Par une requête enregistrée le 27 décembre 2020, M. B..., représenté par Me C..., avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 8 octobre 2020 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées du 21 septembre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile en France en procédure normale et à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 7611 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- son appel est recevable ;
- la décision de transfert est entachée d'erreur de fait et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle méconnaît l'article 29 de ce règlement ;
- elle méconnaît les articles 3.2 et 17 de ce règlement et viole par ricochet l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est également entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision d'assignation à résidence est illégale du fait de l'illégalité de la décision de transfert.
Par un mémoire enregistré le 11 février 2021, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le requérant a bénéficié d'un entretien individuel, dans une langue qu'il comprend et il a pu présenter des observations ;
- la mesure de transfert est intervenue dans les délais requis ;
- il n'est pas démontré que la Suisse aurait mis à exécution une mesure d'éloignement vers son pays d'origine ;
- les articles 3.2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, pas plus que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale n'ont été méconnus ;
- l'assignation à résidence ne comporte pas des mesures disproportionnées.
M. B... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure,
- et les observations de Me C..., représentant M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 1er janvier 1985, de nationalité érythréenne déclare être entré une première fois en France, le 8 septembre 2019. Le 26 septembre 2019, il a présenté une demande d'asile et la consultation du fichier européen Eurodac a fait alors apparaître qu'il avait demandé l'asile en Suisse le 2 juillet 2015. Le 26 décembre 2019, il a fait l'objet d'un arrêté de remise aux autorités suisses dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 24 février 2020. Le 5 juillet 2020, il est entré une seconde fois en France pour y solliciter l'asile. La consultation du fichier Eurodac ayant permis de constater à nouveau que M. B... avait demandé l'asile en Suisse, le 2 juillet 2015, les autorités suisses, saisies le 12 août 2020, sur le fondement de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de reprise en charge, ont donné leur accord explicite par une décision du 13 août 2020. Par décisions du 21 septembre 2020, le préfet du Rhône, d'une part, a ordonné la remise de M. B... aux autorités suisses pour l'examen de sa demande d'asile, d'autre part, l'a assigné à résidence. M. B... relève appel du jugement du 8 octobre 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la légalité de la décision portant transfert aux autorités suisses :
2. En premier lieu, le requérant fait valoir qu'il a porté à la connaissance du préfet un document rédigé le 2 septembre 2019 par les autorités suisses qui établirait selon lui que le tribunal administratif fédéral aurait rendu un arrêt définitif de refus d'asile et d'expulsion justifiant qu'il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement contraignante et définitive. Toutefois, en dépit de ce document, le préfet pouvait sans commettre d'erreur de fait ou de droit indiquer dans sa décision, qu'il n'était pas démontré que les autorités suisses auraient pris à l'encontre de l'intéressé une mesure d'éloignement à destination de son pays d'origine. Ainsi, une telle indication n'est pas de nature à révéler que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressé alors qu'il ressort des pièces du dossier et notamment de la motivation de la décision en litige que le préfet a exposé la situation personnelle de M. B... et a notamment examiné la possibilité d'appliquer les dérogations prévues par les articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque: a) le demandeur a pris la fuite ; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
4. Il ressort des pièces du dossier et des mentions figurant sur le compte-rendu de l'entretien individuel mené avec l'intéressé que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel le 20 juillet 2020, en présence d'un interprète en langue arabe, que l'intéressé a déclaré comprendre, avec un agent du service de la préfecture du Rhône, qui est un agent qualifié au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces dispositions n'exigent pas en outre que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené. Si le requérant fait valoir qu'il existe un doute sur l'identité de l'agent ayant mené l'entretien dès lors que les initiales de cet agent (HK) figurant sur le résumé de l'entretien individuel diffèrent de celles du signataire de cette retranscription (SD), cette seule circonstance n'est pas de nature à démontrer que celui-ci n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Il ressort par ailleurs du résumé dudit entretien que M. B... a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Par suite, et sans qu'il soit utile de demander au préfet de justifier de l'identité et de la qualification de l'agent ayant mené l'entretien, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L.7421, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code applicable au litige : " (...) II. - Lorsqu'une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 est notifiée avec la décision de transfert ou lorsque celle-ci est notifiée alors que l'étranger fait déjà l'objet d'une telle décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence, l'étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant leur notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de transfert et de la décision d'assignation à résidence. Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans le délai prévu au III de l'article L. 512-1. (...) ".
7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
8. Il ressort des pièces du dossier que par décision du 26 décembre 2019, le préfet du Rhône a décidé le transfert auprès des autorités suisses de M. B... qui avait présenté une première demande d'asile en France, le 26 septembre 2019 et que, le 25 novembre 2019, ces autorités ont explicitement donné leur accord pour la prise en charge de l'intéressé. Le requérant fait valoir qu'il ressort des termes de la décision en litige que cette décision du 26 septembre 2019 a été exécutée, le 29 juin 2020, soit après l'expiration du délai de six mois après l'accord des autorités suisses et qu'ainsi la France serait devenue responsable de sa demande d'asile. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce délai a été interrompu le 26 décembre 2019, date à laquelle M. B... a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 26 décembre 2019. Un nouveau délai de six mois a recommencé à courir à compter de la notification au préfet du Rhône du jugement du 24 février 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a statué sur sa demande. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce nouveau délai de six mois aurait expiré au 12 août 2020, date à laquelle les autorités suisses ont été saisies d'une demande de reprise en charge, que ces autorités auraient été libérées, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n°604/2013, de leur obligation de prendre en charge M. B... et que la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de ce dernier a été transférée, à cette date, à la France. Dans ces conditions, et en tout état de cause, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision de transfert en litige aurait été prise en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 29 règlement n°604/2013.
9. En dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers (...) sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ; / (...) 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) " et aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 de règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par le 1. de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
10. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
11. M. B... fait valoir qu'il a fait l'objet de la part des autorités suisses d'une mesure d'éloignement exécutoire et devenue définitive et que son retour en Erythrée l'expose à des risques de mauvais traitements dès lors qu'il a déserté le service militaire et que dans ce pays, le refus d'accomplir le service national est considéré comme une opposition politique et que les déserteurs sont souvent soumis à des actes de tortures. Toutefois, la décision litigieuse a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé vers la Suisse et non en Erythrée. Si les autorités suisses ont rejeté la demande d'asile présentée par le requérant et lui ont ordonné de quitter le territoire suisse, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance ferait obstacle à ce que l'intéressé puisse demander auprès des autorités suisses un nouvel examen de sa situation au regard du droit d'asile. En outre, en se bornant à citer des rapports et des articles de presse relatifs aux peines encourues en Erythrée en cas de désertion du service militaire, le requérant n'établit ni que les autorités suisses feraient structurellement ou systématiquement obstacle à l'enregistrement et au traitement d'une nouvelle demande d'asile émanant des ressortissants de ce pays, ni qu'une telle demande ne serait pas examinée par ces mêmes autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dans ces conditions, le requérant n'établit, par ses seules allégations, ni que son transfert vers la Suisse entraînerait automatiquement son retour vers l'Erythrée, ni les conséquences d'une exceptionnelle gravité d'un tel retour. Par suite, doivent être écartés les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement européen du 26 juin 2013.
Sur la légalité de la décision d'assignation à résidence :
12. Compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, M. B... n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision de le transférer aux autorités suisses à l'encontre de la décision l'assignant à résidence.
13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 25 mars 2021 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2021.
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N° 20LY03824
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