Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 6 février 2018 et un mémoire en réplique enregistré le 31 juillet 2018, la commune de Rochetaillée-sur-Saône, représentée par la SELARL Racine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 novembre 2017 ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de la SAS Ceroni tendant à sa condamnation ;
3°) à titre subsidiaire de condamner M. A... H... à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, à hauteur de 21 910,72 euros HT, et M. C... B... à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre, à hauteur de 31 429,68 euros HT ;
4°) de mettre à la charge de la SAS Ceroni la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges l'ont irrégulièrement condamnée sur le fondement de sa responsabilité extra-contractuelle, alors qu'ils n'étaient saisis de conclusions de la SAS Ceroni que sur le terrain contractuel ;
- le jugement, en ce qu'il retient l'existence d'une commande de la part de commune, est entaché d'une contradiction de motifs et d'une dénaturation des faits ;
- les conclusions de la société Ceroni sur le fondement de la responsabilité extra- contractuelle, présentées pour la première fois en appel, sont irrecevables ;
- les premiers juges ont à tort rejeté l'appel en garantie qu'elle formaitcontre M. H... et M. B... comme porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;
- elle n'a jamais commandé à la société Ceroni l'exécution des travaux, l'attestation produite en ce sens par la société Ceroni n'ayant pas été faite dans les formes prescrites à l'article 202 du code de procédure civile et n'étant pas probante, ;
- la demande de la société Ceroni tendant à la prise en charge des travaux de sécurisation est atteinte par la prescription quadriennale ;
- l'imprudence de la société Ceroni, qui a effectué des travaux en l'absence de tout contrat écrit, est de nature à faire obstacle à toute indemnisation à son profit ;
- elle est fondée à demander à être relevée et garantie par MM. H... et B... des sommes versées à la société Ceroni, dès lors que l'éventuelle illégalité des arrêtés de péril imminent, qui sont définitifs, ne fait pas obstacle au paiement des travaux par les propriétaires des immeubles, lesquels ont bénéficié d'un enrichissement sans cause tenant à la prise en charge par la commune de dépenses leur incombant, en application de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation.
Par des mémoires en défense enregistrés les 16 mai 2018 et 11 octobre 2018, la SAS Ceroni, représentée par la SCP Vallerotonda-Genin-Thuilleaux et Associés, conclut :
- au rejet de la requête ;
- à titre subsidiaire à la condamnation de la commune de Rochetaillée-sur-Saône à lui verser la somme de 53 340,40 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour de réception de la réclamation datée du 20 février 2014, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle ;
- à titre infiniment subsidiaire à la condamnation de M. H... à lui verser la somme de 21 910,72 euros, outre intérêts au taux légal, et de M. B... à lui verser la somme de 31 429,68 euros, outre intérêts au taux légal ;
- à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Rochetaillée-sur-Saône ou, à titre subsidiaire, de MM. H... et B....
Elle soutient que :
- elle avait invoqué en première instance la faute de la commune de Rochetaillée-sur-Saône, qui n'a pas respecté la procédure de passation requise en matière de marchés publics, et avait ainsi nécessairement fondé son action sur la responsabilité extra-contractuelle de la commune ;
- la commune a demandé l'exécution de travaux à la société Ceroni avant même que son maire ne prenne des arrêtés de péril imminent et s'est ainsi substituée aux propriétaires des immeubles concernés, qui n'ont jamais pris contact avec elle ;
- l'attestation de l'architecte et expert judiciaire est suffisamment probante, les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile n'étant pas prescrites à peine de nullité ;
- la circonstance que le contrat conclu avec la société Ceroni n'était pas écrit n'est par elle-même pas de nature à l'entacher de nullité, de sorte qu'elle est fondée, à titre subsidiaire, à se placer sur le terrain de la responsabilité contractuelle de la commune ;
- elle est recevable, en tout état de cause à se placer pour la première fois en appel sur le terrain de la responsabilité extra-contractuelle ;
- il conviendrait le cas échéant de mettre à la charge de MM. H... et B... le montant des travaux, le litige portant sur l'exécution de travaux exécutés d'office par l'administration publique sur des immeubles privés relevant de la compétence de la juridiction administrative ;
- la créance n'est pas atteinte par la prescription quadriennale, compte tenu des actions qu'elle a entreprises pour en demander le paiement.
