Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 janvier 2019 et le 22 mars 2019, la SAS Intrawest France Investment, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'ordonner à l'administration fiscale qu'elle exerce son droit de communication sur le fondement de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales afin d'obtenir des relevés bancaires ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble ;
3°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ainsi que le rétablissement de son déficit déclaré ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Intrawest France Investment soutient que :
- en conditionnant la déductibilité des charges d'intérêt et des provisions pour dépréciation des en-cours à des justifications telles que demandées, le tribunal a méconnu son droit à un procès équitable posé par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle n'est en mesure que de produire partiellement les justificatifs des coûts de revient des en-cours de production de biens qui correspondent à des dépenses supportées antérieurement à l'exercice 2008 dans la mesure où la comptabilité de la société GTA a été détruite par un incendie survenu le 24 septembre 2009, ce qui constitue un évènement de force majeur et qu'elle n'a pu obtenir les relevés bancaires de cette dernière ; elle a toutefois pu obtenir à hauteur de 10 049 602 euros des duplicatas des factures ;
- elle apporte toutefois par tout moyen la preuve du montant des en-cours de production ayant fait l'objet d'une provision pour perte au titre des exercices clos en 2009 et 2010 en se référant au prix de vente des actions de la société GTA lors de sa cession à un tiers le 6 juillet 2011 ;
- la position de l'administration aboutit à une double imposition du montant des en-cours, qui n'ont pas fait l'objet d'une déduction initiale mais d'une inscription à l'actif de la SAS GTA.
Par un mémoire, enregistré le 14 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les moyens soulevés par la SAS Intrawest France Investment ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F..., première conseillère,
- et les conclusions de Mme E..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS GTA, qui a appartenu jusqu'au 6 janvier 2011 à un groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts dont la SAS Intrawest France Investment était la société mère, a pour objet la construction et l'aménagement d'un golf situé à Gardegan-et-Tourtirac (33). Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période allant du 1er juillet 2008 au 31 mai 2012 à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause, d'une part, la constitution à la clôture de ses exercices 2009 et 2010 de deux provisions pour dépréciation des en-cours de production comptabilisées à hauteur de, respectivement, 9 279 020 euros et 3 860 396 euros et, d'autre part, la déduction de frais d'emprunts au titre de l'exercice clos en 2009. Elle a en conséquence notifié à la SAS GTA, selon la procédure contradictoire, les conséquences de ces rectifications conduisant à une réduction de ses déficits reportables au titre des exercices clos en 2009 et 2010. En application de l'article 223 A du code général des impôts, la SAS Intrawest France Investment a été informée, par courrier du 29 mai 2013, que la réduction des déficits de la SAS GTA avait pour conséquence son assujettissement à des compléments d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2009 et la réduction de son déficit reportable de l'exercice clos en 2010. La SAS Intrawest France Investment relève appel du jugement du 5 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition et des intérêts de retard et au rétablissement du déficit déclaré.
Sur la régularité du jugement :
2. Les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne visent que les procès portant sur des droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale. Par suite, la SAS Intrawest France Investment ne peut utilement faire valoir que le tribunal, qui n'a eu à se prononcer que sur un litige relatif à l'assiette de compléments d'impôt sur les sociétés et aux intérêts de retard correspondant, aurait méconnu ces stipulations.
Sur le bien-fondé de l'imposition supplémentaire et de la réduction du déficit reportable :
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) Les provisions pour pertes afférentes à des opérations en cours à la clôture d'un exercice ne sont déductibles des résultats de cet exercice qu'à concurrence de la perte qui est égale à l'excédent du coût de revient des travaux exécutés à la clôture du même exercice sur le prix de vente de ces travaux compte tenu des révisions contractuelles certaines à cette date. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 38 ter de l'annexe III au code général des impôts : " Le stock est constitué par l'ensemble des marchandises, des matières premières, des matières et fournitures consommables, des productions en cours, des produits intermédiaires, des produits finis, des produits résiduels et des emballages non destinés à être récupérés, qui sont la propriété de l'entreprise à la date de l'inventaire et dont la vente en l'état ou au terme d'un processus de production à venir ou en cours permet la réalisation d'un bénéfice d'exploitation. Les productions en cours sont les biens ou les services en cours de formation au travers d'un processus de production ". Aux termes de l'article 38 nonies de cette annexe : " Les marchandises, matières premières, matières et fournitures consommables, emballages perdus, produits en stock et productions en cours au jour de l'inventaire sont évalués pour leur coût de revient (...) ". Aux termes de l'article 38 decies de la même annexe : " Si le cours du jour à la date de l'inventaire des marchandises, matières premières, matières et fournitures consommables, produits intermédiaires, produits finis et emballages commerciaux perdus en stock au jour de l'inventaire est inférieur au coût de revient défini à l'article 38 nonies, l'entreprise doit constituer, à due concurrence, des provisions pour dépréciation ".
