Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 12 mars 2019, M. B..., représenté par Me C..., avocate, doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2018 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) d'annuler la décision du 26 juin 2018 de la préfète de l'Allier ;
3°) d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à Me C..., en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le refus de séjour, l'obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi sont insuffisamment motivés ;
- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire ne pouvaient légalement intervenir sans l'avis préalable de la commission du titre de séjour ;
- la préfète de l'Allier a méconnu l'étendue de la compétence qu'elle tient de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant le séjour et en lui faisant obligation de quitter le territoire ;
- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire sont intervenus en violation de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui lie la compétence du préfet, et dont il remplit les conditions ;
- l'administration, qui n'établit pas la fraude, était tenue par les actes d'état civil présentés pour justifier de sa minorité à son entrée en France ;
- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2019, la préfète de l'Allier conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut utilement être invoqué pour la première fois devant le juge d'appel ; subsidiairement, ce moyen n'est pas fondé ;
- l'appelant n'expose aucun moyen ou éléments susceptibles d'avoir une incidence sur la légalité des décisions du 26 juin 2018 et sur l'appréciation des premiers juges ;
- l'appelant ne justifie pas de sa minorité à son entrée en France ;
- les conclusions à fin d'injonction devront être rejetées par voie de conséquence ;
- l'État ne pourra être considéré comme la partie perdante et ne pourra par suite être condamné au paiement d'une somme au profit de l'appelant ou de son conseil.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 23 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Josserand-Jaillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Entré irrégulièrement sur le territoire français selon ses déclarations en mars 2016, et pris en charge par l'aide sociale à l'enfance en tant que mineur isolé, M. B..., ressortissant guinéen, a sollicité à sa majorité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 26 juin 2018, dont M. B... a sollicité l'annulation devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, la préfète de l'Allier a rejeté sa demande d'admission au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire, et a fixé son pays d'origine pour destination de cette mesure. M. B... relève appel du jugement du 20 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation :
2. En premier lieu, il ressort de la lecture de l'arrêté du 26 juin 2018 que le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire, laquelle n'a pas à faire l'objet en l'espèce d'une motivation distincte, comme la décision fixant le pays de destination comportent respectivement l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles la préfète de l'Allier s'est fondée pour prendre ces décisions, dans une mesure suffisante pour permettre au destinataire d'en connaître et contester utilement les motifs, et au juge d'exercer son contrôle de l'excès de pouvoir en pleine connaissance de cause. Ces décisions sont ainsi suffisamment motivées au sens des dispositions de l'article L. 211-15 du code des relations entre le public et l'administration.
Sur la légalité du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire :
3. En deuxième lieu, M. B..., dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait sollicité son admission exceptionnelle au séjour au titre de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fondement sur lequel la préfète, qui n'y était pas tenue, ne s'est pas prononcée par l'arrêté en litige, n'est pas fondé à soutenir que, n'ayant pas examiné sa demande à ce titre, cette autorité aurait, méconnaissant sa compétence, entaché sa décision d'une erreur de droit.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. (...) ".
5. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le cadre de l'examen d'une demande l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser à M. B... le titre de séjour sollicité sur le fondement de ces dispositions, la préfète de l'Allier s'est fondée principalement sur le caractère frauduleux de l'extrait d'acte de naissance, sur la base duquel ont été établis les autres documents d'état civil qu'il a présentés à l'appui de sa demande, pour en tirer que l'intéressé ne justifiait pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.
7. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ", lequel dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". En vertu de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet ".
8. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. Il ne résulte en revanche pas de ces dispositions que l'administration française doit nécessairement et systématiquement solliciter les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état-civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
9. Il en découle que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
10. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
11. Pour rejeter la requête de M. B..., le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a relevé qu'" A l'appui de l'affirmation selon laquelle il aurait été mineur à la date de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Allier, début mars 2016, M. B... produit une carte d'identité consulaire du 6 novembre 2017, un jugement supplétif du 22 mai 2017 établi par le tribunal de première instance de Mafanco, un extrait de registre de transcription et sa copie du 23 mai 2017 de la commune de Matoto et un extrait d'acte de naissance déclarant du 25 février 2000. Toutefois, il ressort de l'analyse documentaire réalisée le 27 avril 2018 par le service de l'unité " fraudes aux documents et à l'identité " de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Clermont-Ferrand, qui a émis un avis " plus que très défavorable ", que les délais de transcription du jugement supplétif ne sont pas respectés, qu'en l'absence d'apostille celui-ci ne peut être regardé comme ayant été légalisé, que l'extrait de registre de transcription ne respecte pas les délais d'appel et ne peut, en l'absence d'apostille, davantage être regardé comme ayant été légalisé et que l'expertise sous électroluminescence à laquelle il a été procédé a révélé que l'extrait d'acte de naissance comporte des anomalies, plusieurs encres et plusieurs écritures ayant été utilisées. Dès lors, celle-ci ayant nécessairement été établie sur la foi de ces documents, la fiabilité de la carte d'identité consulaire ne peut davantage être retenue. ", pour en tirer que l'administration renversait la présomption d'authenticité des documents remis par l'intéressé aux fins de justifier de sa minorité au moment de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Il ne ressort pas par ailleurs des pièces du dossier que la préfète, qui a procédé à l'examen particulier de la situation de M. B..., se serait à tort estimée liée par la note d'actualité dont fait état l'appelant.
12. M. B..., qui se borne à affirmer que les documents qu'il produit ne sont pas des faux, ne produit à l'instance d'appel aucun élément de nature à établir la date de naissance dont il se prévaut ou infirmer sérieusement les conclusions de l'analyse documentaire. Dès lors, il ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, alors même que l'intéressé se serait engagé dans une démarche d'apprentissage pour obtenir un certificat d'aptitude professionnelle en qualité d'installateur thermique et que les résultats qu'il a obtenus seraient satisfaisants, la préfète de l'Allier pouvait, en se fondant principalement sur ce motif, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui refuser le titre de séjour dont il sollicitait l'attribution.
13. Enfin, M. B... reprend en appel les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que du défaut de consultation de la commission du titre de séjour prévue par l'article L. 312-2 du même code. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs du jugement du tribunal administratif.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Sa requête doit par suite être rejetée et, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Allier.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.
N° 19LY00975 4