Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 5 janvier 2018, le préfet du Cantal demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 8 décembre 2017.
Le préfet du Cantal soutient que :
- le tribunal ne pouvait annuler les décisions litigieuses au motif que ne figurait pas sur le procès-verbal d'entretien de M. C... la mention du prénom et du nom de l'agent de la préfecture l'ayant conduit en méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 dans la mesure où, d'une part, cet article prévoit seulement que l'entretien doit être mené par une personne qualifiée pour le faire, d'autre part, l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que l'anonymat de l'agent est respecté si des motifs intéressant la sécurité publique et la sécurité des personnes le justifie, et enfin l'entretien individuel ne revêt pas le caractère d'une décision administrative.
- s'il y a une irrégularité celle-ci n'est pas susceptible d'avoir exercé, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, M. C..., représenté par la SCP Borie et associés, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi du 10 juillet 1991.
M. C... soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a jugé que le préfet ne démontre pas que l'entretien individuel a été réalisé par une personne qualifiée en vertu du droit national en violation des dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la préfecture ne répond pas au moyen tiré de ce que l'entretien n'a pas été signé.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'arrêté du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeD..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité soudanaise, est entré irrégulièrement en France le 20 juin 2017. Il s'est présenté à la préfecture du Puy-de-Dôme le 17 juillet 2017 pour y déposer une demande d'asile. Une attestation de demande d'asile lui a été remise ce même jour en application des dispositions des articles L. 741-1 et L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 19 septembre 2017, les autorités italiennes, saisies le 17 juillet 2017 d'une demande de reprise en charge au motif que la France n'était pas l'Etat responsable de l'examen de sa demande, au sens de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont donné implicitement leur accord pour le reprendre en charge. Par deux arrêtés du 2 novembre 2017, le préfet du Cantal a décidé de transférer l'intéressé aux autorités italiennes et de l'assigner à résidence. Le préfet du Cantal relève appel du jugement en date du 8 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ses décisions du 2 novembre 2017 et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. C... en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur le motif d'annulation du tribunal :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
3. Aucune disposition n'impose la mention sur le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 précité de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien ni la signature de l'entretien par l'agent. En vertu des dispositions combinées des articles L. 741-1 et R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et de l'arrêté du 20 octobre 2015 désignant les préfets compétents pour enregistrer les demandes d'asile et déterminer l'Etat responsable de leur traitement, le préfet du Puy-de-Dôme était compétent pour enregistrer la demande d'asile de M. C... et procéder à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande. Par suite, les services de la préfecture du Puy-de-Dôme, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile mis en place dans cette préfecture, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été reçu en entretien par un agent de la préfecture du Puy-de-Dôme le 17 juillet 2017. Le procès verbal d'entretien, sur lequel est apposé le cachet de la préfecture, mentionne que l'entretien a été mené par un agent de la préfecture, ce qui est suffisant pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du préfet du Cantal méconnaîtrait les dispositions sus rappelées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'aucune des mentions du compte-rendu d'entretien individuel réalisé au sein de la préfecture du Puy-de-Dôme, par un agent de ladite préfecture, ne permettrait de s'assurer que cet entretien aurait été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national n'est pas fondé. Il suit de là que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du 2 novembre 2017 par lequel le préfet du Cantal a décidé de transférer l'intéressé aux autorités italiennes et, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour portant assignation à résidence de l'intéressé.
4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et devant la cour.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :
5. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. ".
6. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'entretien qui s'est déroulé le 17 juillet 2017 au sein de la préfecture du Puy-de-Dôme, M. C..., qui a déclaré parler arabe, a bénéficié de l'assistance d'un interprète dans cette langue. Si l'intéressé fait valoir que la langue arabe pratiquée par l'interprète n'est pas celle qu'il parle, toutefois, à supposer ces faits avérés, il résulte des mentions portées sur le compte rendu d'entretien que l'intéressé a pu exposer son parcours ainsi que ses conditions d'entrée en France. Il ne se prévaut par ailleurs d'aucun élément dont'il n'aurait pu faire état à cette occasion. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien ne se serait pas déroulé avec l'aide d'un interprète dans une langue qu'il comprend n'est pas fondé.
7. Le paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
8. l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complété par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si cette présomption est réfragable, M. C... se borne à invoquer un rapport de l'OSAR, dont il ne précise pas la date, faisant état des retards de traitement des demandes d'asile en Italie, qui ne permet pas de remettre en cause cette présomption. Par ailleurs, M. C... n'apporte aucun élément permettant de démontrer qu'il existerait, dans son cas individuel, un risque particulier que sa demande d'asile ne soit pas examinée. Par suite M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'en décidant sa remise aux autorités italiennes le préfet du Rhône aurait méconnu les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 ou aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du même règlement.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :
9. Compte tenu de ce qui précède, M. C... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de son transfert aux autorités italiennes à l'encontre de l'assignation à résidence dont il fait l'objet.
10. Les autres moyens soulevés par M. C... à l'encontre de l'arrêté portant assignation à résidence, tirés de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et des articles 3-2 et 17 du même règlement, sont inopérants à l'encontre de cette décision.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Cantal est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ses arrêtés du 2 novembre 2017 portant transfert aux autorités italiennes et assignation à résidence de M. C... et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. C... en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1702222-1702223 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont Ferrand du 8 décembre 2017 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à la SCP Borie et associés et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Cantal. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Aurillac en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
MmeA..., première conseillère,
MmeD..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 mai 2018.
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N° 18LY00052
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