Par une requête enregistrée le 20 avril 2016 M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) d'annuler la décision du 22 juin 2015 par laquelle la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche lui a retiré ses fonctions dans l'intérêt du service et l'a affecté, à compter du 1er septembre 2014, dans l'emploi de principal du collège Louis Pasteur de Chaudes-Aigues, dans l'académie de Clermont-Ferrand ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de le rétablir dans ses fonctions de proviseur dans un autre lycée de l'académie de Toulouse, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) d'enjoindre également au ministre de l'éducation nationale, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de supprimer cette décision dans son dossier ;
5 °) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C... soutient que :
- à titre principal, la mesure dont il a fait l'objet est une sanction disciplinaire déguisée ; elle a pour effet de le priver des avantages liés à sa fonction ; l'intention était bien de le sanctionner ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure puisqu'il n'a pas été mis en mesure de consulter son dossier ni de présenter des observations et il n'a pas été convoqué devant le conseil de discipline, ni informé de sa tenue ;
- l'arrêté est entaché de détournement de pouvoir, dès lors qu'il comporte une sanction déguisée ;
- la sanction est disproportionnée par rapport aux faits reprochés ;
- à titre subsidiaire, la mesure, si elle n'était pas qualifiée de sanction déguisée, serait quand même illégale puisque la consultation de la commission administrative paritaire s'est déroulée dans des conditions irrégulières et il n'y a pas été convoqué ;
- il n'a pas eu accès effectivement à son dossier ;
- la mesure porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ;
- la décision contestée est dépourvue de tout fondement objectif ;
- elle méconnaît le principe d'équité de traitement des fonctionnaires en matière de déplacement hors procédure disciplinaire ;
- elle viole l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2017, le ministre de l'éducation nationale conclut à la confirmation du jugement attaqué et au rejet de la requête de M. C... en se rapportant, pour l'essentiel, à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 13 mars 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 mars 2017.
Le ministre de l'éducation nationale a produit un autre mémoire, enregistré le 11 avril 2018, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 2001-1174 du 11 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public ;
1. Considérant que M. C... a été nommé proviseur du lycée professionnel Renée Bonnet à Toulouse en 2007 ; que, par un arrêté du 22 juin 2015, la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche lui a retiré ses fonctions dans l'intérêt du service à compter du 1er septembre 2014 et l'a nommé, à compter de cette date, dans les fonctions de principal du collège Louis Pasteur à Chaudes-Aigues dans l'académie de Clermont-Ferrand ; que M. C... relève appel du jugement du 31 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande dirigée contre cette décision ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-8 du code de l'éducation : " Les collèges, les lycées, les écoles régionales du premier degré et les établissements régionaux d'enseignement adapté sont dirigés par un chef d'établissement nommé par le ministre chargé de l'éducation. / Le chef d'établissement représente l'État au sein de l'établissement. Il est l'organe exécutif de l'établissement " ; qu'aux termes de l'article 23 du décret du 11 décembre 2001 ci-dessus visé portant statut particulier du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale : " Tout fonctionnaire pourvu d'une fonction de direction peut se voir retirer cette fonction dans l'intérêt du service. / Au cas où le maintien en exercice d'un chef d'établissement ou d'un chef d'établissement adjoint serait de nature à nuire gravement au fonctionnement du service public, le ministre chargé de l'éducation nationale peut prononcer, à titre conservatoire et provisoire, la suspension de fonctions de l'intéressé qui conserve l'intégralité de la rémunération attachée à son emploi. Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise sur sa situation, l'intéressé est rétabli dans le poste qu'il occupait " ;
