Procédure devant la cour
I. Par une requête enregistrée le 22 juin 2018 sous le n° 18LY02281, le préfet du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 24 mai 2018 et de rejeter la demande de Mme D....
Il soutient que :
- dès lors qu'aucune défaillance systémique en Espagne n'était invoquée par Mme D..., le magistrat désigné a commis une erreur de droit en se fondant sur le 1. de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 pour annuler sa décision de remise ;
- en l'absence de situation de dépendance entre l'intimée et son père et son frère, les dispositions du 2. de l'article 17 du règlement ne trouvaient pas à s'appliquer ;
- le magistrat désigné n'était pas compétent pour lui adresser une injonction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2018 Mme C... D..., représenté par Me A... conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés et que la décision de transfert est insuffisamment motivée et entaché d'un défaut d'examen particulier.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2018.
II. Par une requête enregistrée le 25 juin 2018 sous le n° 18LY02343, le préfet du Rhône demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 24 mai 2018.
Il soutient que :
- les moyens développés dans sa requête d'appel sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement, le rejet des conclusions fin d'annulation accueillies par le magistrat désigné ;
- le jugement est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables, l'éloignement de l'intéressée devant être organisé avant le 17 octobre 2018.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2018 Mme C... D..., représenté par Me A... conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés et que la décision de transfert est insuffisamment motivée et entaché d'un défaut d'examen particulier.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente-assesseure,
- et les observations de Me A..., représentant Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante de la République du Congo, a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture du Rhône le 12 mars 2018. La comparaison de ses empreintes avec le fichier Eurodac a révélé qu'elle avait déposé une demande d'asile en Espagne le 20 septembre 2017. Par décisions du 22 mai 2018, le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence dans le département du Rhône. Le préfet du Rhône relève appel du jugement du 24 mai 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme D..., de lui remettre le dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de sept jours à compter de la notification du jugement.
2. Les requêtes nos 18LY02281 et 18LY02343 présentées par le préfet du Rhône présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement :
3. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il prononce l'annulation d'un arrêté de remise d'un demandeur d'asile aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile et qu'il est saisi de conclusions en ce sens, d'user des pouvoirs qu'il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative - lesquels peuvent être exercés tant par le juge unique des décisions de transfert que par une formation collégiale - pour fixer les mesures qu'implique nécessairement sa décision, au vu de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date où il statue. Il en résulte que le préfet du Rhône n'est pas fondé à soutenir qu'il n'appartenait pas au magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon, statuant, en vertu du II de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, selon la procédure et dans le délai prévus au III de l'article L. 512-1 de ce code, de lui adresser des injonctions.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre. Cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre. Selon le même règlement, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Le paragraphe 2 de cet article prévoit en effet qu'un Etat membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, " rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels ". La mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ".
5. Pour annuler les arrêtés par lesquels le préfet du Rhône a décidé le transfert de l'intimée aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a considéré qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, il appartenait au préfet du Rhône de faire application de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 et d'examiner la demande d'asile de la requérante.
6. Contrairement à ce qui est soutenu par le préfet du Rhône, le 1. de l'article 17 de ce règlement ne subordonne pas l'application de la clause dérogatoire qu'il prévoit à l'invocation, à l'exclusion de tout autre motif, de l'existence de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre de réadmission. Quant au 2. de ce même article, il n'est pas davantage cantonné aux situations dans lesquelles une situation de dépendance avérée entre le demandeur d'asile et un membre de sa famille est effectivement démontrée, dès lors que les motifs du règlement indiquent que cette clause a vocation à jouer " notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement des membres de la famille, de proches ou de toute autre parent ".
7. Il ressort des pièces du dossier, que, depuis son entrée sur le territoire national Mme D..., qui ne dispose d'aucune attache en Espagne et a quitté le Congo à la suite du décès de sa mère, a retrouvé son père qui l'héberge, et son frère, tous deux titulaires d'une carte de résident de dix ans. Eu égard à l'âge de l'intéressée, à son parcours et à la circonstance que, dépourvue de toute attache en Espagne, elle réside en France au domicile de son père, le préfet du Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire, dans les circonstances de l'espèce, application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ses arrêtés portant remise aux autorités espagnoles et assignation à résidence.
9. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n° 1803448 rendu le 24 mai 2018 par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon, la requête n° 18LY02343 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 18LY02281 du préfet du Rhône est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18LY02343.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C... D.... Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 20 novembre 2018.
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Nos 18LY02281,18LY02343
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