Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 juillet 2020 et 12 janvier 2021, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 27 juin 2019 du préfet de l'Ain et de lui enjoindre de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois ou à défaut de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois, et dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
3°) à titre subsidiaire, de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Lyon ;
4°) dans tous les cas, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
Mme E... soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il a été rendu à l'issue d'une procédure non contradictoire s'agissant de la disponibilité au Kosovo de son traitement médicamenteux ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure en l'absence de preuve de la désignation régulière du médecin ayant établi le rapport médical prévu par l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le tribunal n'a d'ailleurs pas entièrement répondu à son moyen ;
- cette décision est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen effectif de sa situation ; le préfet aurait dû, compte tenu des courriers qui lui ont été adressés le 19 juin 2018 et le 6 mai 2019, examiner sa demande sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet a par ailleurs suivi de façon automatique le sens de l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- elle méconnaît aussi l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ; elle a été prise en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour prive de base légale les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant un délai de départ volontaire de trente jours ;
- ces décisions méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auquel renvoie l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2020, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Le préfet fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H..., première conseillère,
- et les observations de Me G... substituant Me A..., représentant Mme E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... E..., ressortissante kosovare née en 1981, est entrée irrégulièrement en France le 29 décembre 2014, accompagnée de sa fille mineure, née en janvier 2010. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 30 juin 2015 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 6 mai 2016. Le 10 octobre suivant, le préfet de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours. Par un jugement du 15 juin 2017, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions au motif que le préfet n'établissait pas avoir préalablement saisi pour avis le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme E.... Suivant l'avis du collège des médecins de l'OFII du 13 juin 2018 précisant que les soins dispensés à l'intéressée devaient être poursuivis pendant trois mois, le préfet de l'Ain lui a délivré un récépissé de demande de carte de séjour valable du 13 août au 12 novembre 2018. Le 15 octobre 2018, Mme E... a de nouveau sollicité la délivrance d'un titre de séjour en faisant valoir son état de santé. Par un arrêté du 27 juin 2019, le préfet de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme E... relève appel du jugement du 9 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme E... avait soulevé en première instance un moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en soutenant, en particulier, que la Mianserine et le Laroxyl, médicaments qui lui sont prescrits, ne sont pas disponibles au Kosovo. En s'appuyant sur les éléments produits par le préfet, issus de la base de données médicales européennes MedCOI, pour opposer à l'intéressée la circonstance que les substances actives de ces médicaments sont disponibles au Kosovo, le tribunal s'est borné à exercer son office en répondant au moyen soulevé par Mme E... devant lui et n'a pas soulevé un moyen d'ordre public qu'il aurait dû communiquer aux parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative. L'appelante n'est par suite pas fondée à soutenir que le jugement attaqué aurait été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure et aurait été, pour ce motif, irrégulier.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, la décision portant refus de titre de séjour fait état des conditions d'entrée et de séjour en France de Mme E..., précise les dispositions sur lesquelles elle se fonde en réponse à la demande de l'intéressée du 15 octobre 2018, mentionne l'avis du 19 avril 2019 du collège des médecins de l'OFII et précise que le Kosovo dispose des infrastructures et des médicaments adaptés à la prise en charge de la pathologie de Mme E.... Il en résulte que cette décision n'est pas entachée d'un défaut de motivation. En outre, il ne ressort ni des pièces du dossier, ni des termes de la décision litigieuse que le préfet de l'Ain n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation de l'intéressée au regard de l'ensemble des informations portées à sa connaissance.
4. En deuxième lieu, et ainsi qu'il vient d'être dit, il ressort des énonciations de la décision en litige que le préfet de l'Ain a entendu statuer sur la seule demande de Mme E..., présentée le 15 octobre 2018 et ne s'est ainsi pas expressément prononcé sur la demande de l'intéressée tendant à être admise exceptionnellement au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, laquelle, faite uniquement par l'intermédiaire de son conseil par courrier du 19 juin 2018, n'était au demeurant pas valablement présentée. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le préfet de l'Ain aurait entaché sa décision de refus de titre de séjour d'un défaut d'examen de la situation de Mme E... au regard de ces dispositions doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 de ce code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Selon l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...) ".
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le collège des médecins de l'OFII a émis, le 19 avril 2019, un avis sur l'état de santé de Mme E... au vu notamment d'un rapport médical établi le 28 décembre 2018 par le Dr Pacaud. Si Mme E... soutient qu'il n'est pas établi que ce médecin appartenait à l'OFII ni qu'il aurait été désigné aux fonctions de médecin instructeur, il se déduit toutefois de la décision du 24 septembre 2018 du directeur général de l'OFII portant désignation au collège de médecins de l'OFII, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif sans entacher son jugement d'une omission de réponse à un moyen, que le Dr Pacaud était, à la date de la décision litigieuse, médecin de l'OFII et qu'à ce titre il pouvait régulièrement établir le rapport médical visé par les articles R. 313-22 et R. 313-23 précités.
7. D'autre part, dans son avis du 19 avril 2019, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme E... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le préfet de l'Ain, qui contrairement aux affirmations de l'appelante, n'a pas " automatiquement suivi " cet avis, a quant à lui estimé que le Kosovo disposait des infrastructures et des médicaments adaptés à la prise en charge de la pathologie de Mme E..., dont il a eu connaissance dans le cadre de la précédente instance devant le tribunal administratif de Lyon. L'appelante, qui ne conteste pas qu'il existe un traitement dans son pays d'origine, fait valoir que la pathologie dont elle souffre, liée à un état de stress post-traumatique, a pour origine les violences conjugales dont elle a été victime au Kosovo et qu'elle est donc dans l'impossibilité de se faire soigner efficacement dans ce pays. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier qu'un retour au Kosovo, plusieurs années après les faits, pourrait avoir pour effet de compromettre son accès effectif à un traitement approprié et ce alors que Mme E... dit avoir divorcé, qu'elle a pu bénéficier au Kosovo d'un accompagnement social et médical et que son époux a fait l'objet de plusieurs condamnations judiciaires. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
9. Mme E... soutient qu'elle est divorcée de son époux et qu'elle réside en France depuis quatre ans avec M. F... qui s'occupe de sa fille comme la sienne. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée, qui a vécu jusqu'à l'âge de trente-trois ans dans son pays d'origine, n'apporte aucune pièce de nature à établir les liens qui l'unissent ainsi que sa fille à M. F..., dont la nationalité et la situation administrative en France ne sont pas précisées. Par ailleurs, si elle fait état de ses efforts d'intégration et de la scolarisation de sa fille, âgée de neuf ans à la date de l'arrêté litigieux, il n'est pas établi que la cellule familiale que l'intéressée compose avec sa fille, ne pourrait pas se reconstituer au Kosovo, ni que la jeune C... ne pourrait pas y poursuivre sa scolarité. Par suite, en prenant une décision de refus de titre de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet de l'Ain n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme E... garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni méconnu l'intérêt supérieur de son enfant garanti par le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Il n'a pas davantage entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'appelante.
10. En cinquième lieu, compte tenu de ce qui vient d'être dit, Mme E... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants. "
12. Mme E... soutient qu'elle a fui son pays d'origine en raison des violences conjugales dont elle a été victime, accompagnée de sa fille cadette que son mari a refusé de reconnaître. Toutefois, et ce alors au demeurant que la CNDA a définitivement rejeté sa demande d'asile le 6 mai 2016, l'intéressée n'établit pas l'existence d'un risque actuel en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme D..., première conseillère,
Mme H..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 1er avril 2021.
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N° 20LY01969