Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 26 mai 2020, Mme A... F..., représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2019 de la préfète de l'Allier ;
3°) d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement du 6° ou du 7° de l'article L. 313-11, ou de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
Mme A... F... soutient que :
- le tribunal administratif ne pouvait lui opposer le défaut d'obtention du visa prévu à l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; en sa qualité de conjoint d'un ressortissant français, elle est dispensée de l'obligation de solliciter ce visa ;
- le refus de titre de séjour méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît également le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît aussi l'article L. 313-14 de ce code et la circulaire du 28 novembre 2012 ;
- la préfète n'a pas pris en compte sa situation personnelle et a entaché sa décision de refus de titre de séjour d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- cette décision méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2020, la préfète de l'Allier conclut au rejet de la requête.
La préfète fait valoir que :
- les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la circulaire du 28 novembre 2012 sont inopérants ;
- les autres moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Mme A... F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale de New-York relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme E..., première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... F..., ressortissante comorienne née en 1976, est entrée sur le territoire métropolitain le 5 février 2019, accompagnée de ses enfants, sous couvert de son passeport et d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", délivré par le représentant de l'Etat à Mayotte. Par un arrêté du 12 novembre 2019, la préfète de l'Allier a rejeté sa demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour en sa qualité de parent d'enfants français et a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, à destination du pays dont elle a la nationalité, tout autre pays pour lequel elle établit être légalement admissible ou dans le département de Mayotte. Mme A... F... relève appel du jugement du 7 avril 2020 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. En premier lieu, l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui régit la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale", prévoit notamment qu'elle est délivrée de plein droit, sauf menace pour l'ordre public : " 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. (...) ". Le titulaire d'une telle carte de séjour, ainsi que l'énonce l'article R. 321-1 de ce code, peut en principe circuler librement " en France ", c'est-à-dire, conformément à ce qui résulte de l'article L. 111-3 du même code, en France métropolitaine, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Mayotte.
3. Toutefois, l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile limite la validité territoriale des titres de séjour délivrés à Mayotte, à l'exception de certains d'entre eux dont ne font pas partie ceux portant la mention " vie privée et familiale ". En vertu du deuxième alinéa de cet article : " Les ressortissants de pays figurant sur la liste (...) des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des Etats membres, qui résident régulièrement à Mayotte sous couvert d'un titre de séjour n'autorisant que le séjour à Mayotte et qui souhaitent se rendre dans un autre département doivent obtenir un visa. Ce visa est délivré, pour une durée et dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, par le représentant de l'Etat à Mayotte après avis du représentant de l'Etat dans le département où ils se rendent, en tenant compte notamment du risque de maintien irrégulier des intéressés hors du territoire de Mayotte et des considérations d'ordre public. ". L'article R. 832-2 du même code précise : " L'étranger qui sollicite le visa prévu à l'article L. 832-2 présente son document de voyage, le titre sous couvert duquel il est autorisé à séjourner à Mayotte, les documents permettant d'établir les conditions de son séjour dans le département de destination, les moyens d'existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour ainsi que les garanties de son retour à Mayotte. / Sauf circonstances exceptionnelles, ce visa ne peut lui être délivré pour une durée de séjour excédant trois mois. (...) ". Sous la qualification de " visa ", ces dispositions instituent une autorisation spéciale, délivrée par le représentant de l'Etat à Mayotte, que doit obtenir l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte dont la validité est limitée à ce département, lorsqu'il entend se rendre dans un autre département. La délivrance de cette autorisation spéciale, sous conditions que l'étranger établisse les moyens d'existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour et les garanties de son retour à Mayotte, revient à étendre la validité territoriale du titre de séjour qui a été délivré à Mayotte, pour une durée qui ne peut en principe excéder trois mois.
4. Les dispositions de l'article L. 832-2, qui subordonnent ainsi l'accès aux autres départements de l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte à l'obtention de cette autorisation spéciale, font obstacle à ce que cet étranger, s'il gagne un autre département sans avoir obtenu cette autorisation, puisse prétendre dans cet autre département à la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions de droit commun et en particulier à la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire telle que prévue à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conjoints, partenaires liés par un pacte civil de solidarité, descendants directs âgés de moins de vingt-et-un ans ou à charge et ascendants directs à charge des citoyens français bénéficiant des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives aux libertés de circulation sont dispensés de l'obligation de solliciter le visa mentionné au présent article. ".
6. Mme A... F... fait valoir qu'en application de ces dispositions, elle était, en sa qualité de conjointe d'un citoyen français, dispensée de l'obligation de solliciter le visa mentionné à cet article. Toutefois, les actes de naissance de ses enfants de nationalité française ne portent pas la mention du mariage dont elle se prévaut et l'intéressée n'apporte aucune autre pièce à l'appui de ses allégations. Dans ces conditions, Mme A... F... n'était pas dispensée de l'obligation de solliciter l'autorisation spéciale prévue à l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avant de gagner le département de l'Allier. Il est constant qu'elle n'a pas obtenu cette autorisation. Elle ne remplit donc pas les conditions pour prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 6° et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, même si Mme A... F... justifie contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, la préfète de l'Allier pouvait légalement et au seul motif qu'elle n'avait pas demandé d'autorisation spéciale aux autorités compétentes de Mayotte, lui refuser la délivrance d'un titre de séjour sur l'un et l'autre de ces fondements.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
8. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, Mme A... F... était entrée très récemment sur le territoire métropolitain après avoir vécu, selon ses déclarations, depuis 2000 à Mayotte, où elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales et où elle a obtenu la délivrance d'un titre de séjour. Elle ne fait état d'aucune intégration dans le département de l'Allier et si elle se prévaut de la scolarisation de ses enfants, nés en 1999, 2009, 2011 et 2016, et de la nationalité française des trois plus jeunes, il ne ressort pas des pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer à Mayotte ni que les enfants ne pourraient pas y poursuivre leur scolarité. Dans ces conditions, l'arrêté ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Il n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée que la préfète a suffisamment examinée.
9. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... F... a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni que la préfète de l'Allier s'est prononcée sur son droit au séjour au regard de ces dispositions. Le moyen tiré de leur méconnaissance doit donc être écarté comme étant inopérant ainsi que celui tiré de la méconnaissance des énonciations de la circulaire du 28 novembre 2012, qui sont dépourvues de caractère impératif.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme A... F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée y compris ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de l'Allier.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme C..., présidente-assesseure,
Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 18 mars 2021.
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N° 20LY01501