Par un jugement n° 1204672 du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à payer, en son article 1er, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie une indemnité totale de 132 433 euros, en son article 2, à l'ONIAM une indemnité de 19 389,55 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2014, et, en ses articles 4 et 5, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie et à l'ONIAM une somme de 1 200 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête et deux mémoires enregistrés le 30 août 2016, le 10 octobre 2016 et le 8 décembre 2017, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes (ONIAM), représenté par la société d'avocats GF Avocats, demande à la cour :
1°) de réformer l'article 2 du jugement n° 1204672 du 30 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a limité à la somme de 19 389,55 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble ;
2°) de porter à la somme de 189 827,14 euros le montant de l'indemnité due à son profit par le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que le défaut de diagnostic fautif d'une porphyrie, imputable au centre hospitalier régional universitaire de Grenoble lors de l'hospitalisation de Mme B... du 31 janvier au 4 février 2005, n'a eu pour conséquences dommageables sur celle-ci qu'une intervention contre-indiquée de colectomie subie le 11 février 2005 à la clinique d'Argonay, suivie de complications, en particulier une polyradiculonévrite avec des symptômes neurologiques dont un coma, qui ont nécessité une iléostomie temporaire, avec un rétablissement de la continuité intestinale, une nouvelle intervention le 7 juillet 2005 et un séjour au centre hospitalier d'Annecy jusqu'au 17 juillet 2005 et qu'au-delà du 4 septembre 2005, date à laquelle a pris fin la période d'incapacité temporaire résultant de ces complications, la dégradation de l'état de santé, les multiples hospitalisations de Mme B... et la greffe hépatique réalisée en août 2009 constituent l'évolution prévisible de la porphyrie dont elle souffrait ; en effet, le docteur Roques, expert désigné par le jugement mixte n° 1204672 du 28 avril 2015 du tribunal administratif de Grenoble, et son sapiteur, le docteur Maylin, se contentent de relever que la transplantation hépatique est une évolution possible de la porphyrie pour considérer que l'erreur de diagnostic n'est pas à l'origine de la transplantation hépatique, alors que selon le docteur Degos, médecin-conseil auprès de l'ONIAM, les indications de transplantation hépatique pour porphyrie sont exceptionnelles et que, selon le professeur Puy, expert désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Rhône-Alpes et membre du centre de référence de maladies rares pour les porphyries, l'état présenté par Mme B... à la suite du défaut de diagnostic de porphyrie imputable au centre hospitalier régional universitaire de Grenoble laissait présager des risques futurs prévisibles ;
- compte tenu du caractère très rare (cinq cas en France) de l'indication d'une transplantation hépatique dans les suites d'un porphyrie, le retard de diagnostic fautif est à l'origine d'une perte de chance majeure d'éviter cette indication qui doit être évaluée à 80 %, comme l'a fait la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Rhône-Alpes ;
- il a droit à la somme de 16 430,40 euros au titre de l'indemnisation qu'il a allouée à Mme B... en réparation de son déficit fonctionnel temporaire, total du 11 février 2005 au 25 avril 2005 puis partiel à hauteur de 80 % du 26 avril 2005 au 30 septembre 2009, date de sa consolidation ;
- il a droit à la somme de 15 200 euros au titre de l'indemnisation qu'il a allouée à Mme B... en réparation des souffrances endurées évaluées à 6/7 par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Rhône-Alpes ;
- il a droit à la somme de 96 000,80 euros au titre de l'indemnisation qu'il a allouée à Mme B..., âgée de 36 ans au moment de sa consolidation, en réparation de son déficit fonctionnel permanent de 50 % ;
- il a droit à la somme de 6 844,28 euros au titre de l'indemnisation qu'il a allouée à Mme B... en réparation de sa perte de gains professionnels futurs du 30 septembre 2009 à sa mise à la retraite supposée à 62 ans ;
- il a droit à la somme de 16 000 euros au titre de l'indemnisation qu'il a allouée à Mme B... en réparation de son incidence professionnelle ;
- il a droit à la somme de 11 520 euros au titre de l'indemnisation qu'il a allouée à Mme B... en réparation de son préjudice d'agrément majeur du fait d'une qualité de vie très affectée et qui a été évalué à 12 % du montant attribué à la victime au titre du déficit fonctionnel permanent ;
- en application du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, il a droit à la somme de 24 760,06 euros correspondant à 15 % du montant de l'indemnité totale de 165 067,08 euros qu'il a accordée à Mme B....
