Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 20 octobre 2020, Mme C..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 juillet 2020 du préfet du Rhône portant remise aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, et ainsi qu'elle en justifie avec de nouvelles pièces, son éloignement contrevient aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'aux articles 10, 16 et 17 du règlement 604/2013 du 26 juin 2013, compte tenu de son état de grossesse ;
- la décision de remise est insuffisamment motivée ;
- il convient de s'assurer que la décision explicite de l'Espagne existe ;
- la mesure litigieuse a été prise en méconnaissance du droit à l'information garanti par l'article 4 du règlement du 26 juin 2013, en l'absence notamment de remise des brochures ;
- l'article 5 du règlement a également été méconnu, l'entretien individuel n'ayant par ailleurs pas été mené par une personne spécialement habilitée ;
- elle n'a pas été informée de son droit d'accès aux données la concernant et le défaut de communication de l'intégralité de son dossier en cours d'instance vicie la procédure ;
- les délais prévus aux articles 21 et 23 du règlement n'ont pas été respectés, de sorte que la France est devenue responsable de sa demande d'asile ;
- la notification de la décision de réadmission est insuffisante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2020, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme G..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante de la République de Guinée, née le 1er janvier 1999, a déclaré être entrée en France le 24 décembre 2019 accompagnée de son enfant mineur, afin d'y présenter une demande de protection internationale. A l'issue de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, ayant fait apparaître un signalement pour franchissement irrégulier des frontières de l'Espagne le 25 septembre 2019, le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités espagnoles par un arrêté du 23 juillet 2020. Mme C... demande à la cour d'annuler le jugement du 7 août 2020 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. L'arrêté prononçant le transfert de Mme C... aux autorités espagnoles vise notamment le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, en particulier son article 13, relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de Mme C..., rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsqu'elle s'est présentée en préfecture en vue de demander l'asile, précise que la consultation du système Eurodac a montré qu'elle était connue des autorités espagnoles pour un franchissement irrégulier de la frontière, indique la date et le numéro de cette identification et fait état de l'accord explicite des autorités espagnoles pour sa prise en charge, ainsi que de l'absence de justification par l'intéressée de l'ancienneté de ses liens sur le territoire national. L'arrêté attaqué comporte ainsi l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, Mme C... ne pouvant en tout état de cause utilement soutenir que le préfet du Rhône aurait dû mentionner son état de grossesse, dont elle ne l'a informé qu'à l'occasion de la notification de l'acte attaqué, lequel est, ainsi, suffisamment motivé.
5. En deuxième lieu, Mme C... reprend en appel les moyens soulevés en première instance tirés de l'absence de production de la décision explicite des autorités espagnoles sur la demande de prise en charge, de la méconnaissance des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, du caractère insuffisant des informations relatives à l'assistance d'un conseil communiquées à l'occasion de la notification de l'arrêté en litige et de son droit à communication de l'intégralité de son dossier. Il y a lieu pour la cour d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
6. En troisième lieu, l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite (...). / 3. (...) la requête aux fins de prise en charge par un autre État membre est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend les éléments de preuve ou indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou les autres éléments pertinents tirés de la déclaration du demandeur qui permettent aux autorités de l'État membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement ". Par ailleurs, l'article 20 du même règlement dispose que : " (...) 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. (...) ".
7. Il résulte des dispositions de l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-670/16, qu'au sens de cet article, une demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. La cour a également précisé, dans cet arrêt, que pour pouvoir engager efficacement le processus de détermination de l'État responsable, l'autorité compétente a besoin d'être informée, de manière certaine, du fait qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité une protection internationale, sans qu'il soit nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu'il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l'application des critères fixés par le règlement Dublin III ou, a fortiori, pour l'examen au fond de la demande, et sans qu'il soit nécessaire à ce stade de la procédure qu'un entretien individuel ait déjà été organisé (point 88).
