Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 août 2017, la SARL Les Demeures villageoises prise en la personne de son mandataire ad hoc M. A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 juin 2017 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le service s'est placé, implicitement mais nécessairement, sur le terrain de la procédure de répression des abus de droit, sans lui accorder le bénéfice des garanties de procédure attachées à cette voie de droit ;
- les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ont été méconnues, la proposition de rectification mêlant des références erronées ou équivoques à des dispositions inapplicables la rendant inintelligible, et ne permettant pas de comprendre quelle date a été retenue pour le fait générateur, l'exigibilité ni comment les bases imposables ont été déterminées ;
- les travaux ayant été effectués après la vente, seule la qualification de vente en l'état futur d'achèvement serait susceptible d'être retenue, de sorte que ni le fait générateur, ni l'exigibilité de la TVA n'étaient intervenus à la date des cessions en cause et que l'assiette était alors indéterminée ;
- l'exigibilité de la taxe ne pouvait être fixée à la date de l'acte, l'ancien article 269, 2 du code général des impôts, étant incompatible, s'agissant de ventes en l'état futur d'achèvement, avec les dispositions de l'article 10 de la 6e directive (art. 62 de la directive 2006/112/CE) ;
- ces mêmes dispositions ont été abrogées par l'article 16 de la Loi 2010-237 du 9 mars 2010 et ne pouvaient fonder les rappels pour la période postérieure ;
- s'agissant de livraisons d'immeubles pour lesquels les travaux n'étaient ni engagés ni achevés, le fait générateur de la taxe ne pouvait intervenir à la date de l'acte de cession ;
- dès lors que la base d'imposition n'était pas déterminable, le caractère délibéré des omissions déclaratives n'est pas démontré par l'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 12 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 12 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente-assesseure,
- et les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Les Demeures villageoises avait une activité de marchand de biens avant d'être dissoute le 25 juillet 2011. Elle a acquis, le 17 octobre 2008, un immeuble vétuste datant des années 1930 situé 21 rue de la Magnanerie à Grenoble, a fait réaliser des travaux de rénovation et d'amélioration dans les parties communes de l'immeuble puis l'a revendu par lots, entre le 6 octobre 2009 et le 16 septembre 2010, par des actes notariés qui prévoyaient la nécessité, pour les acquéreurs, de réaliser à leurs frais divers travaux de rénovation. Ces cessions ont donné lieu au versement d'une taxe sur la valeur ajoutée calculée sur la marge réalisée par la société. Cette dernière a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011 à l'issue de laquelle le vérificateur a considéré que, compte tenu de la nature et de l'ampleur des travaux réalisés avant la vente et de ceux imposés aux acquéreurs, la société avait réalisé une opération unique concourant à la production d'un immeuble et que les ventes portaient en réalité, non pas sur un immeuble ancien, mais sur un immeuble neuf. Il a en conséquence remis en cause le régime de la marge sous l'empire duquel la société s'était placée, pour imposer l'opération sur le prix total de cession. La société, représentée par son mandataire ad hoc M. A..., relève appel du jugement du 29 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de ce contrôle.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. La société appelante reprend en appel le moyen tiré de ce que l'administration aurait implicitement mais nécessairement entendu réprimer un abus de droit sans pour autant lui accorder les garanties liées à la procédure de répression de tels abus. Ce moyen doit être écarté par adoption des motifs déjà retenus par les premiers juges.
3. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.
4. La proposition de rectification du 18 décembre 2012 comportait l'ensemble des éléments énoncés ci-dessus. Elle énonçait sans ambiguïté que l'administration fiscale estimait que les travaux de réhabilitation entrepris ayant concouru à la production d'un immeuble, elle entendait assujettir le montant des ventes à la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions du 7° de l'article 257 du code général des impôts. Elle permettait ainsi à la société requérante de présenter utilement ses observations. La circonstance qu'aient été indiquées les dispositions d'un article qui n'était applicable qu'aux cessions intervenues pour la période postérieure au 11 mars 2010 et que n'ait pas été reprise la citation d'un article du code général des impôts applicable aux cessions intervenues antérieurement, si elle est de nature à affecter le bien-fondé du raisonnement juridique développé dans le document, n'a pas eu pour effet d'en affecter l'intelligibilité et n'affecte pas le caractère suffisant de sa motivation au regard des dispositions précitées. Par ailleurs, le rapprochement du tableau figurant en page 7 de la proposition de rectification, recensant les cessions concernées en faisant apparaître leur date et leur montant, avec le tableau figurant en page 16 de ce même document permettait sans difficulté de reconstituer les modalités retenues par le vérificateur pour arrêter les bases taxables. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne les cessions intervenues avant le 11 mars 2010 :
5. D'une part, aux termes de l'article 35 du code général des impôts : " I. Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : / 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles, (...) / 1° bis Personnes qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles, en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux (...) ". Aux termes de l'article 257 du même code dans sa rédaction en vigueur avant sa modification par l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 : " Sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 6° Sous réserve du 7° : / a) les opérations qui portent sur des immeubles (...) et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux (...) ; / 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles. / Ces opérations sont imposables même lorsqu'elles revêtent un caractère civil. / 1. Sont notamment visés : / b) Les ventes d'immeubles (...) / 2. Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables : / aux opérations portant sur des immeubles ou parties d'immeubles qui sont achevés depuis plus de cinq ans (...) ". Aux termes de l'article 268 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " En ce qui concerne les opérations visées au 6° de l'article 257, la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par la différence entre : / a. D'une part, le prix exprimé et les charges qui viennent s'y ajouter, ou la valeur vénale du bien si elle est supérieure au prix majoré des charges ; / b. D'autre part (...) les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du bien (...). ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 269 du même code, dans sa rédaction en vigueur avant sa modification par l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : / a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué (...) c) Pour les mutations à titre onéreux (...) entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257, à la date de l'acte qui constate l'opération ou, à défaut, au moment du transfert de propriété (...) / 2. La taxe est exigible : / a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 et pour les opérations mentionnées aux b, c, d et e du 1, lors de la réalisation du fait générateur (...) ".
