Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 9 mars 2017 et le 11 octobre 2017, le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, avocat, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1401766 du 24 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Lyon a limité à la somme de 10 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le département de la Loire en remboursement des indemnités de 3 000 euros, de 10 000 euros et de 7 000 euros que le fonds a versées respectivement à Mme D... L. et à ses deux fils mineurs, B...L. et Sofiane L., en réparation de leurs préjudices moraux ;
2°) de porter à la somme de 20 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2015, le montant de l'indemnité due par le département de la Loire en remboursement des trois indemnités précitées ;
3°) de mettre à la charge du département de la Loire une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que la faute du tiers co-auteur était susceptible de réduire de moitié la part d'indemnisation à la charge du département, dès lors que, subrogé dans les droits des victimes en vertu de l'article 706-11 du code de procédure pénale, il était fondé à engager la responsabilité sans faute du département du fait du placement du mineur C...M., l'un des deux co-auteurs des faits commis sur les personnes de B...L. et de Sofiane L., au service de l'aide sociale à l'enfance et que cette responsabilité sans faute impliquait une condamnation totale du département ;
- les préjudices moraux subis par Mme D... L. et par chacun de ses deux fils mineurs, B...L. et Sofiane L., doivent être évalués aux sommes respectives de 3 000 euros, de 10 000 euros et de 7 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 octobre 2017, le département de la Loire, représenté par la SELARL Basset-Bouchet-Hangel Avocats, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- à la réformation du jugement n° 1401766 du 24 janvier 2017 en tant que le tribunal administratif de Lyon l'a condamné à verser au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 10 000 euros ;
- à ce que les prétentions indemnitaires de ce fonds soient réduites à de plus justes proportions ;
3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- c'est à bon droit que les juges de première instance n'ont mis à sa charge que la moitié des sommes payées aux victimes par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, dès lors que sa responsabilité sans faute ne pouvait pas être engagée du fait de l'autre mineur co-auteur des faits, lequel ne relevait pas du service de l'aide sociale à l'enfance ;
- les préjudices moraux subis par les mineurs B...L. et Sofiane L. doivent être réduits à de plus justes proportions ;
- le préjudice moral subi par Mme D... L. doit être évalué à un euro seulement, dès lors que ses enfants avaient été placés au service de l'aide sociale à l'enfance par jugement du 27 avril 2006 et jusqu'en mars 2014 et qu'au moment des faits survenus entre le 23 février 2009 et le 30 juin 2009, elle ne bénéficiait, pourB..., que d'un droit de visite d'une heure médiatisée, élargi par la suite à une demi-journée, tous les quinze jours et, pour Sofiane, que d'une journée par week-end.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet, président assesseur,
- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par jugement du 15 mai 2012, devenu définitif sur l'action publique, le tribunal pour enfants de Saint-Etienne a condamné les mineurs C...M. et A...C. chacun à un emprisonnement criminel de deux ans avec sursis total et mise à l'épreuve de deux ans pour viols commis par chacun d'eux sur les personnes des mineurs B...L. et Sofiane L. du 23 février 2009 au 30 juin 2009. Par arrêt du 9 septembre 2013, devenu définitif sur les intérêts civils, la cour d'appel de Lyon a condamné in solidum les mineurs C...M. et A...C. à payer des indemnité de 10 000 euros, de 7 000 euros et de 3 000 euros respectivement aux mineurs B...L. et Sofiane L. et à leur mère, Mme D... L., en réparation de leurs préjudices moraux résultant des faits criminels précités. En exécution de trois accords du 17 octobre 2014, homologués le 27 novembre 2014 par le président de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions près le tribunal de grande instance de Saint-Etienne, le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a versé aux mineurs B...L. et Sofiane L. et à leur mère D...L. les indemnités respectives de 10 000 euros, de 7 000 euros et de 3 000 euros. Le fonds relève appel du jugement n° 1401766 du 24 janvier 2017 en ce que le tribunal administratif de Lyon a limité à la somme de 10 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné à son profit le département de la Loire en remboursement des indemnités précitées. Par la voie de l'appel incident, le département de la Loire demande que les prétentions indemnitaires du fonds soient réduites à de plus justes proportions.
Sur le droit à remboursement du fonds de garantie :
2. Aux termes de l'article 706-11 du code de procédure pénale : " Le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes. (...) ". En application de ces dispositions, le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction, ou de toute personne tenue d'en assurer la réparation à un titre quelconque, le remboursement de l'indemnité versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge de ces personnes. La nature et l'étendue des réparations incombant à une personne publique ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par le juge judiciaire dans un litige auquel elle n'a pas été partie, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction applicable au litige : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général : / 1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un service tel que prévu au 12° du I de l'article L. 312-1 ; / 2° Les pupilles de l'Etat remis aux services dans les conditions prévues aux articles L. 224-4, L. 224-5, L. 224-6 et L. 224-8 ; / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil, des articles 375-5, 377, 377-1, 380, 433 du même code ou du 4° de l'article 10 et du 4° de l'article 15 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ; / 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique (...) ". Il appartient au juge administratif, saisi d'une action en responsabilité pour des faits imputables à un mineur pris en charge par le service d'aide sociale à l'enfance, de déterminer si, compte tenu des conditions d'accueil du mineur, notamment la durée de cet accueil et le rythme des retours du mineur dans sa famille, ainsi que des obligations qui en résultent pour le service d'aide sociale à l'enfance et pour les titulaires de l'autorité parentale, la décision du président du conseil général, devenu conseil départemental, prise sur le fondement de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, avec le consentement des titulaires de l'autorité parentale, s'analyse comme une prise en charge durable et globale de ce mineur, pour une période convenue, par l'aide sociale à l'enfance. Si tel est le cas, cette décision a pour effet de transférer au département la responsabilité d'organiser, de diriger et de contrôler la vie du mineur durant cette période. Ni la circonstance que la décision de prise en charge du mineur prévoie un retour de celui-ci dans son milieu familial de façon ponctuelle ou selon un rythme qu'elle détermine ni celle que le mineur y retourne de sa propre initiative ne font par elles-mêmes obstacle à ce que cette décision entraîne un tel transfert de responsabilité. En raison des pouvoirs dont le département se trouve, dans ce cas, investi, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur, y compris lorsque ces dommages sont survenus alors que le mineur est hébergé par ses parents, dès lors qu'il n'a pas été mis fin à cette prise en charge par le service d'aide sociale à l'enfance par décision des titulaires de l'autorité parentale ou qu'elle n'a pas été suspendue ou interrompue par l'autorité administrative ou judiciaire. A l'égard de la victime, cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où le dommage est imputable à une faute de celle-ci ou à un cas de force majeure. En outre, dans le cadre d'une action en garantie, le département peut, le cas échéant, se prévaloir de la faute du tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.
