Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 8 novembre 2019 et les 2 et 3 novembre 2020, M. D... C..., représenté par Me Benoit, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1702796 du 17 septembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'ordonner une expertise ;
3°) à défaut, de condamner le CHU de Grenoble et la SHAM à lui verser la somme de 394 014,62 euros ;
4°) de mettre à la charge du CHU de Grenoble et de la SHAM une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble n'a pas retenu un retard de diagnostic au vu du tableau clinique à son arrivée aux urgences et de l'aggravation de son état de santé pendant la nuit alors que le neurologue n'a été contacté qu'à 10h30 et qu'une IRM médullaire n'a été effectuée que vers midi ;
- de même, une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier peut être relevée tenant à ce que sa prise en charge a été effectuée par un médecin assistant en pneumologie ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les experts et le tribunal administratif, en raison de ces fautes, il a perdu une chance d'éviter une aggravation de son état de santé car le traitement anticoagulant ne lui a été administré que le 31 juillet après quinze heures ;
- les experts de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) n'ayant pas retenu de perte de chance, une nouvelle expertise est nécessaire pour déterminer le taux de cette perte de chance ; celle-ci peut sinon être évaluée à 50 % ;
- il est donc en droit d'obtenir réparation des préjudices suivants :
Dépenses de santé avant consolidation ... 3 300,00 €
Pertes de gains professionnels actuels ... réservé
Tierce personne temporaire ... 3 000,00 €
Dépenses de santé après consolidation ... 9 300,00 €
Dépenses de santé futures ... 34 971,60 €
Pertes de gains professionnels futurs ... réservé
Incidence professionnelle ... 20 000,00 €
Frais de logement adapté ... 11 786,68 €
Frais de véhicule adapté ... 15 440,40 €
Tierce personne après consolidation ... 12 480,00 €
Tierce personne permanente ... 45 463,08 €
Déficit fonctionnel temporaire ... 15 329,50 €
Souffrances endurées ... 35 000,00 €
Déficit fonctionnel permanent ... 131 000,00 €
Préjudice esthétique permanent ... 25 000,00 €
Préjudice d'agrément ... 20 000,00 €
* Préjudice sexuel ... 15 000,00 €
Soit la somme globale de 394 014,62 euros en appliquant un taux de perte de chance de 50 %.
Par un mémoire, enregistré le 15 octobre 2020, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble Alpes et la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me Le Prado, concluent au rejet de la requête :
Ils font valoir que :
- si les experts mandatés par la CRCI ont bien retenu un retard de diagnostic et critiqué la compétence du médecin de garde aux urgences, ils ont toutefois estimé que le retard de diagnostic n'avait pas entrainé de dommage en l'absence de compression médullaire et que l'administration précoce d'héparine ou la thrombolyse ne faisaient pas l'objet de recommandations formelles à l'époque ; les éléments produits par le requérant ne suffisent pas à contester l'avis des experts ; si une éventuelle perte de chance était retenue, elle ne saurait excéder 10 % ;
- les préjudices invoqués par le requérant appellent les observations suivantes : la réalité et le montant des auto-sondages anaux ne sont pas établis alors qu'une prise en charge de la sécurité sociale ou d'une mutuelle est possible ; les frais d'aide par tierce personne devront être évalués sur la base d'un taux horaire de 13 euros et devront être diminués des éventuelles aides perçues à ce titre ; l'incidence professionnelle devra être modérée dès lors que l'intéressé a conservé son emploi au CNRS sur un poste aménagé ; les frais de logement adapté ne sont pas justifiés et le requérant peut bénéficier d'aides ; les frais de véhicule adapté et leur capitalisation ne sont pas justifiés ; le déficit fonctionnel temporaire pourra être calculé sur la base de 13 euros par jour ; la somme demandée au titre des souffrances endurées devra être modérée et le requérant ne peut se prévaloir, ni des préjudices de son épouse, ni de troubles psychiatriques dont le lien avec ses séquelles neurologiques n'est pas établi ; le montant demandé pour le déficit fonctionnel permanent devra être diminué ; la seule attestation d'une pratique du ski ne justifie pas d'un préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de poursuivre la pratique régulière de ski nautique, de planche à voile, de cyclisme ou de moto comme il est allégué et alors qu'une pratique sous forme d'handisport est possible ; le préjudice sexuel n'est pas établi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gayrard, président assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- les observations de Me Djouadi, représentant M. C... ;
- et les observations de Me De Raismes, substituant Me Le Prado, représentant le CHU de Grenoble-Alpes et la SHAM.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., né le 31 mai 1957, a été transporté au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble Alpes le 30 juillet 2006 à une heure trente-sept en raison d'un accident ischémique médullaire à l'origine d'une paraparésie spastique associée à une ataxie sensorielle et à un syndrome de la queue de cheval. Saisie par la victime le 2 mai 2013, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Rhône-Alpes a diligenté une expertise confiée au Dr B..., anesthésiste-réanimateur, et au Dr A..., neurologue, qui ont remis leur rapport le 29 août 2013, à la suite duquel cette commission a dénié tout droit à indemnisation à M. C.... Après avoir vainement présenté une réclamation préalable au CHU de Grenoble le 17 février 2017, M. C... a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une requête tendant, à titre principal, à une nouvelle expertise, et, à titre subsidiaire, à la condamnation du CHU et de son assureur, la SHAM, à lui verser une somme globale de 379 452,39 euros. Par jugement du 17 septembre 2019, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport des experts mandatés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Rhône-Alpes, que M. C... a été admis aux urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble Alpes le 30 juillet 2006 à une heure trente-sept, en raison de douleurs abdominales associées à des paresthésies et impotence des membres inférieurs. Examiné par un médecin des urgences à deux heures vingt-quatre, il a également passé dans la matinée du 30 juillet une radiographie thoracico-abdominale puis un scanner cérébral alors que les paresthésies et parésies des membres inférieurs se sont accentuées et que des troubles sphinctériens sont également apparus. Il n'est pas contesté que, malgré ce tableau clinique évocateur de troubles d'origine neurologique, M. C... n'a bénéficié d'une consultation d'un neurologue que vers midi, et une IRM médullaire a été effectuée vers quatorze heures, comme en attestent plusieurs autres pièces médicales du dossier, nonobstant la circonstance que le compte-rendu de cette IRM n'en fasse pas partie. Bien que cette IRM se soit avérée normale, un traitement anticoagulant a été administré à compter de quinze heures. Une nouvelle IRM réalisée le 31 juillet 2006 a permis de diagnostiquer la survenue d'un accident ischémique médullaire, ayant probablement eu pour origine les activités sportives de la victime pratiquées l'avant-veille.