Par un mémoire enregistré le 6 décembre 2018, M. A... H..., représenté par Me K..., conclut au rejet des conclusions de la commune de Rochetaillée-sur-Saône et de la SAS Ceroni dirigées contre lui, et à la mise à la charge de la commune de Rochetaillée- sur-Saône et de la SAS Ceroni d'une somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la société Ceroni est intervenue à la seule demande de la commune de Rochetaillée-sur-Saône, qui lui a commandé l'exécution des travaux avant même que son maire ne prenne l'arrêté de péril imminent ;
- les travaux ayant été exécutés avant qu'un délai lui fût imparti, la commune ne peut demander qu'ils soient mis à sa charge ;
- la société Ceroni ne peut lui demander le paiement de travaux qu'il n'a pas commandés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 8 janvier 2019, par une ordonnance en date du 10 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des marchés publics ;
- la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,
- les observations de Me J..., représentant la commune de Rochetaillée-sur-Saône, celles de Me I..., représentant la société Ceroni ainsi que celles de Me G..., substituant Me K..., représentant M. H... ;
Considérant ce qui suit :
1. Le maire de Rochetaillée-sur-Saône a engagé en février 2013 deux procédures de péril imminent portant l'une sur un immeuble situé rue Henri Bouchard appartenant à M. H..., l'autre sur un immeuble situé rue des pêcheurs appartenant à M. et Mme B.... Par deux arrêtés des 20 et 25 février 2013, le maire, ayant constaté l'existence d'un péril imminent, a mis en demeure les propriétaires de réaliser dans un délai de dix jours les travaux préconisés par l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Lyon. La société Ceroni, qui a exécuté les travaux d'urgence menés sur ces deux immeubles a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la commune de Rochetaillée-sur-Saône à lui payer le montant des prestations réalisées. Par jugement du 30 novembre 2017, le tribunal a condamné la commune à verser à la société la somme de 53 340,40 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour de réception de la réclamation datée du 20 février 2014, et a rejeté ses appels en garantie. La commune de Rochetaillée-sur-Saône relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité du contrat, les cocontractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat frappé de nullité a apporté à l'un d'eux ou de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles.
3. Si la société Ceroni avait fondé initialement sa demande sur la responsabilité contractuelle de la commune de Rochetaillée-sur-Saône, elle a ensuite relevé, en réponse à l'argument de la commune selon lequel elle n'avait signé aucun contrat écrit, qu'elle ne saurait subir un préjudice du fait que la commune n'a pas respecté la procédure de passation adéquate. Elle doit ainsi être regardée comme s'étant placée, à titre subsidiaire, sur le terrain de la responsabilité extra-contractuelle de la commune de Rochetaillée-sur-Saône. Par suite, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient fait droit à des conclusions non soulevées.
4. Pour le surplus, en critiquant les motifs ayant conduit le tribunal administratif de Lyon à la condamner à indemniser la société Ceroni, la commune de Rochetaillée-sur-Saône conteste non la régularité du jugement mais son bien-fondé.
Sur les conclusions dirigées contre la commune de Rochetaillée-sur-Saône :
5. Aux termes de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation : " En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d'un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l'état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l'imminence du péril s'il la constate./ Si le rapport de l'expert conclut à l'existence d'un péril grave et imminent, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, notamment, l'évacuation de l'immeuble./ Dans le cas où ces mesures n'auraient pas été exécutées dans le délai imparti, le maire les fait exécuter d'office. En ce cas, le maire agit en lieu et place des propriétaires, pour leur compte et à leurs frais. ". Aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Les frais de toute nature, avancés par la commune lorsqu'elle s'est substituée aux propriétaires ou copropriétaires défaillants, en application des dispositions des articles L. 511-2 et L. 511-3, sont recouvrés comme en matière de contributions directes. " Il résulte de ces dispositions que les frais engagés pour mettre fin à l'imminence du désordre affectant un bâtiment sont en principe à la charge du propriétaire de l'immeuble, que les travaux aient été exécutés à l'initiative de ce dernier ou d'office par la commune.
6. Pour condamner la commune de Rochetaillée-sur-Saône à indemniser la société Ceroni des prestations effectuées sur les immeubles appartenant à M. H... et aux époux B..., les premiers juges ont estimé que les travaux avaient été commandés par la commune et que si aucun contrat n'était régulièrement intervenu, la commune avait engagé sa responsabilité extra-contractuelle du fait de la faute qu'elle avait commise en chargeant la société Ceroni des travaux préconisés par l'expert sans conclure d'engagement écrit.
