Par jugement n° 1907422 lu le 16 décembre 2019, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 18 octobre 2019, a enjoint au préfet de procéder au réexamen de la situation de Mme D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, le temps de cet examen, une autorisation provisoire de séjour, et a condamné l'État à verser à Me B..., conseil de Mme D... une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 15 janvier 2020, le préfet de la Savoie demande à la cour d'annuler ce jugement n° 1907422 du 16 décembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble et de rejeter la demande de Mme D... devant le tribunal administratif.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4, 10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par mémoire enregistré le 8 juillet 2020, Mme D..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que l'État soit condamné à lui verser une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le préfet avait connaissance de ses problèmes de santé, qu'il ne peut pas avancer que ses soins sont disponibles en Arménie et son état de santé fait obstacle à une mesure d'éloignement.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 16 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Djebiri, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., née en 1950 en Arménie, est entrée en France le 30 octobre 2017. Sa demande d'asile a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 29 juillet 2019. Par décisions du 18 octobre 2019, le préfet de la Savoie a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, lui a interdit d'y revenir pendant un an, et a désigné le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée. Le préfet de la Savoie relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressée dans un délai de trois mois et de lui délivrer le temps de cet examen une autorisation provisoire de séjour.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...)10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. " Aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Il résulte de ces dispositions que dès lors qu'elle dispose d'éléments d'information, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, et alors même que l'intéressée n'a pas sollicité le bénéfice d'une prise en charge médicale en France, recueillir préalablement l'avis du collège de médecins à compétence nationale de l'OFII.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... souffre de multiples pathologies caractérisées par un syndrome anxio-dépressif, un stress post traumatique, une hypercholestoremie et une hypertension. Toutefois il ne ressort pas de ces pièces, et en particulier des propres écritures contentieuses de Mme D..., qu'elle avait fourni au préfet de la Savoie, avant l'intervention de la mesure d'éloignement en litige et alors qu'elle aurait pu le faire pendant la période d'examen de sa demande d'asile, des éléments relatifs à son état de santé suffisamment précis pour établir qu'à raison de cet état de santé elle était susceptible d'entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire, nonobstant la circonstance que la décision de l'OFPRA mentionnait qu'elle n'avait pas pu se rendre aux entretiens proposés pour des raisons médicales en raison d'une fracture du fémur, sans plus de précision sur les conséquences d'une exceptionnelle gravité d'une absence de prise en charge médicale. Dès lors, c'est à tort que le premier juge s'est fondé, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français et, par voie de conséquence, les autres décisions préfectorales du même jour, sur le motif tiré d'un vice de procédure à raison de l'absence de saisine par le préfet du collège de médecins de l'OFII.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de la demande présentée par Mme D... tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, la décision d'obligation de quitter le territoire français comporte l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et traduisent un examen circonstancié de la situation de Mme D.... Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier doivent être écartés.
6. En deuxième lieu, par les éléments médicaux qu'elle produit, notamment les certificats médicaux établis par un médecin généraliste, qui atteste que son état de santé est caractérisé par une fracture du fémur, Mme D... n'établit pas plus en appel qu'en première instance qu'elle ne pourrait bénéficier effectivement dans son pays d'origine d'un traitement approprié à son état de santé, ou qu'un retour dans ce pays serait de nature à aggraver les troubles, dont elle souffre, alors que le préfet de la Savoie produit au débat la liste des médicaments disponibles en Arménie, la liste des traitements disponibles en Arménie et une fiche d'information du ministère de santé de la république d'Arménie et la fiche pays Medcoi établie par le belgian desk on accessibility qui établissent la disponibilité des soins en Arménie. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'elle soutient, l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les dispositions du 10°de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En dernier lieu, si Mme D... fait valoir qu'elle est mère d'un enfant majeur qui réside en France et qu'elle est présente en France depuis le 30 octobre 2017, elle n'y justifie d'aucune intégration particulière. Enfin, ainsi qu'il a été dit précédemment, Mme D... peut bénéficier en Arménie d'un traitement effectif approprié à son état de santé. Dans ces conditions, la décision en litige n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et n'est, par suite, pas entachée d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
En ce qui concerne la fixation du pays de destination :
8. En premier lieu, l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, prise en toutes ses branches, doit être écartée par les motifs des points 2 à 7.
9 En second lieu, eu égard à ce qui a été dit précédemment concernant l'existence en Arménie d'un traitement médical effectif approprié à l'état de santé de l'intéressée, et alors que la requérante ne produit que son récit d'asile, les risques graves encourus en cas de retour dans ce pays ne peuvent être tenus pour établis. Par suite, en fixant l'Arménie comme pays de renvoi, le préfet n'a pas méconnu les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, sa décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
10. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, Mme D... n'est pas fondée à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté en date du 18 octobre 2019 et que la demande de Mme D... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble doit être rejetée. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de Mme D... à fins d'injonction et celles présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1907422 du tribunal administratif de Grenoble lu le 16 décembre 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... veuve D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président ;
Mme Djebiri, premier conseiller ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2020.
N° 20LY00178 2
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