Par un mémoire enregistré le 12 décembre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, représentée par Me Philip de Laborie, avocat, conclut, par la voie de l'appel provoqué, à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à lui payer une indemnité de 131 416,39 euros en remboursement des débours exposés pour le compte de Mme A...B..., assurée sociale, une somme de 1 047 euros au titre du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que, en relation avec la faute commise par le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble dans la prise en charge de Mme A...B..., elle a engagé des frais d'hospitalisation pour 124 539 euros, des frais de transport pour 1 009 euros et des indemnités journalières pour 5 868 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 septembre 2017, le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés par le requérant ne sont pas fondés.
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions d'appel provoqué de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à lui payer une indemnité de 131 416,39 euros en remboursement des débours exposés pour le compte de Mme B..., assurée sociale, et une somme de 1 047 euros au titre du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, en l'absence d'aggravation de la situation de ladite caisse par l'appel principal de l'ONIAM.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.
1. Considérant qu'au cours des années 2003 et 2004, Mme B... a présenté des crises douloureuses à l'abdomen que la Clinique d'Argonay à Argonay (Haute-Savoie), consultée par l'intéressée, a d'abord diagnostiquées comme un volvulus intermittent du caecum ; que souhaitant parfaire ce diagnostic, ladite clinique a adressé cette patiente en janvier 2005 au centre hospitalier régional universitaire de Grenoble qui, à l'issue d'un séjour de quatre jours, a confirmé le diagnostic et a posé l'indication d'hémicolectomie droit ; que la Clinique d'Argonay a pratiqué en février 2005 cette intervention chirurgicale sur Mme B... qui, à la suite de complications, a dû être transférée le 18 février 2005 au service de réanimation du centre hospitalier d'Annecy où a été diagnostiquée courant avril 2005 une porphyrie intermittente aiguë ; que, par ordonnance du 20 février 2006, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Annecy a, à la demande de Mme B... estimant engagée la responsabilité des médecins de la Clinique d'Argonay, ordonné une expertise dont le rapport a été rendu le 29 janvier 2008 ; que, par avis rendu le 11 mai 2010 après l'organisation d'une expertise par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Rhône-Alpes, cette commission, saisie d'une demande indemnitaire de Mme B... dirigée contre le centre hospitalier universitaire de Grenoble, a retenu une faute de cet établissement public de santé ayant, d'une part, entraîné une perte de chance de guérison de la pathologie dont Mme B... était atteinte et, d'autre part, aggravé son état de santé en raison d'un traitement inadapté responsable de l'apparition de pathologies iatrogènes à l'origine de séquelles irréversibles ; que, sur le fondement des trois premiers alinéas de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes (ONIAM) a accordé à Mme B... une indemnisation d'un montant total de 165 067,08 euros ; que, par jugement mixte n° 1204672 du 28 avril 2015, le tribunal administratif de Grenoble a, sur demande de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, déclaré le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble responsable des conséquences dommageables du défaut de diagnostic de la porphyrie intermittente aiguë dont souffrait Mme B... et a ordonné une expertise sur l'étendue du préjudice de l'intéressée directement causé par cette faute médicale ; que, par jugement n° 1204672 du 30 juin 2016 dont l'ONIAM relève appel en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à ses prétentions indemnitaires, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à payer, en son article 1er, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, subrogée dans les droits de Mme B... en vertu de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, une indemnité totale de 132 433 euros, en son article 2, à l'ONIAM, subrogée dans les droits de Mme B... en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, une indemnité de 19 389,55 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 mai 2014, et, en ses articles 4 et 5, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie et à l'ONIAM une somme de 1 200 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par la voie de l'appel provoqué, la caisse primaire d'assurance maladie demande la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à lui payer une indemnité de 131 416,39 euros en remboursement des débours exposés pour le compte de Mme A...B..., assurée sociale, une somme de 1 047 euros au titre du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur l'appel principal de l'ONIAM :