3. Considérant qu'une mutation d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier du courrier du 8 avril 2014 adressé par la rectrice de l'académie de Toulouse à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche que, malgré l'efficacité sur le plan technique et l'investissement dont a fait preuve M.C..., son " management des ressources humaines est défaillant " et que ses collaboratrices ont mis en avant ses " manières cassantes et autoritaires " ; que la situation conflictuelle existant entre la direction et certains enseignants, au sein de la direction et entre enseignants du lycée professionnel Renée Bonnet a justifié l'intervention d'une mission d'inspection ; que les inspecteurs généraux ont rédigé en mai 2014 " une note d'alerte sur la situation de M. A...C... " dans laquelle, après avoir souligné " un climat de tension devenu paroxystique " ils ont énuméré les " indices d'une gestion fautive des ressources humaines " ; que le rapport rédigé par ces mêmes inspecteurs en juillet 2014 a conclu que : " Au-delà des fautes de management, c'est la manière dont le proviseur entretient les relations hiérarchiques et interpersonnelles avec ses proches collaborateurs comme avec l'ensemble des personnels placés sous sa responsabilité qui est fautive et s'apparente à un dévoiement de son autorité " ;
5. Considérant que, d'une part, à la suite de cette note puis de ce rapport des inspections générales, M. C... a d'abord été suspendu de ses fonctions, puis affecté comme principal au collège de Chaudes-Aigues dans l'académie de Clermont-Ferrand ; que cette nouvelle affectation dans un collège de moins d'une centaine d'élèves à plus de 250 kilomètres du lieu de sa précédente affectation et de son domicile, a entraîné de profonds changements dans les fonctions de M. C..., auparavant proviseur d'un lycée professionnel de près de 700 élèves, ainsi qu'une baisse sensible de sa rémunération ;
6. Considérant que, d'autre part, il n'est pas contesté que l'arrêté du 22 juin 2015 a eu pour objet de mettre un terme aux " conflits relationnels " persistants au sein du lycée professionnel Renée Bonnet qui ont abouti à un blocage de l'établissement ; que la mutation d'office de M. C... a donc été prise dans l'intérêt du service ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier, en particulier des termes du rapport des inspections générales rappelés au point 4, que cette mesure a également entendu sanctionner le comportement décrit comme fautif de M. C..., notamment à l'égard de ses collègues de la direction ou de certains enseignants ; que, dès lors, alors même qu'elle a également été prise dans l'intérêt du service, la mutation contestée n'en a pas moins revêtu à l'égard de M. C...un caractère disciplinaire ;
7. Considérant que la mesure contestée qui constitue en réalité une sanction, devait être précédée de la réunion du conseil de discipline ; qu'il est constant que cette exigence procédurale, qui constitue une garantie pour l'intéressé, n'a pas été respectée, la commission administrative paritaire n'ayant pas siégé comme conseil de discipline ; que, dans ces conditions, cette irrégularité, qui a effectivement privé M. C... d'une garantie, entache d'illégalité l'arrêté litigieux ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande dirigée contre la décision du 22 juin 2015 par laquelle la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche lui a retiré ses fonctions à compter du 1er septembre 2014 et l'a nommé, à compter de cette date, dans les fonctions de principal du collège Louis Pasteur à Chaudes-Aigues, dans l'académie de Clermont-Ferrand ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Considérant que, d'une part, M. C... demande à la cour d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de le rétablir dans ses fonctions de proviseur dans un autre lycée de l'académie de Toulouse, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ; que la présente décision n'implique pas qu'il soit fait droit aux conclusions ainsi présentées par M. C...qui a été, depuis la mesure en litige, affecté dans différents établissements ;
9. Considérant que, d'autre part, la décision contestée est annulée ; qu'en tout état de cause, elle ne devait pas figurer en tant que sanction dans le dossier de M. C... ; qu'il suit de là qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint également au ministre de l'éducation nationale de supprimer cette décision dans son dossier ;
Sur les frais liés au litige :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais de justice exposés par M.C... ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1501262 du 31 mars 2016 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.
Article 2 : La décision de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche du 22 juin 2015 est annulée en tant que cette décision a retiré à M. C... ses fonctions de proviseur du lycée professionnel Renée Bonnet de Toulouse à compter du 1er septembre 2014 et l'a nommé, à compter de cette date, dans les fonctions de principal du collège Louis Pasteur à Chaudes-Aigues, dans l'académie de Clermont-Ferrand.
Article 3 : L'État versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2018 où siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 mai 2018.
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N° 16LY01373