Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 novembre 2019 et le 14 août 2020, M. et Mme A..., représentés par Me Puy-Pomalguy, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner l'Etat aux dépens.
Ils soutiennent que leur assujettissement aux prélèvements sociaux à raison des revenus du patrimoine perçus en 2013, 2014 et 2015 méconnaît le principe de libre circulation résultant de l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Par un mémoire, enregistré le 13 mai 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999 ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Vinet, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants italiens résidant en France, ont exercé leur activité professionnelle auprès de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), organisation internationale dont le siège est à Meyrin dans le canton de Genève (Suisse) et dont les installations chevauchent la frontière franco-suisse et étaient affiliés, en qualité de retraités, au régime d'assurance maladie du CERN, le CERN Health Insurance Scheme (CHIS) au titre des années 2013, 2014 et 2015. Ils ont été assujettis, pour un montant total de 793 euros, à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social, à la contribution additionnelle à ce prélèvement et au prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine au titre des années 2013, 2014 et 2015. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 30 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur les conclusions à fin de décharge :
En ce qui concerne la contribution sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, le prélèvement social et la contribution additionnelle à ce prélèvement au titre des années 2013, 2014 et 2015 et le prélèvement de solidarité au titre de l'année 2015 :
2. Aux termes de l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail (...). ".
3. L'adoption d'actes de droit dérivé dans le domaine de la sécurité sociale, qui est prévue par l'article 48 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ne saurait faire obstacle à ce que des contribuables tels que M. et Mme A... puissent invoquer, même en substance, les stipulations relatives à la libre circulation des travailleurs posée à l'article 45 du Traité, notamment, comme c'est le cas en l'espèce, lorsqu'ils n'entrent pas dans le champ des actes de droit dérivé en cause, à savoir le règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Si la coordination des systèmes de sécurité sociale ne découle pas directement de la liberté de circulation posée par l'article 45 du Traité, une telle circonstance ne saurait faire obstacle à ce que ces stipulations soient susceptibles de s'opposer à une entrave prenant la forme de prélèvements obligatoires.
4. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, si les stipulations de l'article 45 du Traité ne sauraient garantir à un assuré qu'un déplacement dans un autre Etat membre soit neutre en matière de sécurité sociale, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des États membres, un tel déplacement pouvant, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour le travailleur sur le plan de la protection sociale, une réglementation nationale n'est toutefois conforme au droit de l'Union, dans le cas où son application est moins favorable, que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l'Etat membre où elle s'applique et qu'elle ne le conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus, de sorte que n'est donc pas conforme au droit de l'Union, et constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs, une réglementation nationale qui a pour effet que le travailleur migrant contribue non seulement au financement du régime de sécurité sociale auquel il est affilié, mais aussi au financement d'un régime de sécurité sociale auquel il n'est pas affilié et qui ne peut donc lui procurer aucun bénéfice, et verse ainsi des contributions à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale dont il ne relève pas.
5. La circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt et non de cotisation sociale par une législation nationale ne signifie pas que, au regard de la prohibition exposée ci-dessus, ce même prélèvement ne puisse être regardé comme prohibé, le critère déterminant étant celui de l'affectation spécifique du prélèvement en cause au financement du système de sécurité sociale de l'Etat concerné. S'agissant d'un ressortissant de l'Union travaillant dans un Etat membre autre que son Etat membre d'origine et qui, ayant accepté un emploi dans une organisation internationale, contribue au régime de sécurité sociale propre à cette organisation, dont il relève, l'obligation faite par la loi d'acquitter une contribution affectée directement et spécifiquement au financement de prestations contributives d'un régime national de sécurité sociale dont il ne relève pas le conduit à contribuer à fonds perdus au financement de ces prestations dès lors que cette obligation est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou un avantage servi par ledit régime national.
6. Il s'ensuit qu'une législation fiscale nationale qui impose à un ressortissant de l'Union travaillant dans un Etat membre autre que son Etat membre d'origine et qui, ayant accepté un emploi dans une organisation internationale, contribue au régime de protection sociale propre à l'organisation dont il relève, de contribuer également au financement d'un régime de sécurité sociale nationale, sans que cette contribution lui ouvre un droit à protection sociale dans cet État en complément de celle dont il bénéficie grâce à l'organisation dont il relève, constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs. Une telle restriction peut néanmoins être admise si elle poursuit un objectif légitime compatible avec les traités, est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général s'appliquant à tous, propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint. Il incombe aux autorités nationales compétentes, lorsqu'elles adoptent une mesure dérogatoire à un principe consacré par le droit de l'Union, de prouver, dans chaque cas d'espèce, que ladite mesure est propre à garantir la réalisation de l'objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. Les raisons justificatives susceptibles d'être invoquées par un État membre doivent donc être accompagnées de preuves appropriées ou d'une analyse de l'aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d'étayer son argumentation.
7. M. A..., qui a la qualité de ressortissant de l'Union européenne travaillant dans un Etat membre autre que son Etat membre d'origine et ayant accepté un emploi dans une organisation internationale, relève du champ d'application de l'article 45 précité du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif à la libre circulation des travailleurs, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le requérant n'était plus, à la date des impositions en litige, engagé dans une relation de travail avec le CERN mais percevait des pensions de retraite de cet organisme, dès lors que l'article 45 du Traité protège les droits qu'il a acquis à l'occasion de cet ancien rapport de travail, notamment en ce qui concerne le régime de sécurité sociale dont il dépend.
