Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés le 17 novembre 2017 et le 27 novembre 2017, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 octobre 2017 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à défaut de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commission du titre de séjour aurait dû être consultée ;
- les dispositions du 4° de l'article L. 313-11 ont été méconnues, dès lors que le défaut de visa de long séjour ne pouvait pas lui être opposé ;
- c'est à tort que le préfet lui a opposé une absence de communauté de vie ;
- la fréquence de ses visites à son épouse est directement liée à la précarité financière dans laquelle l'a plongé la durée anormalement longue d'instruction de sa demande ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;
- le préfet a apprécié de façon manifestement erronée les conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;
- les dispositions de l'article L. 311-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues.
Par ordonnance du 5 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 21 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité turque, né en 1967, a épousé le 25 juin 2011 une ressortissante française. Le 24 juillet 2012 il a sollicité un titre de séjour en qualité de conjoint de française. Par l'arrêté du 6 avril 2017 le préfet de l'Isère a rejeté cette demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois. M. A... relève appel du jugement du 19 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté.
Sur les conclusions en annulation :
2. Aux termes du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit :(...) / A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2-1 du même code : " (...) Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour. ". Il résulte de ce dernier texte que l'autorité compétente pour accorder ou pour refuser le visa à un conjoint de ressortissant français séjournant avec lui depuis plus de six mois en France est l'autorité préfectorale. Ces dispositions législatives ouvrent ainsi la possibilité à un étranger qui est entré régulièrement en France et qui a épousé en France un ressortissant français de présenter au préfet une demande de visa de long séjour, sans avoir à retourner à cette fin dans son pays d'origine, à condition d'avoir séjourné en France plus de six mois avec son conjoint. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions, que la durée de six mois de vie commune avec le conjoint français qu'elles exigent s'apprécie quelle que soit la date du mariage.
3. En premier lieu, pour refuser à M. A... de lui délivrer le titre qu'il sollicitait, le préfet de l'Isère, après avoir observé qu'il n'était pas entré en France sous couvert d'un visa de long séjour, a considéré qu'il ne pouvait se prévaloir d'une entrée régulière sur le territoire. L'intéressé a toutefois versé aux débats la copie de son visa Schengen revêtu d'un tampon d'entrée le 13 août 2003 durant la période de validité de ce visa. Il démontre ainsi satisfaire à la condition d'entrée régulière en France, puisqu'il soutient sans être contesté ne plus avoir quitté le sol national depuis cette date et que le préfet ne soutient ni avoir adopté de précédentes mesures d'éloignement ni, à plus forte raison, les avoir mises à exécution.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le préfet de l'Isère a opposé à M. A... le défaut d'entrée régulière sur le sol français pour refuser de mettre en oeuvre les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En deuxième lieu, le préfet de l'Isère a également fondé son refus sur l'absence de communauté de vie. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... ont entretenu une relation de concubinage durant six à huit ans avant leur mariage et que, postérieurement à ce mariage, l'état de santé de l'intéressée, sous traitement médical depuis plusieurs années en raison d'un état dépressif et alcoolique, s'est dégradé, entraînant son placement sous mesure de protection au printemps 2012 et son hospitalisation dans un établissement pour personnes dépendantes situé à une soixantaine de kilomètres du domicile du couple. Depuis cette date, il n'y a plus de communauté matérielle de vie. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est néanmoins efforcé de maintenir un lien affectif avec son épouse, en dépit des graves troubles cognitifs dont elle souffre et de l'éloignement de son lieu d'hébergement, en lui rendant régulièrement visite. Il ressort des pièces versées aux débats que ces visites, mensuelles entre 2013 et 2014, sont devenues trimestrielles. Il ressort également des pièces du dossier que M. A... s'est vu délivrer, durant la période particulièrement longue de quatre ans et huit mois qui a correspondu à l'instruction de sa demande, des autorisations provisoires de séjour ne l'autorisant pas à travailler, et faisant donc obstacle à ce que, durant ce laps de temps, il puisse mener une vie professionnelle normale et subvenir à ses besoins, alors qu'il était autorisé à se maintenir sur le territoire, cette situation le retenant dans une précarité financière qui a pu contribuer à l'espacement des visites. Il ressort également des pièces du dossier que les relations de M. A... l'ont, à plusieurs reprises, régulièrement accompagné gracieusement jusqu'à l'établissement d'hospitalisation où est désormais hébergée son épouse. Dans ce contexte particulier, le maintien d'un lien affectif doit être regardé comme établi et fait obstacle à ce que l'absence de communauté de vie puisse être opposée à M. A....
6. Il résulte de ce qui précède que les deux motifs opposés à M. A... par le préfet de l'Isère n'étaient pas fondés. Par suite, il est fondé à soutenir que le refus qu'il conteste a méconnu les dispositions du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et doit être annulé, tout comme, par voie de conséquence, la mesure d'éloignement ainsi que la décision fixant le pays de destination.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
9. Eu égard aux motifs qui la fondent, et dès lors qu'il résulte de l'instruction que la situation de M. A...n'a pas été modifiée, en droit ou en fait, depuis l'intervention de l'arrêté du 6 avril 2017 dans des conditions telles que sa demande serait devenue sans objet, ou que des circonstances postérieures permettraient désormais de fonder légalement une décision de refus, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement que soit délivré à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de prescrire au préfet de l'Isère de lui délivrer, dans un délai d'un mois, ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 octobre 2017 et l'arrêté du préfet de l'Isère du 6 avril 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au préfet de l'Isère et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 mai 2018.
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N° 17LY03898
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