5. Il résulte de ces dispositions que, si les éléments du stock proprement dit peuvent, le cas échéant, être évalués d'après le cours du jour et leur éventuelle dépréciation être constatée par une provision égale à la différence entre le prix de revient et le cours du jour, les productions en cours doivent être évaluées à leur seul prix de revient et ne peuvent éventuellement donner lieu qu'à une provision pour perte conformément au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.
6. En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité et que ce n'est que lorsqu'il apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis, qu'il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve contraire, le juge de l'impôt devant alors apprécier la valeur des explications respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
7. La SAS GTA, qui a acquis 102 hectares de terrains sur la commune de Gardegan-et-Tourtirac en 1990 et 1991, s'est vu concéder par cette commune, le 28 octobre 2005, la réalisation de la zone d'aménagement concerté (ZAC) d'un parcours de golf de 18 trous et d'un village golfique d'une surface hors oeuvre nette (SHON) de 49 500 m². Le 21 septembre 2006, la SAS GTA a déposé plusieurs permis de construire pour la réalisation d'hôtels, de villas et d'un club house, d'une SHON totale de 35 480 m². A la clôture de l'exercice 2009, correspondant au premier bilan non prescrit, une somme de 14 639 416 euros était inscrite à l'actif du bilan de la SAS GTA au titre des " en-cours de production de biens " correspondant, d'après elle, aux coûts engagés pour la mise en oeuvre de ce projet de construction. Cette somme a été reportée au bilan de l'exercice 2010. A l'ouverture de l'exercice 2009, une somme de 9 279 020 euros a été inscrite au passif du bilan de la société au titre d'une provision pour dépréciation de ses " en-cours de production de biens " afin, d'après la société, de ramener les en-cours de production à la valeur estimée du marché des 49 500 m² de droit à construire sur la ZAC de la commune de Gardegan-et-Tourtirac, des permis de construire obtenus et des études préliminaires effectuées pour la réalisation du golf et des infrastructures immobilières. Au titre de l'exercice 2010, la SAS GTA a comptabilisé une dotation complémentaire aux provisions à hauteur de 3 860 396 euros en vue de correspondre à la valeur vénale du terrain et des droits à construire obtenus sur la ZAC de la commune de Gardegan-et-Tourtirac.
8. Pour remettre en cause les provisions inscrites par la SAS GTA au passif de ses bilans, l'administration s'est tout à la fois fondée sur la circonstance que la SAS GTA ne justifiait pas du montant et de la réalité des en-cours de production de biens à l'origine des provisions en litige et sur le fait que la société ne justifiait pas du montant de la provision. Si, pour la première fois en appel, la SAS GTA produit différents duplicata de factures permettant, selon elle, de justifier à hauteur de 10 049 602 euros les en-cours inscrits en comptabilité, elle se borne à faire valoir, comme elle l'a déjà fait en première instance, pour justifier du montant des provisions en litige, que les parts de la société GTA ont été cédées à un tiers le 6 juillet 2011 pour un prix correspondant approximativement à la valeur d'inscription à son inventaire de ces en-cours, diminuée du montant des provisions constituées. Toutefois, ce prix de cession, déterminé à partir des éléments figurant au bilan de la SAS GTA, ne permet pas de justifier, ainsi que le fait valoir l'administration dans ses dernières écritures, du montant de la perte que la société pouvait inscrire en provision correspondant, conformément au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, à l'excédent du coût de revient des travaux exécutés à la clôture de l'exercice sur le prix de vente de ces travaux compte tenu des révisions contractuelles certaines à cette date. Par suite, et sans qu'il soit, en tout état de cause, nécessaire d'enjoindre à l'administration d'exercer son droit de communication auprès de l'établissement bancaire de la SAS GTA afin d'obtenir les comptes de cette société, ces comptes pouvant permettre, au mieux, de justifier du montant des en-cours de production, la société Intrawest France Investment, ne justifie pas du montant des provisions en litige.
9. En deuxième lieu, l'inscription d'un en-cours de production à l'actif du bilan d'une société a pour objet, en compensant des charges de production déjà supportées et comptabilisées, d'assurer la neutralité du résultat fiscal. Par suite, et alors que la société Intrawest France Investment se borne à alléguer que la société GTA n'aurait pas porté en déduction au titre de l'année de leur paiement les charges correspondant au montant des en-cours de production qu'elle portait en comptabilité, il n'est nullement établi que les rectifications en litige conduiraient à une double imposition.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Intrawest France Investment n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société Intrawest France Investment la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Intrawest France Investment est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Intrawest France Investment et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme C..., présidente-assesseure,
Mme F..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.
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N° 19LY00009
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