Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 13 mars 2017 et 29 mai 2018, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble "La Ménandière" et autres, représentés par la SELARL CDMF-Avocats Affaires publiques, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 2016 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande ;
2°) d'annuler en son entier le permis de construire tacite du 29 juin 2013, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux ;
3°) de mettre respectivement à la charge de la commune d'Huez et de la SCI Jufra les sommes de 3 500 et de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le maire d'Huez a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en n'opposant pas un sursis à statuer à la demande de permis de construire ;
- les premiers juges n'ont pas suffisamment justifié l'annulation seulement partielle du permis en litige, qui n'est pas susceptible d'être régularisé par la délivrance d'un permis de construire modificatif ;
- les éléments de construction situés en saillie en façade sud méconnaissent les dispositions combinées des articles PM1 6,7 et 9 du POS, sans qu'une régularisation ne soit possible sur le fondement du plan local d'urbanisme approuvé le 11 novembre 2015 ;
- ils persistent dans leurs moyens écartés par le tribunal administratif ;
- les appels incidents de la commune d'Huez et de la SCI Jufra ne sont pas recevables ;
- les moyens d'appel incident ne sont pas fondés et les intimées ne sauraient se prévaloir utilement de la délivrance d'un permis modificatif intervenu après l'annulation prononcée par le tribunal.
Par des mémoires en défense enregistrés les 20 mai 2017, 15 février 2018 et 6 juin 2018, la commune d'Huez, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 2016 en tant qu'il a fait droit aux conclusions des demandeurs et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge solidaire des appelants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le projet méconnaissait l'article PM1 1 du POS alors en outre que le moyen manque désormais en fait suite à la délivrance du permis de construire modificatif du 15 décembre 2017 ;
- les dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme seraient susceptibles de trouver application si le moyen tiré de la violation de l'article PM1 11 ou de celle des articles PM1 6,7 et 9 devait être retenu.
Par des mémoires en défense enregistrés les 16 juin 2017, 2 mai 2018 et 7 juin 2018, la SCI Jufra, représentée par MeG..., conclut au rejet de la requête, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 2016 en tant qu'il a fait droit aux conclusions des demandeurs, et à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge solidaire des appelants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- le moyen tiré de la violation de l'article PM1 11 manque en fait suite à la délivrance du permis de construire modificatif du 15 décembre 2017 ;
- en tout état de cause, les dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme seraient susceptibles de trouver application.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Antoine Gille, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Véronique Vaccaro-Planchet, rapporteur public,
- les observations de Me A... pour le syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Ménandière et autres, celles de Me D... pour la commune d'Huez, ainsi que celles de Me G... pour la SCI Jufra ;
Et après avoir pris connaissance des notes en délibéré présentées pour la commune d'Huez et la SCI Jufra enregistrées respectivement les 27 novembre et 6 décembre 2018 ;
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Jufra a déposé en mairie d'Huez une demande de permis de construire en vue de la création de suites hôtelières et d'un logement par surélévation d'un bâtiment existant situé, avenue des Jeux, en zone PM1 du plan d'occupation des sols (POS) de la commune. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble "La Ménandière" et d'autres requérants ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le permis de construire tacite né, le 29 juin 2013, du silence conservé sur cette demande et dont le maire d'Huez a attesté de l'intervention par un certificat délivré au pétitionnaire le 19 septembre suivant. Par jugement du 31 décembre 2016 et motif pris d'un décalage de la toiture du projet, le tribunal administratif de Grenoble a partiellement fait droit à cette demande et, par l'article 1er de sa décision, a annulé le permis de construire du 29 juin 2013 "en tant qu'il porte sur le faîtage non linéaire des toits orientés est/ouest". Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble "La Ménandière" et les autres demandeurs devant le tribunal administratif relèvent appel de ce jugement en tant qu'en son article 2, il rejette le surplus de leurs conclusions tendant à l'annulation de l'entier permis de construire du 29 juin 2013. Par la voie de l'appel incident, la commune d'Huez et la SCI Jufra contestent pour leur part ce même jugement en ce qu'il a partiellement fait droit aux conclusions des demandeurs.
Sur les conclusions de la requête dirigées contre l'article 2 du jugement du 31 décembre 2016 :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Pour n'annuler le permis de construire du 29 juin 2013 qu'en tant que ce permis porte sur le faîtage de l'immeuble projeté et rejeter ainsi à l'article 2 de son jugement le surplus des conclusions des demandeurs tendant à l'annulation de ce permis dans son intégralité, le tribunal administratif, après avoir explicité en quoi le moyen tiré de la violation de l'article PM1-11 du POS était selon lui fondé et après avoir écarté les autres moyens des requérants, s'est borné à relever "qu'il résulte de ce qui précède que le permis de construire tacite du 29 juin 2013 doit être annulé en tant qu'il porte sur le faîtage non linéaire des toits tel que relevé au point 6". En s'abstenant d'expliciter le fondement légal et les motifs de son choix de ne prononcer qu'une annulation partielle du permis de construire en litige, alors en particulier que ces motifs sont susceptibles d'être tirés soit de la divisibilité de l'autorisation en litige soit de la possibilité, sous certaines conditions, de régulariser un vice n'affectant qu'une partie d'un projet, le tribunal administratif de Grenoble n'a, sur ce point, pas suffisamment motivé son jugement.
3. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'article 2 du jugement attaqué et de statuer par voie d'évocation sur la partie des conclusions de la demande du syndicat des copropriétaires de l'immeuble "La Ménandière" et autres dirigées contre le permis de construire du 29 juin 2013 à laquelle le tribunal administratif n'a pas fait droit.
