Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2017, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 novembre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de rejeter la demande et l'ensemble des moyens et conclusions de M. D.à Paris et que sa demande d'asile a été déposée auprès du préfet de Paris qui l'a enregistré et lui a délivré une attestation valable jusqu'au 18 janvier 2018, puis à pris les décisions portant transfert vers le Danemark
Le préfet de la Savoie soutient que :
- c'est à tort que le jugement attaqué a estimé que la décision de transfert en litige ne pouvait être légalement prise sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le Danemark applique le règlement de Dublin III comme il en a informé officiellement la Commission le 5 juillet 2013 ; l'accord rendant applicable le règlement Dublin II au Danemark constitue la base juridique pour l'application du règlement n°604/2013 dit Dublin III ;
- le Danemark a formellement reconnu être responsable de la demande d'asile de M. C... et a accepté sa reprise en charge en précisant les modalités de transfert.
Par une mise en demeure en date du 31 janvier 2018, M. C...a été invité à présenter un mémoire en défense.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2018, M.C..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et subsidiairement, demande à la cour d'annuler l'arrêté du préfet de la Savoie du 6 novembre 2017 portant remise aux autorités danoises, et dans tous les cas de condamner l'Etat à verser à Me F... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour lui de renoncer au bénéfice du versement de la part contributive à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le jugement du 8 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du préfet de la Savoie du 6 novembre 2017 est fondé ; aucun des éléments produits par le préfet ne démontre que le Royaume du Danemark aurait accepté de se soumettre au règlement Dublin III du 26 juin 2013, quand bien même l'accord de mars 2006 le faisait entrer dans le champ d'application du règlement dit Dublin II ;
- l'arrêté attaqué du préfet de la Savoie est entaché d'une incompétence territoriale de l'auteur de l'acte ;
le préfet de la Savoie n'était pas compétent pour prendre une telle mesure dès lors qu'il était domicilié à Paris et que sa demande d'asile a été déposée auprès du préfet de Paris qui l'a enregistré et lui a délivré une attestation valable jusqu'au 18 janvier 2018, puis à pris les décisions portant transfert vers le Danemarket assignation à résidence le 19 septembre 2017 en fixant un premier rendez-vous en vue de l'exécution de la mesure au 18 octobre 2017 ;
- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé en fait ayant notamment omis de mentionner la décision de remise prise le 19 septembre 2017 par le préfet de police de Paris ;
- l'arrêté litigieux n'a pas été précédé d'un examen réel et complet de sa situation ;
- le préfet n'établit pas que, préalablement à l'arrêté litigieux, M. C... aurait bénéficier de l'information préalable à la mise en oeuvre de la procédure de remise prévu par le règlement Dublin III et qu'il aurait bénéficier d'un entretien dans les conditions prévues par ce règlement ; le défaut de respect de cette formalité substantielle entache la procédure d'irrégularité et d'illégalité de la décision subséquente ;
- la décision de remise est entachée d'une erreur de fait, le préfet de Paris ayant signalé à tort M. C...en fuite compte tenu de sa non-présentation à la convocation de la préfecture de Paris le 18 octobre 2017 alors que celle-ci était justifiée par des raisons médicales établies ;
- le préfet de Savoie a entaché sa décision d'une erreur de droit en prenant une nouvelle décision de transfert alors que M. C...était déjà l'objet d'un arrêté de remise aux autorités danoises en date du 19 septembre 2017 pris par le préfet de police de Paris et non exécuté ;
- l'arrêté litigieux du préfet de la Savoie méconnaît le champ d'application de la loi et sa compétence ; le préfet de la Savoie ne pouvait légalement que procéder, le cas échéant, à l'exécution de la décision de remise prise par le préfet de police de Paris sans pouvoir légalement prendre une nouvelle décision de transfert ;
- cette décision a pour effet de maintenir M. C... sous procédure Dublin au-delà de la durée de dix-mois posée par ce règlement.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark concernant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un pays tiers au Danemark ou dans tout autre État membre de l'Union européenne et le système "Eurodac" pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin ;
- le règlement (CE) nº 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeE..., première conseillère,
- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Savoie relève appel du jugement du 8 novembre 2017, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 6 novembre 2017 portant transfert de M. C..., ressortissant afghan né le né le 4 juin 1995, vers le Danemark, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et l'a enjoint de procéder au réexamen de sa demande d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et de lui délivrer durant le temps de ce réexamen l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article R. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu du protocole n° 22 annexé au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le Danemark ne participe pas à l'adoption par le Conseil des mesures proposées relevant du titre V de la troisième partie de ce traité, relatif à l'espace de liberté, de sécurité et de justice et, en particulier, aux politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l'asile et à l'immigration, et aucune des dispositions du titre V de la troisième partie du traité, aucune mesure adoptée en application de ce titre, aucune disposition d'un accord international conclu par l'Union en application de ce titre et aucune décision de la Cour de justice de l'Union européenne interprétant ces dispositions ou mesures ou toute mesure modifiée ou modifiable en application de ce titre ne lie cet Etat ou n'est applicable à son égard. Le considérant 42 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit " règlement Dublin III ", ne fait que rappeler ces dispositions en prévoyant que : " Conformément aux articles 1er et 2 du protocole n° 22 sur la position du Danemark annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le Danemark ne participe pas à l'adoption du présent règlement et n'est pas lié par celui-ci ni soumis à son application. ".
