Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2020, et un mémoire en réplique, enregistré le 4 novembre 2020, lequel n'a pas été communiqué, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 5 juin 2020 ;
2°) de rejeter les demandes de M. et Mme A... présentées devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé le refus de titre de séjour opposé à M. A... ; il a bien recueilli l'avis du collège de médecins de l'OFII et la procédure afférente à sa demande a été respectée ;
- la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme A... n'implique pas la séparation de la cellule familiale et ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les moyens de première instance sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2020, M. et Mme A..., représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu l'existence d'un vice de procédure ;
- le refus de titre de séjour opposé à M. A... méconnaît l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire français aurait dû être fondée sur l'article L. 511-1 3° et M. A... aurait dû voir son affaire examinée par une formation collégiale et non par un juge unique ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par une décision du 16 septembre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. et Mme A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... C..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants kosovars entrés en France en juillet 2015 et déboutés du droit d'asile, ont demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation des arrêtés du 12 mars 2020 par lesquels le préfet de la Savoie a fait obligation à Mme A... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a refusé un titre de séjour à M. A... et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois. Le préfet de la Savoie relève appel du jugement du 5 juin 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a fait droit à leurs demandes.
Sur les motifs d'annulation retenus par le jugement attaqué :
2. Devant le tribunal administratif, M. A... a contesté la régularité de la procédure en invoquant l'absence de consultation du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et en faisant valoir qu'il appartenait au préfet de la Savoie de produire tout document permettant de vérifier que l'avis médical a été rendu conformément aux prescriptions des articles 3 et 5 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé qui prévoient que l'avis est rendu par un collège de trois médecins à compétence nationale au vu d'un rapport médical établi par un médecin de l'OFII qui ne siège pas dans ce collège.
3. Pour la première fois en appel, le préfet de la Savoie produit l'avis du collège des médecins de l'OFII émis le 26 décembre 2019 ainsi que les éléments desquels il résulte que le médecin auteur du rapport médical sur l'état de santé de M. A... n'a pas siégé au sein du collège des médecins qui a émis cet avis. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler le refus de titre de séjour opposé à M. A... ainsi que et, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de l'irrégularité de la procédure de consultation de ce collège.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est également à tort que le premier juge a considéré, dès lors que la situation de Mme A... est étroitement liée à celle de son époux, que l'obligation de quitter le territoire français opposée à cette dernière méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour en prononcer l'annulation ainsi que la décision du même jour fixant le pays de destination.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. et Mme A....
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne la légalité du refus de titre de séjour opposé à M. A... :
6. En premier lieu, l'arrêté en litige vise les textes applicables à la situation de M. A... et notamment la convention internationale relative aux droits de l'enfant, contrairement à ce qui est soutenu. Il mentionne les éléments de fait sur lesquels il se fonde, en précisant en particulier les conditions d'entrée et de séjour en France de l'intéressé, le traitement et le rejet de sa demande d'asile et en mentionnant le sens de l'avis du collège des médecins de l'OFII du 26 décembre 2019. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit par suite être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
8. Le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine. M. A... a produit un certificat médical émanant d'un praticien hospitalier aux termes duquel il présente des troubles psychiques, en particulier des troubles majeurs du sommeil avec insomnie et cauchemars répétitifs, des angoisses, des maux de tête chroniques et des troubles de la concentration et de la mémoire. Ce certificat précise encore que ces pathologies justifient la poursuite d'un suivi psychiatrique et d'un traitement par Prazosine. Le préfet de la Savoie produit en appel un échange de mails sur les traitements médicamenteux au Kosovo duquel il résulte que ce médicament prescrit à l'intéressé vise seulement au traitement des cauchemars, qui constituent un symptôme connexe de son état de stress post-traumatique, lequel ne fait pas lui-même l'objet d'un traitement, et que le Kosovo dispose par ailleurs des médicaments recommandés par la Haute autorité de santé pour sa pathologie. Ni le certificat médical ni le rapport de l'Osar sur la situation sanitaire au Kosovo ne sont de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le préfet au vu de l'avis émis par le collège des médecins de l'OFII. Dans ces conditions, le refus de titre de séjour opposé à M. A... ne peut être regardé comme ayant été pris en méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 citées au point précédent.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. M. A..., débouté du droit d'asile comme son épouse, est entré en France à l'âge de trente ans après avoir vécu la majeure partie de sa vie sans son pays d'origine. Rien ne s'oppose à ce qu'accompagné de son épouse et de leur fille née en France en 2015, il poursuive une vie privée et familiale normale au Kosovo. En particulier, si le requérant soutient que son état de santé est en lien avec les évènements vécus dans son pays d'origine et l'ayant forcé à l'exil, il n'est pas établi qu'un retour dans ce pays aurait pour conséquence d'aggraver ses pathologies. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et en dépit de son engagement associatif, la décision contestée n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport à ses motifs et n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes motifs, la décision en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle, notamment sanitaire, du requérant.
