Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 16 janvier 2020, M. E..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 15 octobre 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 février 2019 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, dans l'attente de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
M. E... soutient que :
- les décisions ne sont pas suffisamment motivées ;
- en prenant ces décisions, le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;
- en refusant de l'admettre au séjour, sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- il a méconnu le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a méconnu le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Le préfet du Rhône, auquel la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H..., premier conseiller,
- et les observations de Me C..., représentant M. E... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant kosovare, né le 22 mars 1985, est entré irrégulièrement en France en septembre 2010. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 décembre 2010 confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 29 novembre 2011. Il a fait l'objet le 28 février 2012 d'un refus de séjour assorti d'une mesure d'éloignement, décisions confirmées par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 13 juin 2013. Le 18 mars 2013, il a de nouveau fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une mesure d'éloignement. Le 12 mars 2015, le préfet du Rhône a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 7 janvier 2016. Le 3 mai 2017, M. E... a de nouveau sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En l'absence de réponse de l'autorité préfectorale dans le délai de quatre mois, sa demande a donné naissance à une décision implicite de rejet. Le préfet du Rhône a, par arrêté du 7 février 2019, refusé de lui délivrer un titre de séjour, pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de destination. M. E... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 15 octobre 2019 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 7 février 2019.
2. En premier lieu, l'arrêté litigieux énonce, de façon suffisamment circonstanciée, les considérations de droit et de fait qui fondent chacune des décisions qu'il contient. Contrairement à ce qu'indique le requérant, l'arrêté qui mentionne sa date déclarée d'entrée en France, contient des éléments sur la durée de son séjour en France. Si l'arrêté ne mentionne pas l'agression dont il a fait l'objet le 21 juillet 2016, cette circonstance ne révèle ni une insuffisance de motivation ni un défaut d'examen particulier de sa situation dès lors que le préfet n'était pas tenu de motiver distinctement chacun des éléments mis en avant par le requérant à l'appui de sa demande. Par suite, les moyens tirés de ce que les décisions seraient entachées d'une insuffisance de motivation et de ce que le préfet n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation, doivent être écartés comme manquant en fait.
3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...). " Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " (...) L'avis est émis (...) au vu, (...) des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, appelé à se prononcer en décembre 2018 sur la situation de M. E..., a estimé que si son état de santé nécessitait une prise en charge dont l'absence entraînerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié au Kosovo et que son état de santé lui permettait de voyager sans risque pour s'y rendre. Ni les données générales sur lesquelles M. E... se fonde résultant des rapport de l'OSAR pour soutenir que le système de soins est insuffisant au Kosovo, ni les certificats médicaux, ni même le rapport d'expertise produit, qui se bornent à relever que le suivi dont il a besoin ne pourrait lui être assuré au Kosovo, sans exposer les raisons pour lesquelles l'avis émis dans ces documents diverge de celui rendu collégialement par les médecins de l'OFII, ne démontrent qu'il ne pourrait avoir effectivement accès au suivi médical dont il a besoin au Kosovo alors qu'il ressort également du document de synthèse sur le système national de sécurité sociale du Kosovo versé à l'instance que les personnes invalides ou handicapées peuvent être exemptées de cotisations au régime d'assurance maladie et que les assurés bénéficient d'un panier de soins incluant la prise en charge de la santé mentale et le remboursement des médicaments. Par suite, et alors même que M. E... fait valoir que son origine ashkalie constituerait une entrave supplémentaire à l'accès effectif au traitement qui lui est nécessaire, sans toutefois assortir cette allégation de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé, le moyen tiré de ce que le préfet aurait, en prenant l'arrêté en litige, méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Il en va de même, pour les mêmes motifs, du moyen tiré de ce qu'en prenant à son encontre une obligation de quitter le territoire français, le préfet aurait méconnu le 10° de l'article L. 511-4 du code.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Le requérant, qui est célibataire et sans charge de famille, n'apporte malgré la durée de son séjour en France, pas d'éléments suffisants permettant de démontrer une intégration particulière dans la société française de nature à lui conférer un droit au séjour. La promesse d'embauche qu'il a produite est postérieure à l'arrêté préfectoral. Le fait qu'il ait créé un réseau amical en France et qu'il ait poursuivi avec persévérance l'apprentissage de la langue française sont insuffisants à ce titre. Il s'est maintenu sur le territoire en méconnaissance de décisions lui refusant l'asile et le droit au séjour et de mesures d'éloignement et de leurs confirmations juridictionnelles réitérées. Il a fait l'objet d'une condamnation à une peine d'emprisonnement de deux mois par le tribunal correctionnel de Lyon le 27 avril 2016. S'il se prévaut de la présence en France de plusieurs membres de sa famille, il n'établit pas être dépourvu d'attaches privées et familiales dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, son état de santé, qui résulte d'une violente agression dont il a été victime en juillet 2016, ne justifie pas qu'il soit autorisé à séjourner en France. Si le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 29 mai 2017 qui a condamné pénalement l'agresseur de M. E..., a, s'agissant de l'action civile de ce dernier, ordonné avant dire-droit une expertise médicale et renvoyé l'affaire à une audience du 11 janvier 2018, les décisions prises par le préfet ne font pas obstacle à ce que M. E... soit autorisé à revenir en France pour les besoins de cette action. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'arrêté contesté ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. Il ne méconnaît ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ". Les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile laissent à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels que celui-ci fait valoir.
9. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, en indiquant qu'aucun motif exceptionnel ne justifiait la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Rhône n'a pas entaché sa décision de refus de régularisation d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. E....
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 7 février 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme B..., présidente-assesseure,
Mme H..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.
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N° 20LY00193
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