Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 février 2020, le préfet du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement du 11 février 2020 et de rejeter les demandes présentées par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Lyon.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision de refus de séjour concernant Mme C... méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire enregistré le 8 octobre 2020, M. B... C... et Mme G... épouse C..., représentés par Me A..., concluent :
- au rejet de la requête ;
- à ce qu'il soit enjoint au préfet du Rhône de leur délivrer des titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à tout le moins, des autorisations provisoires de séjour dans l'attente du réexamen de leur situation, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
- à la condamnation de l'Etat à verser à leur conseil la somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le refus de séjour opposé à Mme C... méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions de refus de séjour méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- ils sont fondés à exciper de l'illégalité des refus de séjour à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions les obligeant à quitter le territoire français ;
- les décisions les obligeant à quitter le territoire français méconnaissent le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions les obligeant à quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- ils sont fondés à exciper de l'illégalité des décisions les obligeant à quitter le territoire français à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant le pays de destination.
Par décision du 22 juillet 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. et Mme C....
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C..., ressortissants kosovars nés respectivement en 1991 et 1995, sont entrés irrégulièrement en France en mai 2014. Leurs demandes d'asile ont été rejetées en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 1er mars 2017. Par décisions du 15 mai 2019, le préfet du Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français pendant une durée d'un mois et a désigné le pays de destination. Le préfet du Rhône relève appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions, et a enjoint au préfet du Rhône de délivrer aux intéressés un titre de séjour.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne le bien-fondé du motif d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans le pays dont l'étranger est originaire et que si ce dernier y a effectivement accès. Toutefois, la partie qui justifie de l'avis d'un collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié et effectivement accessible dans le pays de renvoi.
4. Il ressort des pièces du dossier que, dans son avis rendu le 6 septembre 2018, l'OFII a indiqué que, si l'état de santé de Mme C... nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. L'intéressée, qui souffre d'un état de stress post-traumatique sévère nécessitant un suivi psychothérapeutique et un traitement psychotrope, soutient que les trois médicaments qui lui sont prescrits ne sont pas disponibles au Kosovo en se prévalant d'un certificat médical établi en décembre 2019 par un médecin psychiatre français. Toutefois, cette affirmation, non étayée, est contredite, s'agissant de deux des trois molécules qui lui sont prescrites, par la fiche MedCOI produite en appel par le préfet du Rhône. Si en revanche l'Oxazepam n'est pas disponible au Kosovo, il ressort de ce même document qu'y sont commercialisés d'autres benzodiapézines à usage anxiolytique équivalent, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles ne permettraient pas de traiter l'affection dont souffre Mme C.... Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que Mme C... ne pourrait effectivement avoir accès à ces médicaments au Kosovo, malgré l'état général du système de santé kosovar dont elle fait état. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 2 pour annuler le refus de titre de séjour opposé le 15 mai 2019 à Mme C..., et qu'ils ont annulé par voie de conséquence celui opposé à son mari pour méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme C... tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre les refus de séjour :
6. En premier lieu, le moyen selon lequel le préfet du Rhône a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme C... sans avis préalable du collège des médecins de l'OFII manque en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. "
8. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... ne séjournaient en France que depuis cinq années à la date des décisions de refus de séjour en litige, et qu'ils ne sont pas dépourvus d'attaches au Kosovo, où ils ont vécu jusqu'en 2014. Si leur premier enfant est scolarisé en France et le second y est né en 2017, ils ne justifient pas d'une particulière insertion et peuvent reconstituer leur cellule familiale au Kosovo. Dans ces conditions, et alors que l'état de santé de Mme C... ne nécessite pas son maintien en France, ainsi qu'il a été dit au point 4, les décisions de refus de séjour n'ont pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et n'ont pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles ne méconnaissent pas non plus, pour les mêmes motifs, les stipulations citées au point précédent de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant.
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des décisions de refus de séjour à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions les obligeant à quitter le territoire français.
10. En deuxième lieu, pour les motifs exposés au point 4, le moyen selon lequel la décision obligeant Mme C... à quitter le territoire français méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
11. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 8, le moyen selon lesquels les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant doivent être écartés.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :
12. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des décisions les obligeant à quitter le territoire français à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant le pays de destination.
13. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 15 mai 2019 par lesquelles il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. et Mme C..., les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office à l'expiration de ce délai. Le préfet est dès lors fondé à demander l'annulation de ce jugement et le rejet des demandes de M. et Mme C... devant le tribunal administratif.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation des décisions du préfet du Rhône en date du 15 mai 2019, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. et Mme C... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme dont M. et Mme C... demandent le versement à leur avocat au titre des frais exposés à l'occasion du litige soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 11 février 2020 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Lyon sont rejetées, et le surplus de leurs conclusions en appel est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... C... et Mme G... épouse C..., ainsi qu'à Me A....
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Daniel Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme F... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2020.
N° 20LY00802
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N° 20LY00802