Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 juin 2018 et le 22 mars 2019, la SARL Les bains de Propiac, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 avril 2018 ;
2°) de prononcer la décharge de ces droits et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL Les bains de Propiac soutient que :
- elle ne peut pas fournir des titres de transport internationaux puisque sa cliente, la société Jost Europa, assure elle-même le transport des marchandises en République Tchèque ;
- la preuve peut être apportée par tout moyen, aux termes de la doctrine BOI-TVA-CHAMP-30-20-10 n° 50 ; les lettres de voiture comportent le cachet de cette société avec la date de réception des marchandises en République Tchèque ; elle apporte ainsi la preuve, en application de la doctrine administrative, d'un transport de ses marchandises hors de France ; l'administration n'a d'ailleurs pas remis en cause toutes les factures alors qu'elles se présentent toutes de la même façon ;
- elle a produit d'autres justificatifs de la réalité des flux de marchandises ;
- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée n'étant pas justifiés, la majoration de 40 % ne l'est pas non plus ; la situation est différente de celle analysée lors de la précédente vérification de comptabilité puisque la société tchèque est régulièrement immatriculée dans son pays, elle y exerce une activité réelle, elle dépose ses déclarations fiscales et ses déclarations d'échange de biens, les lettres de voiture comportent son cachet, le paiement des factures est effectué par cette société à partir de son compte bancaire détenu en République Tchèque et l'administration n'a pas mis en oeuvre l'assistance administrative internationale.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- pour une partie importante des opérations contrôlées, le lieu de livraison se situe en France dès lors que l'adresse de livraison se situe en France ;
- rien ne permet d'établir que les entrepôts où ont été livrés les marchandises à la société tchèque n'étaient qu'un lieu de transit ; en particulier, les entrepôts de destination appartiennent soit à des entreprises françaises, soit à la société Jost Europa elle-même, mais rien ne permet d'établir l'existence d'un second transport hors de France ; aucun document de suivi ni aucune mention sur les lettres de voiture ne viennent attester du transport des marchandises depuis les entrepôts situés en France vers la République Tchèque ;
- le fait que le numéro intracommunautaire du client apparaisse sur les factures n'est pas un élément de preuve de la livraison intracommunautaire, d'autant que la mention " exonération de TVA - article 262 ter du code général des impôts " n'est pas apposée sur lesdites factures ;
- les déclarations d'échange de biens relèvent d'un processus purement déclaratif et sont donc insuffisantes à elles-seules ; quant à la possession par la société Jost Europa d'un compte en République Tchèque, elle établit seulement un flux financier entre les deux sociétés, mais pas le lieu du flux physique ;
- ni l'attestation du dirigeant de la société Jost Europa, ni les circonstances que les étiquettes des bouteilles comprennent une traduction en langue tchèque et que la société Jost Europa a fait l'objet d'une vérification de comptabilité n'ayant pas donné lieu à rectification, ne suffisent à établir que la totalité des bouteilles ont été transportées hors de France ;
- le volume très important des ventes concernées permet d'établir le caractère délibéré du manquement ; en outre, une précédente vérification de comptabilité avait déjà attiré l'attention de la requérante sur les documents exigés afin de prouver la réalité de la livraison hors de France.
Le ministre de l'action et des comptes publics a produit un nouveau mémoire le 18 octobre 2019, lequel, en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la SARL Les Bains de Propiac ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Les Bains de Propiac, qui exploite une source d'eau minérale qu'elle met en bouteilles et commercialise, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er avril 2010 au 28 février 2013. Des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis à sa charge en raison de la remise en cause de l'exonération dont elle a bénéficié pour des opérations qu'elle avait regardées comme constituant des livraisons intracommunautaires. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des pénalités y afférentes.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Aux termes du I de l'article 258 du même code : " Le lieu de livraison de biens meubles corporels est réputé se situer en France lorsque le bien se trouve en France : a) Au moment de l'expédition ou du transport par le vendeur, par l'acquéreur, ou pour leur compte, à destination de l'acquéreur (...) c) Lors de la mise à disposition de l'acquéreur, en l'absence d'expédition ou de transport ; d) Au moment du départ d'un transport dont le lieu d'arrivée est situé sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne, dans le cas où la livraison, au cours de ce transport, est effectuée à bord d'un bateau, d'un aéronef ou d'un train. ". Aux termes de l'article 262 ter du code général des impôts : " I. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie (...) ". Aux termes de l'article 242 nonies A de l'annexe II à ce code : " I. - Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l'article 289 du code général des impôts sont les suivantes : (...) 12° En cas d'exonération, la référence à la disposition pertinente du code général des impôts ou à la disposition correspondante de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ou à toute autre mention indiquant que l'opération bénéficie d'une mesure d'exonération ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des livraisons intracommunautaires de biens est notamment subordonnée à la condition, d'une part, que l'acquéreur desdits biens soit assujetti à cette taxe ou ait la qualité de personne morale non assujettie et ne bénéficiant pas dans l'Etat membre dans lequel elle est établie d'un régime dérogatoire l'autorisant à ne pas soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée ses acquisitions intracommunautaires et, d'autre part, que le bien ait été expédié ou transporté hors de France par le vendeur, par l'acquéreur ou par un tiers pour leur compte, à destination d'un autre Etat membre. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération. S'agissant de la réalité de la livraison d'une marchandise sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne, pour l'application des dispositions précitées de l'article 262 ter du code général des impôts, seul le redevable de la taxe sur la valeur ajouté est en mesure de produire les documents afférents au transport de la marchandise, lorsqu'il l'a lui-même assuré, ou tout document de nature à justifier la livraison effective de la marchandise, lorsque le transport a été assuré par l'acquéreur.