8. Lorsque l'autorité compétente pour assurer au nom de l'État français l'exécution des obligations découlant du règlement Dublin III a, ainsi que le permet l'article R. 741 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévu que les demandes de protection internationale doivent être présentées auprès de l'une des personnes morales qui ont passé avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) la convention prévue à l'article L. 744 1 de ce code, la date à laquelle cette personne morale, auprès de laquelle le demandeur doit se présenter en personne, établit le document écrit matérialisant l'intention de ce dernier de solliciter la protection internationale doit être regardée comme celle à laquelle est introduite cette demande de protection internationale et fait donc courir le délai de trois mois fixé par l'article 21, paragraphe 1, de ce règlement qui indique également que la requête aux fins de prise en charge doit être présentée dans les meilleurs délais. L'objectif de célérité dans le processus de détermination de l'État responsable, rappelé par l'arrêt précité de la CJUE, serait en effet compromis si le point de départ de ce délai devait être fixé à la date à laquelle ce ressortissant se présente au " guichet unique des demandeurs d'asile " (GUDA) de la préfecture ou celle à laquelle sa demande est enregistrée par la préfecture.
9. Il ressort des pièces du dossier que, le 21 janvier 2020, Mme C... s'est vu remettre une convocation en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile au guichet unique de la préfecture de l'Isère, prévue pour le 27 janvier suivant, établie sur papier à en-tête de la République française, délivrée par le service de premier accueil (SPADA) de l'Isère et mentionnant la présence de son enfant mineur. Il ressort par ailleurs du courrier informant la préfecture d'un résultat positif (" hit ") dans le fichier Eurodac que le relevé des empreintes de la requérante a été effectué le 27 janvier 2020 lors de sa présentation au guichet unique et que ce résultat positif est intervenu le même jour. Le préfet du Rhône a enfin produit à l'instance le formulaire de demande de prise en charge adressé le 26 mars 2020, qui mentionne l'identité du compagnon dont Mme C... invoquait l'existence et ne pouvait par ailleurs faire état de la grossesse de la requérante, survenue postérieurement. Les autorités espagnoles précisent, dans leur courrier d'acceptation, avoir reçu cette demande le 27. Il s'ensuit que la demande de prise en charge a été complétée et adressée, en l'espèce, moins de trois mois après l'introduction par Mme C... de sa demande de protection internationale et dans les deux mois de la réponse positive à l'interrogation du fichier Eurodac. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la France était devenue responsable de sa demande d'asile.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 10 du règlement du 26 juin 2013 : " Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ". L'article 2 du même règlement dispose qu'on entend par " membres de la famille " : " dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres : / - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers ".
11. Si Mme C... se prévaut en l'espèce de la présence en France de M. D... C..., qu'elle présente, sans l'établir, comme son concubin, le père de son enfant mineur et futur père de son enfant à naître, il ressort des pièces du dossier que la demande de protection de ce dernier, qui n'a au demeurant exprimé aucune demande par écrit, a fait l'objet d'une première décision sur le fond le 31 juillet 2019, avant l'entrée en France de la requérante, qui n'est donc en tout état de cause pas fondée, pour ces motifs, à se prévaloir des dispositions précitées pour soutenir que la France serait l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.
12. En cinquième lieu, dès lors que M. D... C... n'est ni le fils, ni le frère, ni le père de la requérante, cette dernière n'est pas fondée, en dépit de son état de grossesse, à se prévaloir des dispositions de l'article 16 du règlement du 26 juin 2013.
13. En dernier lieu, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que Mme C... aurait entretenu une relation de concubinage avec M. D... C... avant l'entrée en France de ce dernier en septembre 2017, ni qu'il serait le père de son fils mineur né le 20 octobre 2016. La seule mention d'une procuration au bénéfice de M. C... sur la déclaration de domiciliation de la requérante ne saurait par ailleurs suffire à justifier de l'ancienneté, ou même de l'existence de cette relation avant l'intervention de l'arrêté attaqué le 23 juillet 2020. La réalité d'une vie familiale n'est en tout état de cause pas davantage suffisamment étayée par l'attestation non circonstanciée du 15 septembre 2020 de M. C... ou sa reconnaissance prénatale de paternité effectuée postérieurement au jugement déféré. Par suite, l'arrêté de remise aux autorités espagnoles n'a pas porté au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale, protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. En s'abstenant, dans ces conditions, de faire usage de la clause discrétionnaire prévue par le 1 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, et alors que Mme C... peut bénéficier d'un suivi de sa grossesse en Espagne, le préfet du Rhône n'a pas davantage commis d'erreur manifeste d'appréciation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'injonction doivent par suite, être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au conseil de Mme C... la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme A..., présidente assesseure,
Mme G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2021.
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N° 20LY03076