3. Toutefois, en vertu d'un accord international conclu avec la Communauté européenne et approuvé par une décision du Conseil du 21 février 2006, le Danemark s'est engagé à participer aux mécanismes prévus par les règlements (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, dit " règlement Dublin II ", et (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin, dit " règlement Eurodac ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 de cet accord : " Le Danemark notifie à la Commission sa décision d'appliquer ou non toute modification des règlements adoptée. La notification est effectuée lors de l'adoption des modifications ou dans un délai de trente jours à compter de celle-ci. ". Enfin, par un courrier du 5 juillet 2013, le Danemark a notifié à la Commission sa décision d'appliquer le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit " règlement Dublin III ", procédant à la refonte du règlement Dublin II. Par conséquent, le Danemark applique le règlement Dublin III et a, d'ailleurs, donné son accord, le 29 mai 2017, pour la reprise en charge de M. C...sur le fondement des dispositions du d) du paragraphe 1 de l'article 18 de ce règlement. Par suite, le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon par le jugement attaqué a annulé en retenant le motif tiré du défaut de base légale son arrêté du 6 novembre 2017 par lequel il avait décidé le transfert de M. C... au Danemark après l'accord des autorités de cet Etat pour sa reprise en charge, en considérant cet arrêté comme dépourvu de base légale au motif erroné que le règlement Dublin III ne s'appliquerait pas au Royaume du Danemark.
4. Il appartient, toutefois, à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur la légalité de la décision de transfert :
5. Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". Aux termes de l'article L. 742-3 du même code : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. ". Aux termes de l'article L. 742-4 de ce code : " I. - L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. (...) ". Aux termes de l'article L. 742-6 de ce code : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".
6. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police de Paris, saisi d'une demande d'asile par M. C... a décidé par un arrêté du 19 septembre 2017 de le remettre aux autorités du Royaume du Danemark après que la consultation du fichier Eurodac eut révélé que M. C... était connu des autorités danoises comme demandeur d'asile à la date du 21 octobre 2015, et que les autorités du Royaume de Danemark eurent expressément accepté le 29 mai 2017 de reprendre en charge l'intéressé. Cet arrêté de remise n'a, toutefois, pas été exécuté. Interpellé par des agents de police judiciaire à Modane, en Savoie, le 6 novembre 2017, dépourvu de document d'identité ou de voyage ou de titre établissant son droit au séjour en France, ainsi que de document établissant l'existence d'un domicile fixe, M. C... a indiqué lors de son interpellation, qu'il souhaitait se rendre à Milan en Italie. Le préfet de la Savoie, ayant identifié l'intéressé sous ses différents alias, a pris à son encontre, par l'arrêté litigieux du 6 novembre 2017, une nouvelle décision de transfert aux autorités danoises. Cet arrêté, s'il ne fait pas état de la précédente décision de remise du préfet de police de Paris, indique toutefois qu'une attestation de demandeur d'asile en application de la procédure Dublin, renouvelable, a été délivrée à M. C... par le préfet de police de paris le 11 juillet 2017, qui l'autorise à se maintenir sur le territoire français jusqu'à son transfert effectif vers le Danemark. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est ni établi, ni même allégué, que M. C... aurait contesté devant le juge de l'excès de pouvoir la légalité de la décision de remise aux autorités danoises prise à son encontre par le préfet de police de Paris le 19 septembre2017, ni que cette décision aurait été annulée avant que le préfet de la Savoie ne se prononce sur sa situation. Dans ces conditions, l'arrêté de remise du préfet de police de Paris n'ayant pas été rapporté et n'étant pas expiré à la date de la décision, le préfet de la Savoie ne pouvait prendre un nouvel arrêté décidant de remettre M. C... aux autorités danoises sur le fondement des articles L. 742-1 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En tout état de cause, le préfet de la Savoie ne peut justifier la prise d'une nouvelle décision de transfert aux autorités danoises au motif allégué, et au demeurant non établi par les pièces du dossier, de l'état de fuite de l'intéressé. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que l'arrêté litigieux est entaché d'illégalité, le préfet de la Savoie ne pouvant qu'exécuter l'arrêté de remise toujours en vigueur du préfet de police de Paris.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 6 novembre 2017 portant transfert de M. C... auprès des autorités danoises. En revanche, eu égard au motif d'annulation de l'arrêté litigieux retenu par le présent arrêt, l'injonction de réexamen de sa demande d'asile de M. C... dans un délai de deux mois prononcé par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon dans le jugement attaqué doit être annulée.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. F..., conseil de M. C..., au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1707992 en date du 8 novembre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à MeF..., conseil de M. C..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... G...C..., à MeF..., et au ministère de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Savoie et Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Chambéry.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président,
Mme E..., première conseillère,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 3 avril 2018.
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N° 17LY04216
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