Par une requête, enregistrée le 25 mars 2019, M. D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 29 janvier 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2010, 2011 et 2012 et des majorations correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'administration a méconnu la garantie instituée par l'article L. 48 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle n'a pas mentionné les conséquences financières du contrôle dans la proposition de rectification du 6 décembre 2013 ;
- l'administration ne pouvait, pour remettre en cause les charges déduites par son entreprise individuelle, se fonder sur des renseignements qu'elle a obtenus auprès de tiers, dès lors que ces renseignements ne sont pas corroborés par des données propres à l'entreprise ;
- en remettant en cause une partie des charges déduites et non le montant des recettes déclarées, l'administration l'impose à raison de revenus non appréhendés, en méconnaissance du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ;
- la méthode de reconstitution de son bénéfice est viciée, dès lors que la marge bénéficiaire à laquelle elle aboutit est plus élevée que celle relevée chez d'autres contribuables exerçant une activité de même nature ;
- il peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'une instruction du 4 août 1976 précisant qu'en cas de reconstitution des recettes, les bases d'imposition doivent être fixées dans les limites des présomptions susceptibles d'être tirées de renseignements en possession du service ;
- les majorations pour manquement délibéré et pour manoeuvres frauduleuses ne sont pas fondées.
Par un mémoire, enregistré le 23 septembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable, dès lors que la demande de première instance était tardive ;
- les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... C..., présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme G..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a exploité, à Echigey (Côte d'Or), un fonds d'achat-revente de pots catalytiques et d'équipements automobiles sous l'enseigne commerciale BRC, jusqu'au 15 juillet 2012, date à laquelle il a créé, avec son épouse, la SARL BRC dont il est devenu le gérant. L'intéressé et la SARL BRC ont, chacun en ce qui les concerne, fait l'objet de vérifications de comptabilité portant, pour le premier, sur la période du 1er janvier 2010 au 30 septembre 2012 et, pour la seconde, sur la période du 15 juillet 2012 au 30 juin 2013. M. et Mme D... ont parallèlement fait l'objet d'un contrôle sur pièces de leurs déclarations de revenus des années 2010, 2011 et 2012. A la suite de ces contrôles, l'administration a notamment, d'une part, refusé d'admettre en déduction des résultats imposables de M. D... dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux des factures comptabilisées en charges et, d'autre part, procédé à diverses autres rectifications des revenus déclarés par le foyer fiscal. En conséquence des corrections apportées à leurs revenus imposables des années 2010, 2011 et 2012, effectuées au moyen de trois propositions de rectification datées, les deux premières, du 6 décembre 2013 et la dernière du 16 juillet 2014, M. et Mme D... ont été assujettis, au titre de ces trois années, à des compléments d'impôt sur le revenu, que l'administration a assortis, suivant le cas, de majorations pour manoeuvres frauduleuses et de majorations pour manquement délibéré. M. D... relève appel du jugement du 29 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande de décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales : " A l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle au regard de l'impôt sur le revenu ou d'une vérification de comptabilité, lorsque des rectifications sont envisagées, l'administration doit indiquer, avant que le contribuable présente ses observations ou accepte les rehaussements proposés, dans la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou dans la notification mentionnée à l'article L. 76, le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces rectifications ". Il résulte de ces dispositions que l'indication du montant des conséquences financières des rectifications proposées constitue une garantie pour le contribuable vérifié. Par suite, dans le cas où elle procède à la vérification de la comptabilité d'une entreprise dont les bénéfices sont taxés au titre de l'impôt sur le revenu global du foyer auquel appartient le contribuable qui les réalise, l'administration doit indiquer à ce contribuable, par une notification faite à son adresse personnelle, les conséquences financières des rectifications envisagées. En outre, si la proposition de rectification doit indiquer de quelles catégories de revenus relèvent les différentes bases rectifiées, elle n'est pas tenue de ventiler les droits qui résultent des rectifications entre ces différentes catégories.
3. Il résulte de l'instruction que les rehaussements des bénéfices industriels et commerciaux des années 2010, 2011 et 2012 ont été notifiés à M. D..., le 7 décembre 2013, par une proposition de rectification n° 3924 datée du 6 décembre 2013, laquelle ne mentionnait toutefois pas le montant des droits et pénalités qui résultaient du contrôle en matière d'impôt sur le revenu et renvoyait sur ce point à la proposition de rectification n° 2120 du 6 décembre 2013 relative à la détermination du revenu net global imposable de M. D... et de son épouse. La proposition de rectification n° 2120 du 6 décembre 2013, notifiée aux requérants le 7 décembre 2013 à leur domicile personnel, situé à la même adresse que l'entreprise individuelle de M. D..., précise que les rehaussements des revenus de M. et Mme D... des années 2010, 2011 et 2012, dont elle indique les montants, relèvent, respectivement, de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux s'agissant de M. D... et de la catégorie des traitements et salaires et des bénéfices industriels et commerciaux s'agissant de Mme D... et comporte l'indication des conséquences financières du contrôle au titre des années 2010, 2011 et 2012. Si, pour ce faire, cette proposition de rectification agrège les impositions résultant des rehaussements apportés aux bénéfices industriels et commerciaux de M. D... et celles résultant du rehaussement des traitements et salaires et des bénéfices industriels et commerciaux de son épouse, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que l'administration n'était pas tenue de ventiler les droits résultant des rectifications entre les différentes catégories de revenus. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé de la garantie tenant à l'indication du montant des conséquences financières des rectifications proposées sur ses revenus.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'application de la loi :
4. En premier lieu, M. D... soutient que les éléments recueillis par l'administration auprès de tiers qu'elle a utilisés pour remettre en cause la déduction de charges par l'entreprise BRC n'ont été corroborés par aucune constatation propre à l'activité exercée par cette dernière.
