Par une requête, enregistrée le 6 avril 2018, Mme B..., représentée par Me Pierot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 décembre 2017 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de réexaminer sa demande d'asile dans le délai de trois jours, et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en application de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son Conseil au titre des frais engagés pour l'instance et non compris dans les dépens, par application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'entretien individuel n'a pas été réalisé dans les conditions prévues par l'article 5.5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- les articles 4 du règlement UE n° 604/2013 et 29 du règlement 603/2013 ont été méconnus ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003, abrogé, ne pouvait dès lors servir de base légale ni à l'arrêté contesté ni d'ailleurs au relevé de ses empreintes digitales et à leur transmission à l'unité centrale Eurodac ;
- faute de faire apparaître le critère de responsabilité retenu par les autorités françaises pour le remettre aux autorités suédoises, l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2018, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête en se référant au mémoire en défense qu'il a produit devant le tribunal administratif.
Par ordonnance du 17 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 4 octobre 2018.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente-assesseure, au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité afghane, relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté par lequel le préfet de la Drôme a décidé de la transférer aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Le paragraphe 1 de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride précise : " Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur (...), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ". Le paragraphe 1 de l'article 27 du règlement prévoit, pour sa part, que le demandeur " dispose d'un droit de recours effectif, sous la forme d'un recours contre la décision de transfert ou d'une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction ". Enfin, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ".
3. La décision de transfert d'un demandeur d'asile en vue de sa reprise en charge par un autre Etat membre doit être suffisamment motivée afin de le mettre à même de critiquer l'application du critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande et, ainsi, d'exercer le droit à un recours effectif garanti par les dispositions de l'article 27 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, elle doit notamment faire état des éléments de preuve et indices qui ont permis de déterminer la responsabilité de l'État membre requis pour l'examen de la demande de protection internationale.
4. Il résulte de l'examen des motifs de l'arrêté du 27 novembre 2017, par lequel le préfet de la Drôme a prescrit le transfert de Mme B... vers la Suède, que ceux-ci visent notamment les articles L. 742-1 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et relèvent que les autorités suédoises, saisies le 10 octobre 2017 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 1 b du règlement n° 604/2013 ont fait connaître leur accord le 16 octobre 2017. Toutefois, s'il cite les dispositions du règlement du 26 juin 2013 relatives au mécanisme de reprise en charge par l'Etat responsable d'un étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne, l'arrêté contesté ne comporte aucune indication permettant d'identifier les éléments de preuve et indices qui ont permis de déterminer la responsabilité de la Suède pour l'examen de la demande de protection internationale. Par suite, les motifs figurant dans la décision contestée ne peuvent être regardés comme comportant, comme l'imposent les dispositions précitées de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision de transfert, ni comme permettant à sa destinataire de disposer du recours effectif prévu par le paragraphe 1 de l'article 27 du règlement.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".
7. Le présent arrêt implique seulement qu'il soit statué de nouveau sur le cas de Mme B... et qu'elle soit munie, durant cet examen, d'une attestation de demande d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Drôme de procéder au réexamen de la situation de l'intéressée dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans cette attente d'une telle attestation.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Pierot, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au profit de Me Pierot au titre des frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 décembre 2017 et l'arrêté du préfet de la Drôme du 27 novembre 2017 décidant le transfert Mme B... aux autorités suédoises, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Drôme de statuer à nouveau sur le cas de Mme B... dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, durant cet examen, d'une attestation de demande d'asile.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Pierot, avocate de Mme B..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au préfet de la Drôme, au ministre de l'intérieur et à Me Pierot. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Valence.
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 4 décembre 2018.
5
N° 18LY01273
gt