4. Suivant les conclusions des experts devant la CRCI de Rhône-Alpes, le tribunal administratif de Grenoble a retenu l'existence de deux fautes commises par le CHU de Grenoble Alpes tenant, d'une part, au retard de diagnostic manifesté par le délai écoulé entre la connaissance de troubles évocateurs d'atteintes neurologiques dès l'arrivée aux urgences et la consultation d'un neurologue vers midi ainsi que la réalisation d'une IRM médullaire, et, d'autre part, à la circonstance que la victime a été examinée par un médecin sénior aux urgences n'ayant pas de compétence en médecine urgentiste. Toutefois, comme l'oppose l'hôpital, il résulte de l'instruction, et notamment des pièces produites par le requérant lui-même, que les accidents ischémiques médullaires constituent des pathologies très rares dont le diagnostic se révèle complexe. En effet, la réalisation précoce d'une IRM médullaire, à moins de douze heures du fait générateur, ne permet pas toujours, comme en l'espèce, de caractériser un tel accident comme le rappelle un article de presse médicale de 2004 produit par le requérant. Surtout, comme l'ont retenu les experts devant la CRCI et le tribunal administratif de Grenoble, il n'est pas suffisamment établi que le supposé retard de diagnostic ait eu pour conséquence de faire perdre une chance à la victime d'éviter une aggravation de ses séquelles. Les experts auprès de la CRCI soulignent qu'en 2006 les traitements à base d'anticoagulant ou de thrombolyse ne faisaient alors l'objet d'aucune recommandation en matière d'accidents ischémiques médullaires, contrairement aux accidents vasculaires cérébraux, notamment en raison de la difficulté de cathériser l'artère d'Adamkiewicz irriguant la moelle épinière. L'article de presse médicale de 1999 produit par le requérant devant les premiers juges témoigne de cette incertitude en indiquant seulement que des traitements associant anticoagulants et gluco-corticoïdes ont été proposés pour tenter de limiter l'extension de la lésion initiale sans indiquer le résultat obtenu. Les nouveaux éléments produits pour la première fois en appel ne sont pas suffisants pour remettre en cause la position des experts dès lors que l'article médical de 1997 concerne les paraplégies et tétraplégies d'installation soudaine liées à des lésions médullaires, ce qui n'est pas la situation de M. C..., et que l'article daté de 2012 ne saurait refléter les données acquises de la science médicale lors de la survenance de l'accident, comme l'oppose l'hôpital, et, au surplus, ne fait que confirmer la difficulté pour établir le diagnostic et pour fixer le traitement adéquat. Enfin, si M. C... se prévaut d'un avis d'un neurologue établi le 11 juillet 2014, celui-ci reconnait que " pour ce qui est du traitement des accidents ischémiques spécifiques médullaires nous ne possédons que quelques articles de tentatives de thrombolyse qui n'a pas prouvé sa supériorité " et conclut seulement que " Le défaut d'organisation et le fait que l'examen neurologique n'ait eu lieu que plus de 10 heures après l'arrivée aux urgences peut avoir joué dans l'extension de l'ischémie " sans toutefois l'affirmer. Dans ces conditions, même à regarder que le CHU de Grenoble Alpes ait commis un retard de diagnostic fautif, celui-ci ne peut être regardé comme ayant eu pour effet de faire perdre une chance à M. C... d'échapper, même partiellement, aux séquelles subies du fait de l'accident ischémique médullaire.
5. Il découle de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU Grenoble-Alpes et de la SHAM, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes, à la société hospitalière d'assurances mutuelles, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et à la MGEN section Isère.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Gayrard, président assesseur,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2021.
N° 19LY04117 3