4. Il est constant que, par décision du 8 septembre 2009 du président du conseil général de la Loire prise sur demande de ses parents, le mineur C...M., né le 28 mai 1996, a été admis du 9 septembre 2008 au 30 juin 2009 au service départemental de l'aide sociale à l'enfance et placé durant cette période à la maison d'enfants La Clairière à Unieux (Loire), dans des conditions constitutives d'une prise en charge durable et globale par ce service départemental pour la période considérée. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal pour enfants prise le 1er août 2011 par le juge d'instruction, du jugement du 15 mai 2012 du tribunal pour enfants de Saint-Etienne statuant sur l'action publique et de l'arrêt du 9 septembre 2013 de la cour d'appel de Lyon statuant sur les intérêts civils, que le mineur C...M. et le mineur A...C., né le 10 juillet 1995 et confié du 28 août 2008 au 31 juillet 2009 à la maison d'enfants La Clairière par jugement du 23 juillet 2008 rendu en matière d'assistance éducative par le juge des enfants du tribunal de grande instance de Saint-Etienne sur le fondement du 4° du premier alinéa de l'article 375-3 du code civil, ont commis entre le 23 février 2009 au 30 juin 2009, de manière concomitante et répétée, des viols sur les personnes des enfants B...L. et Sofiane L., lesquels avaient été placés à la maison d'enfants La Clairière par le service départemental de l'aide sociale à l'enfance, et qu'en raison de ces faits, ces deux enfants victimes et leur mère, Mme D... L., ont subi chacun un préjudice moral. Dans ces conditions et alors même que le mineur A...C. ne relevait pas de ce service départemental au moment de la commission de ces faits, la responsabilité sans faute du département de la Loire est engagée à raison de ces faits à l'égard du fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans les droits des trois victimes, Mme D... L. et ses deux enfants mineurs, en application des dispositions précitées de l'article 706-11 du code de procédure pénale, sans que le département puisse utilement se prévaloir de la faute du mineur A...C. qui a concouru à la réalisation des préjudices subis par les trois victimes pour s'exonérer en tout ou en partie de sa responsabilité. Par suite, le département de la Loire doit être condamné à payer au fonds l'intégralité des sommes réparant chacun de ces préjudices moraux.
5. Il résulte de ce qui précède que le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a condamné le département de la Loire à lui rembourser la moitié seulement de ces sommes.
Sur l'évaluation des préjudices :
6. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment de l'ordonnance précitée du 1er août 2011 du juge d'instruction, que, entre le 23 février 2009 et le 30 juin 2009, les enfants B...L. et Sofiane L. ont été victimes au moins, respectivement, de quatre et de deux viols de la part des deux mineurs incriminés. Dans ces circonstances, il sera fait une juste appréciation des préjudices moraux subis par l'enfant B...L. et par l'enfant et Sofiane L., et résultant de ces faits criminels, en les évaluant aux sommes respectives de 10 000 euros et de 7 000 euros.
7. D'autre part, si les deux enfants de Mme D... L. ont été admis au service de l'aide sociale à l'enfance de 2006 à mars 2014 et si, au moment des faits criminels survenus entre le 23 février 2009 et le 30 juin 2009, elle ne bénéficiait, pourB..., que d'un droit de visite d'une heure médiatisée, élargi par la suite à une demi-journée, tous les quinze jours et, pour Sofiane, que d'une journée par week-end, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressée à raison des faits précités en l'évaluant à la somme de 3 000 euros.
8. Il suit de là que le département de la Loire n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon à évalué à la somme totale de 20 000 euros les préjudices moraux subis par Mme D... L. et par ses deux enfants mineurs.
9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 20 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2015, date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif de la demande présentée par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, le montant de l'indemnité due par le département de la Loire audit fonds et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif de Lyon.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département de la Loire demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du département de la Loire une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le fonds et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 10 000 euros que le département de la Loire a été condamné à verser au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions par le jugement n° 1401766 du 24 janvier 2017 du tribunal administratif de Lyon est portée à 20 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2015.
Article 2 : Ce jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le département de la Loire versera au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 1 500 (mille cinq cent) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le département de la Loire devant la cour sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions et au département de la Loire.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président assesseur,
Mme Caraës, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 février 2019.
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N° 17LY01115