Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 décembre 2017 et le 3 janvier 2019, MmeC..., succédant à M. C..., décédé le 30 novembre 2018, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 octobre 2017 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme C... soutient que :
- la désignation de M. C...comme bénéficiaire des revenus distribués n'ayant pas été effectuée par la société Emana mais par son avocat, elle ne lui est pas opposable ;
- il ne peut y avoir qu'un seul maître de l'affaire et l'administration devait identifier les revenus perçus par lui.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- la comptabilité de la société Emana n'était pas probante et devait être écartée ;
- le montant du chiffre d'affaires reconstitué par le service n'est pas exagéré ;
- il peut y avoir deux maitres de l'affaire dans le cas de deux personnes soumises à une imposition commune au titre de l'impôt sur le revenu ;
- s'il ne doit y avoir qu'un seul maître de l'affaire, c'est Mme C...qui doit être qualifiée de telle, ce qui conduit à considérer que les revenus distribués ont été appréhendés par le foyer fiscal formé par celle-ci et son mari.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Emana, qui exerce une activité de discothèque, détenue à 75 % par Mme C...et à 25 % par la société Le Club, dont Mme C...détient l'intégralité des parts sociales et est la dirigeante, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2008 et 2009 à l'issue de laquelle elle a été assujettie à des compléments d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. M. et Mme C...ont été assujettis, au titre des années 2008 et 2009, à des compléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, notifiés selon la procédure de redressement contradictoire, résultant de la réintégration dans leurs revenus de sommes que l'administration a regardées comme des rémunérations et avantages occultes au bénéfice de M.C..., imposables sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts. M. et Mme C...ont saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la décharge de ces impositions. M. C...a relevé appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande. M. C...étant décédé le 30 novembre 2018, Mme C...a déclaré reprendre l'instance initialement engagée en son seul nom.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ; (...) ". Aux termes de l'article 47 de l'annexe II du code général des impôts : " Toute rectification du bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés au titre d'une période sera prise en compte au titre de la même période pour le calcul des sommes distribuées ". Il appartient à l'administration d'établir tant l'existence et le montant des revenus distribués que leur appréhension par la personne qu'elle a désignée comme en étant le bénéficiaire.
3. Il résulte de l'instruction que, lors des opérations de vérification de la comptabilité de la société Emana, le vérificateur a constaté que la saisie des recettes de la société était effectuée mensuellement de manière globale, sans référence à des pièces justificatives, sur la base des états journaliers afférents à la seule billetterie sur lesquels étaient portées, par inscription manuscrite, les recettes des caisses des bars et du vestiaire de l'établissement, en principe pour chaque soirée. Ces états devaient ensuite être manuellement additionnés pour obtenir le total de chaque mois porté en comptabilité et ne permettaient pas d'identifier les quantités vendues et les modes de paiement sélectionnés, en l'absence de référence à un document de type brouillard de caisse, retraçant les opérations et permettant d'obtenir ce total mensuel. Les bandes de contrôle des caisses enregistreuses fournies en cours de contrôle ne mentionnaient que le grand total qui est une globalisation pour chaque bar des recettes réalisées sur des périodes de plusieurs mois et ne permettaient ainsi pas de pallier aux insuffisances des états de billetterie tenus par la société Emana. Pour l'année 2008, il a été en outre relevé des ruptures de séquentialité de tickets représentant 672 tickets manquants et l'absence de tout justificatif pour huit soirées, certains documents récapitulant plusieurs soirées et le chiffre d'affaires déclaré à ces occasions apparaissant en outre nettement sous-estimé après comparaison entre les grands totaux d'une soirée à l'autre. Le vérificateur a également constaté des incohérences entre, d'une part, les quantités d'alcool vendues qui apparaissent sur les traitements informatiques et, d'autre part, la quantité d'achats d'alcool sur la même période, après prise en compte de la variation de stock, les premières étant supérieures aux secondes. Ces éléments étaient suffisants pour permettre à l'administration de rejeter la comptabilité comme non probante, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté dans la présente instance. L'administration était donc fondée à reconstituer le chiffre d'affaires de la société Emana.
4. Il résulte de l'instruction que seules les recettes des " bar 1 " et " bar 2 " ont fait l'objet de la reconstitution de chiffre d'affaires litigieuse. Pour ce faire, le vérificateur a calculé les achats revendus à partir des factures d'achats et de la variation des stocks, puis en a soustrait le montant des achats de boissons vendues avec les entrées, lui-même évalué au regard des états de la société relatifs aux entrées augmentés des tickets manquants et non édités. En dernier lieu, l'administration a admis l'application au chiffre d'affaires ainsi reconstitué d'un abattement de 16 % au titre des offerts. Ce faisant, l'administration a suffisamment établi le montant des recettes non déclarées et par suite des revenus considérés comme distribués, lequel n'est d'ailleurs pas davantage critiqué.
5. Pour qualifier M. C...de maitre de l'affaire, l'administration a indiqué qu'il avait été désigné comme bénéficiaire par la société Emana, suite à la vérification de comptabilité de cette société, qu'il s'occupait des commandes des fournisseurs et assurait un véritable travail au sein de la société, mentionnant sa présence lors des soirées et la surveillance du personnel. Ces éléments sont toutefois insuffisants pour faire regarder M. C...comme ayant exercé la responsabilité effective de l'ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société et comme ayant disposé sans contrôle de ses fonds. Ce dernier ne pouvait donc être qualifié de maitre de l'affaire de la société Emana et l'administration ne prouve pas son appréhension des sommes distribuées par cette société.
6. L'administration peut toutefois, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif propre à justifier l'imposition, à condition qu'une telle substitution ne prive le contribuable d'aucune garantie. L'administration demande en l'espèce que le motif tiré de la qualité de maitre de l'affaire de Mme C...soit substitué au motif initialement retenu, tiré de la qualité de maitre de l'affaire de M.C.... Une telle substitution de motif ne prive les contribuables d'aucune garantie.
7. Il résulte de l'instruction que MmeC..., qui détenait directement ou indirectement l'intégralité des parts sociales de la société Emana, dont elle était gérante, était titulaire de la signature sur les comptes bancaires de la société et disposait sans contrôle des fonds sociaux, disposait des pouvoirs les plus étendus sur la société Emana, dont elle était le maitre de l'affaire. L'administration établit donc l'appréhension des sommes distribuées par la société Emana par Mme C...et les impositions litigieuses mises à la charge du foyer fiscal constitué par M. et MmeC..., au titre des années 2008 et 2009, peuvent être maintenues en retenant ce motif.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...C...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 12 février 2019.
2
N° 17LY04106
gt