2. Considérant, en premier lieu, que si, dans son rapport d'expertise du 10 mars 2010, le professeur Puy, médecin des hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et membre du Centre français de porphyries, désigné par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Rhône-Alpes, relève que le défaut de diagnostic de la porphyrie intermittente aiguë dont souffre Mme B..., imputable au centre hospitalier régional universitaire de Grenoble lors du séjour de l'intéressée du 31 janvier au 4 février 2005, a été à l'origine d'une perte de chance majeure qui a abouti " à une mutilation importante par hémicolectomie droite compliquée d'une péritonite avec brides et adhérences intestinales, de séquelles neuromusculaires et d'une insuffisance rénale chronique de stade III survenue au décours de la péritonite limitant le recours à certains traitements anti-rejets et immunosuppresseurs au long cours dans le cadre de la transplantation hépatique secondaire, autant d'éléments qui laissent présager des risques futures prévisibles ", il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du 19 octobre 2015 de l'expertise ordonnée par le jugement n° 1204672 du 28 avril 2015 du tribunal administratif de Grenoble et confiée au docteur Roques, médecin gastroentérologue et hépatologue, qui s'est adjoint en qualité de sapiteur le docteur Maylin, médecin spécialisé en chirurgie générale et viscérale, que le défaut de diagnostic précité a eu pour conséquences dommageables une intervention contre-indiquée de colectomie subie le 11 février 2005 à la clinique d'Argonay, des complications de cette intervention par polyradiculonévrite avec des symptômes neurologiques dont un coma et qui ont nécessité une iléostomie temporaire avec rétablissement de la continuité intestinale par une nouvelle intervention le 7 juillet 2005 et un séjour au centre hospitalier d'Annecy du 18 février au 17 juillet 2005 et qu'au-delà du 4 septembre 2005 - date à laquelle a pris fin la période d'incapacité temporaire résultant de ces complications, ainsi qu'il ressort du rapport du 29 janvier 2008 de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance d'Annecy -, la dégradation de l'état de santé, les hospitalisations ultérieures de Mme B... et la greffe hépatique réalisée en août 2009 constituent l'évolution prévisible de la porphyrie dont elle souffrait, le docteur Roques relevant notamment qu'il n'y a pas d'argumentation médicale dans les éléments du dossier de la patiente au sein du service hospitalier qui a réalisé la greffe de foie pour affirmer que l'intervention contre-indiquée de colectomie du 11 février 2005 et ses complications aient compliqué la transplantation hépatique ou l'utilisation de médicaments anti-rejets ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble doit, à raison de la faute de diagnostic précitée, être seulement déclaré responsable de la totalité des préjudices subis par Mme B... entre le 11 février 2005 et le 4 septembre 2005, alors même que, dans une note du 22 septembre 2016, le docteur Degos, médecin hépatologue honoraire des hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et médecin-conseil de l'ONIAM, relève que les indications de transplantation hépatique pour porphyrie sont exceptionnelles et estime que cette indication chez Mme B... " a probablement été posée du fait de la dégénérescence axonale (...), complication directement liée à la porphyrie et à son traitement tardif " ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le déficit fonctionnel temporaire de 80 % subi par l'intéressée du 4 septembre 2005 au 30 septembre 2009, date de sa consolidation, ses souffrances endurées après le 4 septembre 2005, son déficit fonctionnel permanent de 50 % à compter du 30 septembre 2009, sa perte de gains professionnels futurs du 30 septembre 2009 à sa mise à la retraite supposée à 62 ans et l'incidence professionnelle de son état présenté postérieurement au 4 septembre 2005 sont sans lien de causalité direct et certain avec le défaut de diagnostic imputable au centre hospitalier régional universitaire de Grenoble ; que, par suite, l'ONIAM n'est pas fondé à solliciter le remboursement des sommes qu'il a versées à Mme B... au titre de ces cinq chefs de préjudice ainsi décrits ;
4. Considérant, en dernier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme B... ait subi un préjudice d'agrément en relation directe et certaine avec la faute de diagnostic retenue à l'encontre du centre hospitalier intimé ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à demander le remboursement de la somme qu'il a allouée de ce chef à l'intéressée ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a limité à la somme de 19 389,55 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Grenoble ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur l'appel provoqué de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie :
6. Considérant que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Grenoble à lui payer une indemnité de 131 416,39 euros en remboursement des débours exposés pour le compte de Mme A...B..., assurée sociale, et une somme de 1 047 euros au titre du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ont été présentées après l'expiration du délai d'appel ; que ces conclusions ne seraient recevables que si la situation de leur auteur était aggravée par l'admission de l'appel principal ; que l'appel principal de l'ONIAM étant rejeté, lesdites conclusions sont irrecevables et doivent, par suite, être rejetées ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées devant la cour par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier régional universitaire de Grenoble, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pommier, président de chambre,
M. Drouet, président-assesseur,
Mme Caraës, premier conseiller.
Lu en audience publique le 15 novembre 2018.
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N° 16LY03015