Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 août 2017, la commune de Beaufort, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société Entreprise Jean Mazza à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais du litige.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal lui a reproché de s'être abstenue de produire une analyse comparative appliquée au sous-critère de la valeur technique car le tableau comparatif d'analyse des offres qu'elle a transmis est l'unique document en sa possession ;
- la consultation ayant été lancée selon une procédure adaptée, elle était dispensée de la rédaction d'un rapport d'analyse des offres ;
- elle a réalisé une analyse comparative des offres au regard de tous les critères et sous-critères définis dans les documents de la consultation ;
- en tout état de cause, l'appelante a obtenu la note maximale au critère " valeur technique " ;
- la circonstance qu'elle a attribué une note identique au critère " valeur technique " à deux candidats dont les offres étaient équivalentes ne suffit pas, à elle seule, à établir qu'elle aurait neutralisé ce critère ;
- elle a fait une juste appréciation de la valeur technique de ces offres ;
- en tout état de cause, l'éviction de la société Entreprise Jean Mazza est dépourvue de lien de causalité avec l'irrégularité alléguée, puisque l'offre de la société Quay était moins disante ;
- son préjudice n'est pas établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2018, la société Entreprise Jean Mazza, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Beaufort au titre des frais du litige.
Elle fait valoir que :
- la commune n'établit pas, par la production du tableau d'analyse des offres, que le critère " valeur technique " n'a pas été neutralisé et qu'elle n'a pas procédé à l'analyse des offres déposées à l'aune du seul critère du prix, en méconnaissance du règlement de la consultation et des obligations de mise en concurrence ;
- elle n'a pris en considération aucun des trois sous-critères du critère " valeur technique ", en violation du règlement de la consultation ;
- une appréciation effective de ces critères et sous-critères aurait emporté un avantage supérieur à son bénéfice compte tenu de l'écart très faible sur le critère " prix " ; elle avait ainsi une chance sérieuse d'emporter le marché ;
- son préjudice est établi par la production d'une attestation comptable.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme E...,
- et les observations de Me B..., représentant la commune de Beaufort et celles de Me D..., représentant la société Entreprise Jean Mazza ;
Une note en délibéré présentée pour la société Entreprise Jean Mazza a été enregistrée le 8 novembre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Beaufort (Savoie) a organisé une mise en concurrence avant la passation, au terme d'une procédure adaptée, du lot n° 2 " Gros oeuvre " des travaux de construction d'une maison médicale pluridisciplinaire. Le marché a été attribué à la société Quay. La société Entreprise Jean Mazza qui avait présenté une offre classée en deuxième position, a demandé au tribunal administratif de Grenoble à être indemnisée du manque à gagner qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière du marché. Par un jugement du 20 juin 2017, le tribunal a fait droit à sa demande en condamnant la commune de Beaufort à lui verser la somme de 8 229 euros assortie des intérêts légaux et de la capitalisation. La commune de Beaufort relève appel de ce jugement.
2. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi.
3. L'article 4 du règlement de la consultation prévoyait que le marché serait attribué au candidat présentant l'offre économiquement la plus avantageuse au regard des critères du prix, pour 60 %, et de la valeur technique, pour 40 %, décomposée elle-même entre les trois critères des moyens techniques, professionnels et humains mis en oeuvre pour le chantier, noté sur 20, des conditions et méthodes d'exécution pour le chantier, noté sur 10, et de l'hygiène, la sécurité et la qualité du chantier, noté sur 10. La société attributaire a obtenu les notes maximales à l'ensemble des critères. La société Entreprise Jean Mazza a obtenu les notes maximales aux trois critères de la valeur technique et la note de 59,84 au critère du prix des prestations.
4. Le cahier des clauses techniques particulières du marché de maîtrise d'oeuvre confiait à son attributaire une mission d'assistance au maître d'ouvrage pour la passation des contrats de travaux (ACT) comprenant l'analyse des offres. A ce titre, le maître d'oeuvre avait pour tâche d'examiner les valeurs économiques et techniques des offres et des variantes sous forme de tableaux comparatifs et d'établir le rapport d'analyse des offres. Il résulte de l'instruction que le maître d'oeuvre a établi un tableau comparatif d'analyse des offres qui comporte, outre ses remarques sur la valeur technique respective des offres des sociétés Quay et Entreprise Jean Mazza, sa proposition au maître d'ouvrage. Ni la circonstance que le rapport et la proposition au maître d'ouvrage n'ont pas été établis par le maître d'oeuvre sur des documents distincts du tableau comparatif et ni l'attribution de la même note aux deux candidates par le pouvoir adjudicateur sur les critères de la valeur technique ne traduisent la volonté de celui-ci d'ôter à ces critères toute portée ou de modifier ainsi les modalités d'appréciation des offres. Il s'ensuit dans ces conditions et contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif de Grenoble en se fondant sur cette seule circonstance que la société Entreprise Jean Mazza n'a pas été irrégulièrement évincée de la conclusion du marché en litige.
5. Il résulte de ce qui précède que la commune de Beaufort est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à indemniser la société Entreprise Jean Mazza.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme au titre des frais du litige soit mise à la charge de la commune de Beaufort, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Entreprise Jean Mazza une somme de 2 000 euros à verser à la commune de Beaufort à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1503943 du 20 juin 2017 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Entreprise Jean Mazza est rejetée.
Article 3 : La société Entreprise Jean Mazza versera à la commune de Beaufort la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Beaufort et à la société Entreprise Jean Mazza.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme C..., président-assesseur,
Mme Vaccaro-Planchet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 novembre 2019.
Le rapporteur,
C. C...Le président,
J-L d'Hervé
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 17LY03188