Sur les conclusions dirigées contre le permis de construire du 29 juin 2013 :
En ce qui concerne l'intérêt pour agir des requérants :
4. Le bâtiment dont le projet critiqué prévoit l'extension sur plus de 400 m² au bénéfice d'une surélévation se trouve à une soixantaine de mètres et en vis-à-vis de la façade sud de l'immeuble d'habitation "La Ménandière". Dans ces conditions, et si les parties défenderesses font valoir le défaut de justification par MM. C..., I...et F...de leur qualité de propriétaire ou leur carence à préciser la localisation exacte de leur appartement dans l'immeuble "La Ménandière", le syndicat des copropriétaires de cet immeuble, auquel l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965 visée ci-dessus donne qualité pour agir en justice en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble, justifie en tout état de cause d'un intérêt lui donnant qualité pour contester le permis de construire en litige. Par suite, la commune d'Huez et la SCI Jufra, qui ne sauraient se prévaloir de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme dont les dispositions ne sont en tout état de cause pas applicables aux recours formés contre les décisions intervenues avant le 19 août 2013, ne sont pas fondées à soutenir que la demande collective tendant à l'annulation du permis de construire du 29 juin 2013 n'est pas recevable.
En ce qui concerne la légalité du permis de construire du 29 juin 2013 :
5. Aux termes de l'article PM1-11 du règlement du POS d'Huez relatif à l'aspect extérieur des constructions : " Il est imposé des toitures à deux ou plusieurs pans, l'orientation ou la répartition des faîtages principaux sont données aux documents graphiques. / Les pentes de toiture devront se situer entre 35 % et 70 % ".
6. Il résulte de l'article PM1-11 du règlement du POS d'Huez cité ci-dessus et des indications portées sur le document graphique relatif au sous-secteur PM1b, qui ne fait apparaître sous la légende "faîtage" et à la cote 1830 qu'un simple trait orienté selon un axe est-ouest séparant en deux la zone constructible qu'il identifie, que les auteurs du POS, tout en autorisant les toitures à plus de deux pans, ont entendu que la structure générale de la toiture des ouvrages à édifier soit principalement organisée suivant un axe est-ouest perpendiculaire à l'avenue des Jeux en bordure de laquelle se trouve le terrain d'assiette du projet.
7. La toiture de la construction projetée présente au droit de ses pignons est et ouest une structure à double pans dont le faîtage, situé à la cote 1830, est orienté perpendiculairement à l'avenue des Jeux. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, en particulier des plans de masse et de toiture, du plan de coupe PC3 et des plans PC5 des différentes façades du projet produits au soutien de la demande de permis de construire modificatif délivré après le jugement critiqué le 15 décembre 2017 et reprenant sur ce point les caractéristiques du projet autorisé le 29 juin 2013, que chacun de ces deux pans est occupé sur une part importante de sa superficie par trois volumes construits en saillie et dotés de baies et balcons ouvrant au nord et au sud, dont les pignons sont hauts de plusieurs mètres, eux-mêmes couverts d'une toiture dont les faîtages respectifs, situés entre les cotes 1829,05 et 1829,55 en façade sud et entre les cotes 1828 et 1829,70 en façade nord, sont orientés selon un axe nord-sud perpendiculaire à la ligne de faîtage située à la cote 1830.
8. Eu égard au nombre, à la localisation, à l'importance ainsi qu'aux dimensions et à la hauteur du faîtage de ces éléments de construction en saillie orientés selon un axe nord-sud, la toiture à volumes multiples du projet critiqué ne saurait être regardée comme répondant en l'espèce aux exigences du règlement de la zone PM1 du POS d'Huez mentionnées au point 6. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir, ainsi qu'ils l'exposent dans leur mémoire enregistré le 19 septembre 2014, que le permis de construire en litige a été délivré sur ce point en violation de l'article PM1-11 du POS d'Huez.
9. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, ni le moyen qu'ont retenu les premiers juges pour annuler partiellement l'autorisation en litige ni aucun autre moyen de la requête n'apparaissent, en l'état de l'instruction, de nature à fonder l'annulation du permis de construire du 29 juin 2013.
Sur l'application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme :
10. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire (...), estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation. ". Aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire (...) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation (...) " ;
11. Le vice relevé au point 8 du présent arrêt affecte la conception générale du projet en litige, qui porte précisément sur le rehaussement de la construction existante, et n'est ainsi pas au nombre de ceux qui sont susceptibles d'être régularisés par la délivrance d'un permis de construire modificatif. Dans ces conditions, la demande de la commune d'Huez et de la SCI Jufra tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions citées au point précédent ne peut être accueillie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont, d'une part, fondés à demander l'annulation du jugement critiqué en ce qu'il a rejeté en partie leur demande dirigée contre le permis de construire du 29 juin 2013 et, d'autre part, fondés à demander l'annulation dans sa totalité de ce permis de construire et de la décision rejetant leur recours gracieux. Il s'ensuit que les conclusions d'appel incident des intimées ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre des requérants, qui ne sont pas partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge respective de la commune d'Huez et de la SCI Jufra le versement aux requérants d'une somme globale de 1 800 euros au titre des frais exposés par eux.
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 décembre 2016 est annulé.
Article 2 : Le permis de construire accordé par le maire d'Huez à la SCI Jufra le 29 juin 2013 et la décision implicite de rejet du recours gracieux du syndicat des copropriétaires de l'immeuble "La Ménandière" et autres contre ce permis sont annulés totalement.
Article 3 : La commune d'Huez et la SCI Jufra verseront chacune au syndicat des copropriétaires de l'immeuble "La Ménandière" et autres une somme globale de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat des copropriétaires de l'immeuble "La Ménandière " et autres, à la commune d'Huez et à la SCI Jufra.
Copie en sera adressée pour information au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre ;
M. Antoine Gille, président-assesseur ;
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2018.
1
2
N° 17LY01017
dm