En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français opposée à M. A... :
11. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français en litige trouve son fondement à la fois dans le 3° et 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En ce qu'elle se fonde sur le 3° du I de cet article, elle n'implique pas de mention spécifique, dès lors que, comme en l'espèce, ce refus de séjour est lui-même motivé et que les dispositions législatives permettant l'édiction d'une mesure d'éloignement ont été rappelées, ce qui est le cas puisque l'obligation de quitter le territoire français vise l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La circonstance qu'elle ne vise pas spécifiquement le 3° de l'article L. 511-1 ne suffit pas par elle-même à l'entacher d'une insuffisance de motivation en droit. En ce qu'elle est prise sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle est suffisamment motivée en droit par le visa de cet article et en fait par le rappel des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
12. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 10 que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
13. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8, la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... n'a pas méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. En quatrième lieu, pour les motifs exposés au point 10, les moyens tirés de ce que l'obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français opposée à Mme A... :
15. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français opposée à Mme A..., prise sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est suffisamment motivée en droit par le visa de cet article et en fait par le rappel des décisions de l'OFPRA et de la CNDA. Le préfet n'était par ailleurs, au regard de l'obligation de motivation, pas tenu de mentionner la demande de titre de séjour formée par son époux.
16. En deuxième lieu, en l'absence de circonstance particulière liée à la situation de la requérante, déboutée du droit d'asile comme son époux et pour les motifs exposés au point 10, les moyens tirés de ce que l'obligation de quitter le territoire méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de Mme A... doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité des décisions fixant le pays de destination :
17. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 11 à 16, les requérants ne sont pas fondés à invoquer l'illégalité des obligations de quitter le territoire français à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant le pays de destination.
18. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
19. Eu égard à ce qui a été dit au point 8, les requérants ne sauraient soutenir que l'éloignement de M. A... vers le Kosovo constituerait, en raison de son état de santé, un traitement inhumain ou dégradant prohibé par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si les requérants soutiennent encore qu'ils craignent pour leur sûreté et leur vie en cas de retour au Kosovo, ils ne produisent aucun élément à l'appui de cette allégation, alors que leurs demandes d'asile ont été rejetées par les instances compétentes. Leur moyen tiré de la violation des stipulations citées au point précédent doit, par suite, être écarté.
20. En troisième lieu, compte tenu de ce qui précède, les décisions fixant le pays de destination ne peuvent être regardées comme entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle des requérants.
21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, sans qu'il soit besoin d'en examiner la régularité, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 12 mars 2020, et à demander l'annulation de ce jugement et le rejet des demandes de première instance de M. et Mme A....
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à M. et Mme A... une somme au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 5 juin 2020 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble et leurs conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... et Mme E... épouse A..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Daniel Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme D... C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2021.
N° 20LY01752
fp
N° 20LY01752