Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 8 décembre 2016, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 novembre 2016 ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard, subsidiairement de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, dans un délai de deux jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le jugement a méconnu le principe du contradictoire, faute de lui avoir communiqué les pièces produites par le préfet du Rhône le 14 octobre 2016 ;
- le tribunal administratif de Lyon a omis de statuer sur un moyen qui n'était pas inopérant ;
- le tribunal a entaché son jugement d'erreur de fait et de droit ;
S'agissant du refus de délivrance d'un titre de séjour :
- la décision est entachée d'une incompétence du signataire ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que le préfet aurait dû lui demander de compléter son dossier s'il estimait que celui-ci n'était pas complet, s'agissant de pièces indispensables à l'instruction de sa demande ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;
- le préfet du Rhône a méconnu l'étendue de sa compétence ;
- la décision méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, s'agissant de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour au regard de sa situation professionnelle et de sa situation personnelle et familiale ; le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence au regard de son pouvoir de régularisation ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- l'obligation de quitter le territoire est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une incompétence du signataire ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation ;
- elle méconnait l'article L 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine préalable du médecin de l'agence régionale de santé ;
- la charge de la preuve de la disponibilité d'un traitement approprié à son état de santé incombe au préfet, compte tenu du lien de ses troubles avec les traumatismes vécus dans son pays d'origine ; les premiers juges ont inversé la charge de la preuve sur la disponibilité d'un traitement approprié dans son pays d'origine et entaché leur jugement d'erreur de fait ;
- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant le titre de séjour et de l'illégalité de la décision faisant obligation de quitter le territoire ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- elle méconnait les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que Mme D... n'expose pas de moyens et d'éléments nouveaux susceptibles d'avoir une incidence sur la légalité des décisions attaquées et qu'aucun des moyens soulevés par Mme D... n'est fondé.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 janvier 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeB..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante de République Démocratique du Congo née le 30 septembre 1970, déclare être entrée sur le territoire français le 21 mars 2011. Après avoir sollicité sans succès son admission au séjour au titre de l'asile, elle a bénéficié d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade valable jusqu'au 6 novembre 2014. Par décisions du 16 février 2015, le préfet du Rhône a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire en fixant le pays de destination. L'intéressée a saisi le juge de l'excès de pouvoir de ce refus, le tribunal administratif de Lyon ayant rejeté sa requête par jugement du 15 juillet 2015, confirmé en appel par un arrêt de la présente Cour du 9 février 2017. Mme D...a sollicité le 22 mars 2015 la régularisation de sa situation. Par les décisions contestées du 25 janvier 2016, le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel sera renvoyée Mme D...à défaut de se conformer à cette obligation. Par la présente requête, Mme D...relève appel du jugement du 8 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : / 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié " (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ".
3. D'une part, si, en vertu de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire est, en principe, sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par la loi - en particulier pour la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-10 du même code -, subordonnés à la production par l'étranger d'un visa d'une durée supérieure à trois mois, il en va différemment pour l'étranger déjà admis à séjourner en France et qui sollicite le renouvellement, même sur un autre fondement, de la carte de séjour temporaire dont il est titulaire.
4. D'autre part, en vertu des dispositions de l'article R. 221-17 du code du travail, le préfet est l'autorité compétente pour prendre la décision relative à la demande d'autorisation de travail et il ne saurait renvoyer à une décision de ses services à la direction de l'emploi ; que, dans ces conditions, le préfet ne saurait se borner à opposer l'absence de production d'un contrat visé sans méconnaître l'étendue de sa propre compétence ;
5. Pour refuser, par la décision litigieuse du 25 janvier 2016, de délivrer à Mme D... la carte de séjour portant la mention " salarié " qu'elle avait sollicitée le 23 mars 2015 auprès des services préfectoraux du Rhône en produisant un contrat de travail et des fiches de salaires, le préfet du Rhône s'est fondé sur le défaut de visa de long séjour et de contrat de travail visé par l'autorité compétente. Toutefois, le préfet du Rhône n'a pu lui opposer le défaut de contrat de travail visé par la Direction de l'emploi sans entacher sa décision d'une méconnaissance de l'étendue de sa compétence, dès lors que la production d'un contrat de travail visé par l'autorité compétente, loin de ne constituer qu'une simple pièce justificative devant être apportée à l'appui d'une demande faite à l'administration, est un élément constitutif de l'accomplissement de la première phase d'instruction d'une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " et que la possession d'un tel document est une condition de fond à l'obtention d'un tel titre de séjour. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme D... a bénéficié d'une carte de séjour temporaire délivrée sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en qualité d'étranger malade, valable jusqu'au 6 novembre 2014. Dans ces conditions, le préfet du Rhône n'a pu, sans entacher sa décision d'erreur de droit, rejeter sa demande tendant à la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de salariée présentée sur le fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au seul motif qu'elle ne disposait pas d'un visa de long séjour, dès lors qu'elle avait préalablement séjourné régulièrement sur le territoire national en qualité d'étranger malade. Par suite, Mme D... est fondée à demander l'annulation de cette décision de refus.
6. L'annulation de la décision de refus de titre de séjour entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des décisions par lesquelles le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme D...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
9. Eu égard au motif qui fonde l'annulation prononcée par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai de deux mois, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
10. Il résulte de ce qui précède que Mboma Ndongo est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
11. Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 janvier 2017. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C..., conseil de Mme D..., d'une somme de 1 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601463 du tribunal administratif de Lyon du 8 novembre 2016 et les décisions du préfet du Rhône du 25 janvier 2016 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi de Mme D... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de procéder au réexamen de la situation de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me C..., conseil de Mme D..., une somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur. Copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Rhône et au Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
MmeB..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 mai 2018.
N°16LY04083 2
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