation formelle de la loi fiscale qui soit opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. En outre, si ce même paragraphe n°30 énonce ensuite, que, même si cette procédure n'est pas applicable en tant que telle, l'administration ne peut établir, à la charge d'un contribuable, des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu'il a déclarés qu'après l'avoir, conformément au principe général des droits de la défense, mis à même de présenter ses observations, ces énonciations ne font, en tout état de cause, pas du texte fiscal une interprétation différente de celle dont le présent arrêt fait, en son point 6, application.
Sur l'avis de mise en recouvrement :
8. Les dispositions de l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, ouvrent, ainsi qu'il a été dit au point 5, aux contribuables subissant un accroissement significatif de leur imposition, au titre de l'année 2010, en conséquence de l'entrée en vigueur de la réforme de la taxe professionnelle, la possibilité de bénéficier, au titre des années 2010 à 2013, sur demande de leur part, de dégrèvements dégressifs de cette contribution et de ses taxes annexes. Le dernier alinéa de l'article 1647 C quinquies B du code général des impôts précise, à cet effet, que : " Le reversement des sommes indûment restituées est demandé selon les mêmes règles de procédure et sous les mêmes sanctions qu'en matière de cotisation foncière des entreprises. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles de procédure applicables en matière de cotisation foncière des entreprises. ". Enfin, l'article 1679 quinquies du même code précise, dans son premier alinéa, que : " La cotisation foncière des entreprises et les taxes additionnelles sont recouvrées par voie de rôles suivant les modalités et sous les garanties et sanctions prévues en matière de contributions directes. ".
9. L'article 1658 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, dispose, par ailleurs, que les impôts directs et les taxes assimilées sont recouvrés en vertu soit de rôles rendus exécutoires par arrêté du préfet, soit d'avis de mise en recouvrement.
10. Il résulte de l'instruction que, pour obtenir le reversement, par la SAS Alliance Elabores, d'un montant total de 139 181 euros incluant le dégrèvement transitoire de contribution économique territoriale dont celle-ci avait cru pouvoir bénéficier au titre des années 2010, 2011 et 2012 mais que l'administration a remis en cause, cette dernière a adressé à cette société, le 9 avril 2014, un avis de mise en recouvrement et n'a pas émis, hormis s'agissant de l'année 2010, de rôle supplémentaire. Or, la SAS Alliance Elabores soutient que l'administration n'a pu, sans commettre d'irrégularité, mettre les rappels de dégrèvement de contribution économique territoriale en litige à sa charge par la voie d'un avis de mise en recouvrement.
11. Toutefois, en complétant, par l'article 55 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, l'article 1658 du code général des impôts, qui s'insère au livre II de ce code, relatif au recouvrement de l'impôt, et en y ajoutant le membre de phrase " ou d'avis de mise en recouvrement ", le législateur, à la suite de la création, en 2008, de la direction générale des finances publiques par fusion de direction générale des impôts et de la direction de la comptabilité publique, a entendu donner à l'administration, dans un souci de simplification des procédures de recouvrement de l'impôt, le choix d'émettre soit un rôle supplémentaire, soit un avis de mise en recouvrement lorsqu'elle souhaite établir et recouvrer des impôts directs ou des taxes assimilées, que ces impositions ou taxes soient primitives ou supplémentaires. Dès lors que le législateur n'a assorti la modification qu'il a ainsi apportée, à ce texte de portée générale en matière de recouvrement de l'impôt, d'aucune restriction quant à son champ d'application, afin d'en exclure telle ou telle imposition ou taxe annexe, cette modification doit être regardée comme trouvant à s'appliquer à l'impôt direct que constitue la contribution économique territoriale, en toutes ses composantes, y compris la cotisation foncière des entreprises, quand bien même l'article 1679 quinquies du même code, qui énonçait le principe selon lequel la cotisation foncière des entreprises et les taxes additionnelles sont recouvrées par voie de rôles, n'a pas été modifié sur ce point. Il suit de là que le moyen tiré par la SAS Alliance Elabores de ce que l'administration n'a pu mettre les rappels de dégrèvement de contribution économique territoriale en litige à sa charge par la voie d'un avis de mise en recouvrement doit être écarté. Cette société n'est pas fondée à invoquer, à cet égard, les prévisions du paragraphe n°16 de l'instruction administrative du 10 mai 2011, reprises au paragraphe n°150 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-IF-CFE-40-30-20-50, ni celles énoncées au paragraphe n°1 de la doctrine administrative publiée le 11 juin 2013 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-IF-CFE-40-10, qui se bornent à reproduire les dispositions de l'article 1679 quinquies du code général des impôts et ne contiennent, dès lors, aucune interprétation formelle de la règle fiscale au sens des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
12. Il ressort des mentions de l'avis de mise en recouvrement adressé le 9 avril 2014 à la SAS Alliance Elabores que celui-ci fait référence, conformément aux prescriptions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales définissant les mentions que doit contenir un tel avis, aux documents adressés à cette société dans le cadre de la procédure d'établissement des impositions qu'il a pour objet de recouvrer, à savoir à la proposition de rectification du 4 décembre 2013, ainsi qu'à la réponse apportée le 6 février 2014 à ses observations. Or, ces documents comportent les éléments de droit et de fait sur lesquels l'administration s'est fondée pour déterminer le montant de ces impositions, et précisent celles des dispositions du code général des impôts qui en constituent le fondement. L'ensemble de ces indications étaient suffisantes pour permettre à la SAS Alliance Elabores de contester utilement ces impositions, en dépit de l'imprécision affectant l'avis de recouvrement par lui-même, qui fait mention de la seule cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de ses taxes annexes. Par ailleurs, dès lors que les prévisions du paragraphe n°50 de la doctrine publiée le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des impôts sous la référence BOI-REC-PREA-10-10-20 ne comportent pas, en ce qui concerne les mentions que doivent contenir les avis de mise en recouvrement, une interprétation du texte fiscal qui soit différente de celle dont le présent arrêt fait application, la SAS Alliance Elabores n'est pas fondée à s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que la SAS Alliance Elabores n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions de la SAS Alliance Elabores tendant à la restitution, assortie des intérêts moratoires, des sommes qu'elle a versées au titre des impositions en litige doivent être rejetées. Il en est de même des conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en tout état de cause, de ses conclusions afférentes à la charge des dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Alliance Elabores est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gelaé, nouvelle dénomination de la SAS Alliance Elabores, et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°19DA02412