4. En l'espèce, la société Les Bains de Propiac a pour principal client la société tchèque Jost Europa, qui a une activité de centrale d'achat notamment à destination des pays d'Europe de l'Est. Au cours de la période en litige, l'administration a remis en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée dont avait bénéficié une partie de ces opérations en tant que livraisons intra-communautaires sur le fondement de l'article 262 ter précité, lorsque le lieu de livraison des marchandises en cause apparaissait, tant sur les factures que sur les lettres de voiture et les bons de livraison, comme étant en France. De fait, sur l'ensemble de la période litigieuse, il résulte de l'instruction que les biens ont été livrés à des adresses différentes, dont trois en France, deux étant situés à proximité de la frontière belge et l'une en région parisienne. Les factures ne comportaient, en outre, pas la mention obligatoire " exonération de TVA - Article 262 ter du CGI " prévue par les dispositions précitées de l'article 242 nonies A de l'annexe II au code.
5. Pour contester ces éléments, la société requérante fait valoir que les bouteilles d'eau minérale ont bien été livrées en République tchèque et se prévaut en particulier du cachet de l'entreprise Jost Europa apposé sur les lettres de voiture, assorties pour certaines d'une seconde date, qui serait celle de la livraison en République tchèque selon la requérante. Toutefois, l'apposition de cette seconde date ne saurait en aucun cas être interprétée comme attestant de la réception des marchandises en République tchèque à défaut de toute mention explicite en ce sens et alors, en tout état de cause, que ces documents, intitulés " lettre de voiture nationale ", n'ont vocation à couvrir que le transport des biens par une entreprise donnée, depuis les entrepôts du vendeur jusqu'à l'adresse de livraison en France qui figure sur ce document. Dans ces conditions, les circonstances que l'adresse et le numéro intracommunautaire du client figurent sur les factures, que le règlement des commandes s'est effectué par virement bancaire depuis un établissement bancaire tchèque et que des déclarations d'échanges de biens ont été souscrites, qui ne peuvent constituer que des indices venant au soutien d'élément tangibles, ne sont pas suffisants pour établir les flux réels de marchandises. Il en va de même de l'attestation rédigée par le dirigeant de la société Jost Europa, alors que celui-ci devrait disposer d'un minimum de documents permettant de justifier la réalité du transport et de la réception des biens en République tchèque. S'il est, en outre, justifié d'un étiquetage des bouteilles en langue tchèque, cette circonstance ne suffit pas à établir que toutes les commandes portaient une telle étiquette, d'ailleurs également rédigée en français et en anglais. Enfin, la circonstance que la société Jost Europa aurait fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité s'étant achevée sans rectification ne peut en soi constituer un indice suffisamment précis et direct pour établir la réalité du transport des biens hors de France. Dans ces conditions, c'est à bon droit que, pour les factures en litige, l'administration, qui n'était nullement tenue de mettre en oeuvre la procédure d'assistance administrative internationale, a considéré que les biens en cause avaient été livrés en France et ne pouvaient bénéficier de l'exonération afférente aux livraisons intra-communautaires.
6. La doctrine BOI-TVA-CHAMP-30-20-10 se borne, s'agissant des moyens de preuve, à énumérer les documents susceptibles d'être produits par le contribuable pour justifier le transport ou l'expédition des marchandises, en précisant que la liste n'en est pas exhaustive et que la valeur des justifications apportées doit être appréciée au cas par cas. Il s'en suit qu'elle ne peut être regardée comme comportant une interprétation de la loi fiscale dont les contribuables seraient susceptibles de se prévaloir sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur les pénalités :
7. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
8. Pour mettre à la charge de la SARL Les Bains de Propiac la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par les dispositions précitées, l'administration s'est fondée sur la circonstance que la société, qui détenait les documents de transport attestant d'une livraison en France, ne pouvait ignorer qu'elle ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de l'exonération de taxe, sur l'importance des factures en cause, qui représentent environ 40 % du chiffre d'affaires sur la période vérifiée, et sur la répétition de l'infraction, compte tenu du précédent redressement ayant le même objet qui lui avait été notifié pour la période du 4 avril 2002 au 28 février 2006. Quand bien même les irrégularités constatées lors de ce précédent contrôle étaient plus conséquentes, en l'absence notamment des numéros intracommunautaires des clients et de toute déclaration d'échanges de biens, les irrégularités sont de même nature, à savoir l'insuffisante justification du transport à l'étranger de biens que l'entreprise a regardés comme exonérés en tant que livraisons intra-communautaires. L'importance du montant des omissions constatées et leur caractère répété suffisent à faire regarder l'administration comme apportant la preuve qui lui incombe de l'intention délibérée de la société requérante d'éluder l'impôt et par suite, du bien-fondé de la pénalité de 40 %.
9. Il résulte de ce qui précède que la SARL Les Bains de Propiac n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Les bains de Propiac est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Les bains de Propiac et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme B... présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
N° 18LY02251
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