I) Par une requête, enregistrée le 21 juin 2016, sous le n° 16LY02074, M. B... C..., représenté par Me Bret, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1601441 du tribunal administratif de Grenoble du 16 juin 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 mars 2016 par lequel préfet de la Drôme lui a refusé un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté préfectoral est illégal ;
- il a reconnu sa fille moins d'un an après sa naissance ;
- il exerce l'autorité parentale en commun avec la mère en vertu de l'article 372 du code civil ;
- il s'est toujours occupé de sa fille moralement et matériellement ;
- sa vie de couple avec la mère de son enfant a existé avant la naissance de celle-ci comme après ;
- Mme A...n'a pas engagé d'action en contestation de paternité ;
- les poursuites pénales ont été abandonnées ;
- en sa qualité de père d'une enfant française, il doit se voir délivrer de plein droit un titre de séjour de dix ans ;
- l'article L. 511-4 du CESEDA fait obstacle à son éloignement dès lors qu'il s'occupe de sa fille depuis sa naissance et depuis plus de deux ans.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 25 et 28 juillet 2016, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête en s'en rapportant à ses écritures de première instance.
II) Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2016 sous le n° 16LY02402, M B... C..., représentée par Me Bret, avocat, demande à la cour :
1°) de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui accorder sans délai un récépissé ou une autorisation provisoire de séjour portant autorisation de travailler sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ce jugement aura des conséquences difficilement repérables car il perdra immédiatement son emploi et ne pourra plus subvenir aux besoins de son enfant ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République tunisienne en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Deliancourt a été entendu au cours de l'audience publique.
Sur les conclusions à fins d'annulation présentées dans la requête n° 16LY02074 :
1. Considérant que M.C..., ressortissant tunisien né le 4 juin 1977, s'est vu délivrer par le préfet de la Drôme un titre de séjour valable du 28 février 2014 au 27 février 2015 en sa qualité de père d'une enfant française, DolorèsA..., née le 14 avril 2010 ; que, par l'arrêté contesté n° 16-260160 du 4 mars 2016, le préfet de la Drôme a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement présentée le 5 janvier 2015 au motif que l'intéressé aurait frauduleusement reconnu cet enfant dans le seul but de permettre la régularisation de sa situation ;
2. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés ; que, par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il dispose d'éléments précis et concordants de nature à établir, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou après l'attribution de ce titre, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait ;
3. Considérant que, pour refuser de renouveler le titre de séjour de M.C..., le préfet de la Drôme s'est fondé sur les déclarations de Mme D...A..., ressortissante française mère de l'enfant Dolorès reconnue par le requérant, consignées dans le procès-verbal d'audition de cette dernière qui s'est déroulée le 20 octobre 2014 au commissariat de police de Marseille dans le cadre d'une enquête préliminaire pour des faits d'aide au séjour, reconnaissance d'enfant en vue d'obtenir un titre de séjour et obtention indue de documents administratifs, au cours de laquelle elle a affirmé que M. C...n'était pas le père biologique de son enfant Dolorès, qu'elle avait été mise en relation avec lui par un dénommé "Couscous" qu'elle n'a pas été en mesure d'identifier plus précisément, et qu'elle avait consenti qu'il reconnaisse la paternité de sa fille en contrepartie du versement d'une somme de 1 500 euros ;
4. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a reconnu l'enfant Dolorès à la mairie du 7e secteur de Marseille dix mois après sa naissance, le 21 février 2011 ; que, convoqué par la compagnie de gendarmerie départementale de Valence, il a déclaré, ainsi que cela ressort du procès-verbal d'audition du 29 juin 2015, être le père biologique de cette enfant ; qu'il a précisément mentionné lors de son interrogatoire les conditions dans lesquelles il avait rencontré MmeA..., leur vie commune, de même qu'il a relaté des éléments détaillés et circonstanciés concernant la reconnaissance de sa fille en mairie ; que ses affirmations selon lesquelles il participe aux dépenses d'entretien de sa fille depuis sa naissance sont corroborées par les relevés de virements bancaires annexés au procès-verbal de son audition, qui démontrent qu'il a adressé à MmeA..., par virements mensuels, les sommes totales de 1 260 euros en 2011, de 1 450 euros en 2012, de 1 250 euros en 2013, de 1 400 euros en 2014 et de 750 euros en 2015 ; qu'il a indiqué, sans que cela soit contesté, se rendre à Marseille deux fois par mois pour voir sa fille et a précisé aux services de la gendarmerie qu'il était prêt à subir un test ADN afin de prouver sa paternité ; que, dans ces conditions, en retenant exclusivement les allégations vagues et peu circonstanciées de Mme A... pour estimer que la reconnaissance de sa fille par M. C...revêtait un caractère frauduleux, le préfet de la Drôme ne peut être regardé comme ayant fondé sa décision sur des éléments précis et concordants de nature à établir le caractère frauduleux de cette reconnaissance de paternité ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu d'annuler le jugement et la décision contestés ;
Sur les conclusions à fins de sursis à exécution présentées dans la requête n° 16LY02402 :
6. Considérant que, dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué, il n'y a pas lieu de statuer sur celles tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution ;
Sur les conclusions tendant au paiement des frais irrépétibles :
7. Considérant qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser à M. C...une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601441 du 16 juin 2016 du tribunal administratif de Grenoble et l'arrêté du 4 mars 2016 par lequel préfet de la Drôme a refusé à M. C...un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 16LY02402 présentée par M.C....
Article 3 : L'Etat versera à M. C...une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C..., à Me Bret et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme Peuvrel, premier conseiller,
- M. Deliancourt, premier conseiller.
Lu en audience publique le 6 décembre 2016.
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N° 16LY02074, 16LY02402