8. Etant affilié au régime autonome de sécurité sociale de cette organisation, M. A... n'est pas assujetti aux cotisations sociales finançant les risques couverts par le régime français de sécurité sociale, dont il ne relève pas. L'obligation dans laquelle il s'est trouvé d'acquitter, sur ses revenus du patrimoine, la contribution sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, le prélèvement social et la contribution additionnelle au titre des années 2013, 2014 et 2015 est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou un avantage servi par un régime de sécurité sociale français. Cette obligation, qui ne lui ouvre aucun droit au bénéfice de prestations, le conduit à contribuer à fonds perdus au financement d'un régime dont il ne bénéficie pas tout en contribuant parallèlement au régime dont il bénéficie et le désavantage par rapport aux travailleurs qui, n'ayant pas fait usage de leur liberté de circulation, exercent la totalité de leurs activités en France, seulement astreints à financer le régime de sécurité sociale français, dont ils bénéficient.
9. L'article 45 du Traité prohibe un désavantage, pour les travailleurs ayant exercé la liberté que cette disposition leur reconnaît, par rapport aux travailleurs qui, n'ayant pas fait usage de leur liberté de circulation, exercent la totalité de leurs activités en France et sont ainsi seulement astreints à financer le régime de sécurité sociale français dont ils bénéficient. Par suite, et alors même que les impositions en litige ne présentent aucun caractère discriminatoire dans la mesure où elles s'appliquent indépendamment de la circonstance qu'un citoyen de l'Union ait exercé ou non sa liberté de circulation des travailleurs, M. et Mme A... sont fondés à soutenir que leur assujettissement à la contribution sociale généralisée, à la contribution au remboursement de la dette sociale, au prélèvement social et à la contribution additionnelle à ce prélèvement constitue une entrave à l'exercice par eux de la liberté garantie par l'article 45 du Traité.
10. Aucune justification n'est apportée par l'administration pour justifier la restriction en cause, son caractère adapté et proportionné à l'objectif poursuivi. Ces justifications ne résultent pas davantage de l'instruction.
11. Au titre des années 2013, 2014 et 2015, l'affectation du produit de la contribution sociale généralisée résulte du IV. de l'article L. 136-8 du code de la sécurité sociale, celle du produit de la contribution au remboursement de la dette sociale résulte de l'article 6 de l'ordonnance du 24 janvier 1996, celle du produit du prélèvement social de l'article L. 245-16 du code de la sécurité sociale et celle du produit de la contribution additionnelle à ce prélèvement résulte de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles. Il résulte de ces dispositions que les prélèvements en cause étaient affectés au financement de la Caisse nationale des allocations familiales, du Fonds de solidarité vieillesse, de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, des régimes obligatoires d'assurance maladie, de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés. Ces organismes, y compris le Fonds de solidarité vieillesse et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, ont vocation à financer des prestations qui, eu égard au risque qu'elles couvrent et aux modalités de leur attribution, correspondent à des prestations de sécurité sociale et non à des prestations d'assistance. Eu égard à l'objet de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, consistant à apurer une dette du régime de sécurité sociale occasionnée par le financement de prestations servies dans le passé, cet organisme participe au financement du régime français de sécurité sociale.
12. En outre, il résulte des dispositions de l'article 1600-0 S du code général des impôts, dans sa version applicable en 2015, qu'au titre de cette année, le produit du prélèvement de solidarité est affecté au financement de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, laquelle a vocation à financer des prestations qui, eu égard au risque qu'elles couvrent et aux modalités de leur attribution, correspondent à des prestations de sécurité sociale et non à des prestations d'assistance.
13. Il en résulte que l'obligation faite à M. et Mme A... d'acquitter, au titre des années 2013, 2014 et 2015, la contribution sociale généralisée, la contribution au remboursement de la dette sociale, le prélèvement social et la contribution additionnelle à ce prélèvement et celle d'acquitter, au titre de l'années 2015, le prélèvement de solidarité les conduit à contribuer sans contrepartie au financement du régime de sécurité sociale français, alors que M. A... est affilié au régime de sécurité sociale propre au CERN, et méconnaît les obligations résultant de l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union.
En ce qui concerne le prélèvement de solidarité au titre des années 2013 et 2014 :
14. Il résulte des dispositions de l'article 1600-0 S du code général des impôts, dans sa version applicable en 2013 et 2014, qu'au titre de ces deux années, le produit du prélèvement de solidarité était affecté au Fonds national d'aide au logement, au Fonds national des solidarités actives et au Fonds de solidarité. Ces organismes financent des prestations qui, eu égard aux risques qu'elles ont vocation à couvrir et aux modalités de leur attribution, soit correspondent à des prestations d'assistance et non à des prestations de sécurité sociale, soit ne peuvent être regardées comme relevant d'une branche de sécurité sociale. La soumission des revenus en litige perçus par M. et Mme A... au prélèvement de solidarité ne conduit pas les requérants à financer un régime de sécurité sociale auquel ils ne sont pas affiliés et qui ne peut leur procurer aucun bénéfice, et ainsi à verser des contributions à fonds perdus au financement d'un régime national de sécurité sociale dont ils ne relèvent pas, de sorte que l'obligation dans laquelle ils se trouvent d'acquitter ce prélèvement ne méconnaît pas les obligations découlant de l'article 45 du Traité.
15. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande de décharge de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et de la contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013, 2014 et 2015 ainsi que du prélèvement de solidarité auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. et Mme A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ni, en tout état de cause, à leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens.
DECIDE :
Article 1er : M. et Mme A... sont déchargés de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement social et de la contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013, 2014 et 2015 et du prélèvement de solidarité auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.
Article 2 : Le jugement n° 1703650 du 30 septembre 2019 du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2021.
2
N° 19LY04383