7. Il résulte des dispositions combinées du 6° de l'article 257 et du I de l'article 35 du code général des impôts que les opérations qui portent sur des immeubles et sont réalisées par des marchands de biens ne sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du 6° de l'article 257 que pour autant qu'elles ne relèvent pas du 7° du même article. Ces opérations entrent dans le champ d'application du 7° de cet article si elles ont concouru à la production ou à la livraison d'immeubles, à l'exception des opérations portant sur des immeubles achevés depuis plus de cinq ans.
8. Au cas d'espèce, l'administration a considéré que les dispositions du 6° de l'article 257 n'étaient pas applicables dans la mesure où, eu égard aux travaux réalisés par la société appelante avant de procéder aux cessions en cause, ces dernières devaient être regardées comme correspondant à la livraison d'immeubles qui ne pouvaient être regardés comme ayant été achevés depuis plus de cinq ans. Elle n'a pas entendu requalifier ces cessions en des ventes en l'état futur d'achèvement, qualification qui ne saurait être retenue dès lors que, même si le contrat de vente prévoyait la réalisation de divers travaux, ces travaux avaient vocation à être réalisés par l'acquéreur, lequel n'avait nullement vocation à devenir propriétaire d'ouvrages à venir au fur et à mesure de leur exécution.
9. La société fait valoir que la règle d'exigibilité prévue au 2. de l'article 269 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur, était incompatible, s'agissant des ventes en l'état futur d'achèvement, avec les dispositions de l'article 10 de la sixième directive selon lesquelles la taxe ne devient exigible, pour les livraisons qui donnent lieu à des décomptes ou à des paiements successifs, qu'à l'expiration des périodes auxquelles ces décomptes ou paiements se rapportent. Ainsi qu'il vient d'être exposé, le présent litige ne porte nullement sur des ventes en l'état futur d'achèvement. Il en résulte que le moyen tiré de l'incompatibilité invoquée par la société appelante est sans influence sur la solution du litige.
10. Par suite, la SARL Les Demeures villageoises n'est fondée à critiquer ni le fait générateur, intervenu, en application des dispositions précitées, à la date des contrats de vente, ni la date d'exigibilité retenus pour asseoir les rappels qu'elle conteste.
En ce qui concerne les cessions intervenues après le 11 mars 2010 :
11. D'une part, aux termes de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicables aux cessions intervenues après le 11 mars 2010 : " 1. - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. / 2. Sont considérés : (...) 2° Comme immeubles neufs, les immeubles qui ne sont pas achevés depuis plus de cinq années, qu'ils résultent d'une construction nouvelle ou de travaux portant sur des immeubles existants qui ont consisté en une surélévation ou qui ont rendu à l'état neuf : a) Soit la majorité des fondations ; b) Soit la majorité des éléments hors fondations déterminant la résistance et la rigidité de l'ouvrage ; c) Soit la majorité de la consistance des façades hors ravalement ; d) Soit l'ensemble des éléments de second oeuvre tels qu'énumérés par décret en Conseil d'Etat, dans une proportion fixée par ce décret qui ne peut être inférieure à la moitié pour chacun d'entre eux. (...) ". Aux termes de l'article 268 du même code : " S'agissant (...) d'une opération mentionnée au 2° du 5 de l'article 261 pour laquelle a été formulée l'option prévue au 5° bis de l'article 260, si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; /2° D'autre part (...) / (...) les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble (...) ". Les opérations mentionnées au 2° du 5 de l'article 261 sont les livraisons d'immeubles achevés depuis plus de cinq ans.
12. D'autre part, aux termes de l'article 269 du code général des impôts dans sa rédaction applicables aux cessions intervenues après le 11 mars 2010 : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : / a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué (...) / 2. La taxe est exigible : / a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 et pour les opérations mentionnées aux b et d du même 1, lors de la réalisation du fait générateur (...) "
13. Il résulte de ces dispositions que l'administration fiscale ne s'est pas méprise sur le moment où est intervenu le fait générateur de l'impôt ni sur sa date d'exigibilité en les arrêtant à la date de chacun des actes de cession.
Sur les pénalités :
14. Pour contester les pénalités qui lui ont été appliquées, la société appelante soutient qu'à la date des actes de cession, la base d'imposition qui a été retenue in fine par le service n'était pas déterminable, de sorte que la preuve du caractère délibéré de l'omission invoquée par l'administration ne serait pas apportée. Il résulte de ce qui a été dit précédemment, d'une part, que la base imposable correspondait au prix indiqué dans les actes notariés, et, d'autre part, que le fait générateur est intervenu à la date des contrats de vente. Par suite, l'argumentation tirée de ce que le caractère indéterminé de la base d'imposition ferait obstacle à l'application des pénalités contestées doit être écartée.
15. Il résulte de ce qui précède que la SARL Les Demeures villageoises n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Les Demeures villageoises est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., mandataire ad hoc de la SARL Les Demeures villageoises et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 janvier 2019.
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N° 17LY03203
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