5. Il résulte toutefois de l'instruction qu'au cours de la vérification de comptabilité de M. D..., l'administration, après avoir écarté la comptabilité qu'elle a regardée comme irrégulière et non probante, à défaut de livre-journal de nature à justifier des achats et d'inventaire des stocks et en présence constante d'un solde créditeur du compte caisse, a constaté que les charges déduites par l'entreprise individuelle BRC à raison des achats de pots catalytiques auprès de fournisseurs non professionnels n'étaient justifiées que par des factures établies par l'entreprise elle-même pour le compte de ses fournisseurs à l'aide d'un facturier, mentionnant de façon systématique l'achat d'un " lot de pots catalytiques en espèces ", sans précision sur le nombre de biens concernés, que ces achats avaient été payés en espèces, pour des montants annuels compris entre 34 925 euros et 544 877 euros, et que les factures n'étaient corroborées par aucune pièce telle que contrats ou bons de commande. Les fournisseurs non professionnels de l'entreprise, interrogés par l'administration sur la nature et le montant des prestations effectuées, ont indiqué, pour plusieurs d'entre eux, que les factures présentées ne correspondaient à aucun achat ou à des achats dont le montant indiqué était plus élevé que le montant réel. L'administration a remis en cause la déduction des charges correspondantes uniquement dans le cas où les constatations effectuées à partir des réponses obtenues aux demandes de renseignements ont été corroborées par les déclarations de M. D..., qui a reconnu avoir établi de fausses factures ou avoir majoré les montants réels des opérations effectuées.
6. L'administration a également exercé son droit de communication auprès des fournisseurs professionnels de l'entreprise BRC lorsque les achats n'avaient été justifiés que par une facture manuscrite, établie par le requérant alors que les sociétés en cause étaient régulièrement enregistrées au registre du commerce et des sociétés et avaient été réglés en espèces, pour des montants annuels compris entre 1 122 euros et 61 460 euros. Elle n'a remis en cause la déduction des achats correspondants que lorsque le fournisseur en cause a indiqué ne pas avoir réalisé l'opération ou lorsqu'il est apparu, compte tenu du rapprochement des factures présentées et de celles produites par les fournisseurs, que les factures présentées, qui portaient des mentions manuscrites, avaient été falsifiées, ce que le requérant ne conteste d'ailleurs pas. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que, pour remettre en cause la déduction de charges par l'entreprise BRC, l'administration s'est fondée sur des éléments obtenus de tiers qui n'auraient été corroborés par aucune constatation propre à l'entreprise.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'administration s'est bornée à remettre en cause une partie des charges déduites par l'entreprise, et n'a procédé à aucune reconstitution du bénéfice ni remis en cause le montant des recettes qu'elle avait déclarées. Si M. D... fait valoir que la marge bénéficiaire dégagée par son activité, comprise entre 19 et 32 % compte tenu de la remise en cause de la déduction d'une partie des charges, est plus importante que celle réalisée par d'autres contribuables exerçant une activité d'une nature similaire, laquelle est comprise entre 15 et 17 %, cette circonstance, à la supposer établie, ne permet pas, à elle seule, et à défaut de toutes précisions sur les conditions réelles d'exercice des entreprises concurrentes, d'établir le caractère exagéré des impositions en litige.
8. En dernier lieu, il résulte de ce qui précède que l'imposition en litige a été légalement établie. Par suite, M. D... ne peut utilement prétendre qu'elle est contraire au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
9. Si M. D... entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, d'une instruction du 4 août 1976 précisant qu'en cas de reconstitution des recettes, les bases d'imposition doivent être fixées dans les limites des présomptions susceptibles d'être tirées de renseignements en possession du service, cette instruction, qui constitue une simple recommandation, ne comporte aucune interprétation formellement admise de la loi fiscale. Par suite, elle ne peut être opposée à l'administration fiscale sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur les majorations :
10. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) / c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ".
11. En premier lieu, pour appliquer la majoration de 40 % prévue au a) précité de l'article 1729 du code général des impôts aux rectifications résultant de la réintégration de charges non justifiées ou non engagées dans l'intérêt de l'entreprise, l'administration fait valoir que M. D..., en sa qualité de seul maître de l'affaire, ne pouvait ignorer que les charges non justifiées avaient été irrégulièrement comptabilisées et, s'agissant des charges non engagées dans l'intérêt de l'entreprise, que le requérant ne pouvait ignorer qu'il ne pouvait déduire de ses revenus professionnels des dépenses qui n'avaient manifestement pas bénéficié à l'entreprise. L'administration fait également état du caractère répétitif des manquements constatés sur l'ensemble de la période vérifiée. Ce faisant, elle doit être regardée comme ayant apporté la preuve de l'intention délibéré de M. D... d'éluder l'impôt dû, justifiant l'application des majorations de 40 %.
12. En second lieu, l'administration fiscale a assorti les rectifications procédant de la remise en cause de charges fictives de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses prévue au c) de l'article 1729 du code général des impôts, après avoir relevé, d'une part, que M. D... avait établi lui-même des factures d'achat qui ne correspondaient à aucune opération réelle et qu'il avait lui-même falsifié ces factures afin de donner à sa comptabilité une apparence de sincérité, et d'autre part, que ces manoeuvres présentaient un caractère répété et concernaient des charges d'un montant important. Dans ces conditions, l'administration fiscale établit que M. D... a fait usage d'artifices destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle des services fiscaux. Il suit de là que l'administration était fondée à appliquer aux redressements en cause la majoration de 80 % prévue en cas de manoeuvres frauduleuses.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par l'administration fiscale, M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1 : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme C..., présidente-assesseure,
Mme H..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.
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N° 19LY01115
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