Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 novembre 2018, M. C..., représenté par Me Bescou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 2 novembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 septembre 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités portugaises en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 26 octobre 2018 par lequel il l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. C... soutient que :
- l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 a été méconnu dès lors que l'entretien s'est déroulé en langue anglaise alors qu'il a indiqué pouvoir s'exprimer en langue portugaise ;
- en ne précisant pas sa date de présentation à la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile, le préfet n'a pas justifié avoir saisi les autorités portugaises dans le délai de trois mois prévu par l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la décision de transfert litigieuse méconnait les articles 6, 10 et 17 du même règlement, ainsi que le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990, dès lors que sa compagne, mère de ses cinq enfants, se trouve placée en procédure normale ;
- la décision d'assignation à résidence est illégale car elle repose sur une décision de transfert illégale.
La requête a été communiquée au préfet du Rhône, qui n'a pas présenté d'observations.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme A..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité angolaise, est entré irrégulièrement sur le territoire français au printemps 2018 et y a sollicité l'asile. Le préfet du Rhône, constatant qu'il était entré quelques mois auparavant sur le territoire de l'union européenne sous couvert d'un visa délivré par les autorités portugaises, a saisi ces autorités d'une demande de prise en charge. Suite à leur accord, il a prononcé à l'encontre de M. C... une décision de transfert aux autorités portugaises responsables de l'examen de sa demande d'asile, puis une décision d'assignation à résidence, qui lui ont été notifiées ensemble le 26 octobre 2018. Il a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions. Il relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement. (...) ". Aux termes de l'article 10 du même règlement : " Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " (...) chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ".
3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la compagne de M. C..., avec laquelle il a eu cinq enfants et dont le préfet, qui n'a pas produit d'observations, ni en première instance ni en appel, ne conteste pas qu'elle peut se voir qualifier de " membre de la famille " de M. C... au sens des dispositions du g) de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, s'est vu délivrer, le 31 mai 2018, une attestation de demande d'asile en procédure " normale ", et qu'elle était présente en France avec les cinq enfants du couple à la date de la décision litigieuse. Si M. C..., qui a voyagé séparément du reste de sa cellule familiale, ignorait, lors de son entretien individuel, leur arrivée en France, il a toutefois indiqué le nom de sa compagne et de leurs cinq enfants, ainsi que cela ressort du compte rendu de cet entretien. Ainsi, et alors même que M. C... n'a pas exprimé par écrit son souhait de voir examiner sa demande d'asile conjointement avec celle de sa compagne avant la décision de transfert litigieuse, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en prononçant le transfert de M. C... au Portugal alors que sa compagne avait déjà été autorisée, à cette date, à enregistrer sa demande d'asile en France. Il suit de là que cette décision doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, la décision litigieuse d'assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
4. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
6. Le présent arrêt, qui annule la décision de transfert, implique nécessairement, eu égard au motif d'annulation retenu, que, pour son exécution, il soit enjoint d'office au préfet du Rhône de se prononcer à nouveau sur le cas de M. C... en application des dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de transmettre son dossier de demande de protection internationale à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt et de le munir, sans délai, de l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Bescou, avocat de M. C..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Bescou renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 27 septembre 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé la remise de M. C... aux autorités portugaises en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 26 octobre 2018 par lequel il l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours sont annulés, ainsi que le jugement du 2 novembre 2018 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de transmettre le dossier de demande de protection internationale de M. C... à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt et de le munir de l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Bescou au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Bescou renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 25 juin 2019.
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N° 18LY04191
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