7. Il résulte de l'instruction que la société Ceroni est intervenue le 16 février 2013 à la demande de la commune de Rochetaillée-sur-Saône pour effectuer des travaux d'urgence de pose de barrières et de sécurisation suite à l'effondrement du mur pignon du bâtiment appartenant à M. H.... La société Ceroni fait valoir qu'elle a ensuite participé aux opérations d'expertise avec les représentants de la commune et les propriétaires des immeubles, et que les conclusions de l'expertise l'impliquent dans la réalisation de ces travaux. Toutefois il ne résulte d'aucun élément de l'instruction qu'elle aurait entrepris les travaux sur les immeubles avant l'intervention des arrêtés de péril imminent. Si la commune de Rochetaillée-sur-Saône, qui n'a pas mis en oeuvre la procédure d'exécution d'office des travaux prévue par les dispositions de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, a pu s'entremettre entre la société Ceroni et les propriétaires des immeubles, il ne résulte d'aucune pièce du dossier, et en particulier ni du courrier du 3 avril 2013 de la commune qui ne précise pas l'identité du commanditaire des travaux ni de l'attestation, peu précise, établie par l'expert près de deux années après son intervention, qu'elle aurait entendu commander pour elle-même l'exécution de ces prestations, ce qu'elle ne pouvait d'ailleurs légalement faire. Dans ces conditions, et alors au demeurant qu'il résulte de l'instruction que la société Ceroni s'était initialement adressée pour le paiement de ses prestations à M. H... et aux époux B..., lesquels n'ont jamais contesté l'exécution ou la consistance des travaux, la société Ceroni n'est pas fondée à soutenir que la commune de Rochetaillée-sur-Saône aurait entendu lui commander l'exécution des travaux litigieux ni qu'elle aurait engagé sa responsabilité extra-contractuelle en raison de la faute commise pour n'avoir pas conclu de contrat écrit.
8. Il résulte en revanche de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point précédent, que les prestations de pose de barrières en urgence réalisées par la société Ceroni le 16 février 2013, avant l'engagement de la procédure de péril imminent, ont été commandées par la commune de Rochetaillée-sur-Saône. La société Ceroni est par suite fondée à demander à la commune le paiement de ces seules prestations d'un montant de 915 euros, sans que la commune puisse soutenir que l'action de la société Ceroni, qui a entrepris dès 2014 des démarches en vue du paiement de cette somme, serait atteinte par la prescription quadriennale.
9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Rochetaillée-sur-Saône est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée à payer à la société Ceroni une somme excédant 915 euros, outre intérêts.
Sur l'appel en garantie de la commune de Rochetaillée-sur-Saône :
10. La pose de barrières pour la mise en sécurisation d'urgence de la voie, avant les arrêtés de péril, dans le cadre des pouvoirs de police générale du maire, ne constitue pas une opération de travaux publics ni ne se rattache à aucune opération de travaux publics. Dès lors, les conclusions de la commune de Rochetaillée-sur-Saône tendant à la condamnation de M. B... et de M. H..., au demeurant tiers par rapport à ces travaux, à lui rembourser les sommes qu'elle a été condamnée à payer à ce titre, doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur l'appel provoqué de la société Ceroni dirigé contre M. H... et les époux B... :
11. Les conclusions de la société Ceroni tendant à la condamnation de M. H... et des époux B... à l'indemniser des prestations qu'elle a réalisées sur l'immeuble leur appartenant, dans le cadre de travaux n'ayant pas la nature de travaux publics, relèvent de la seule compétence des juridictions judiciaires. Il y a lieu, par suite, de les rejeter comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur les frais d'instance :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la commune de Rochetaillée-sur-Saône tendant à la mise à la charge de la société Ceroni des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que la somme que demande la société Ceroni soit mise à la charge de la commune de Rochetaillée-sur-Saône, qui n'est pas partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. H... ou dirigées contre ce dernier ou contre les époux B... au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que la commune de Rochetaillée-sur-Saône a été condamnée à payer à la société Ceroni par l'article 1er du jugement du 30 novembre 2017 du tribunal administratif de Lyon est ramenée de 53 340,40 à 915 euros.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lyon du 30 novembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Rochetaillée-sur-Saône, à la SAS Ceroni, à M. A... H... et à M. C... B....
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme F... L..., présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme E... D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.
Le rapporteur,
Thierry Besse La présidente,
Dominique L...
La greffière,
Fabienne Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 18LY00466
md