Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 novembre 2018 et un mémoire enregistré le 16 juillet 2020 (non communiqué), M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 11 312,23 euros ;
2°) le cas échéant après mesure d'instruction visant à obtenir communication des documents et délibérations relatifs à la prime de retraite, à la prime d'assiduité et aux indemnités et primes rémunérant les fonctions de conseiller des activités physiques et sportives, de porter la condamnation de la commune de Clermont-Ferrand à la somme de 226 617,46 euros outre les intérêts, capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Clermont-Ferrand le versement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le jugement attaqué a écarté la responsabilité pour faute de la commune de Clermont-Ferrand dès lors que la suspension de fonctions prononcée à son encontre n'était pas fondée sur des griefs qui avaient un caractère de vraisemblance suffisant ;
- l'ordonnance de contrôle judiciaire le concernant impliquait uniquement qu'il cesse d'exercer ses fonctions aux Cézeaux mais ne lui interdisait pas d'exercer d'autres fonctions de son grade et le défaut de réintégration sur tout autre emploi compatible avec les interdictions portées par le contrôle judiciaire est disproportionné ;
- la responsabilité de la commune de Clermont-Ferrand est également engagée compte tenu du délai anormalement long pour le réintégrer ;
- il n'a pas été réintégré dans ses fonctions et notamment sur son ancien poste à grade et prérogatives équivalents et il a été réintégré tardivement ;
- en l'absence de saisine de la commission de discipline, la décision de suspension demeurait irrégulière ;
- son préjudice doit être apprécié à compter du 14 mai 2008, date où il a été indûment suspendu ; il est fondé à demander l'indemnisation du préjudice matériel de perte de prime et indemnités sur la période de mai 2008 au 3 septembre 2015 soit quatre-vingt-huit mois correspondant à la somme totale de 40 256,48 euros au titre de la perte d'indemnités, la somme de 2 450 euros au titre de la perte des primes annuelles d'assiduité, la somme de 1 112,56 euros au titre de la privation du droit au congé annuel et à la réduction du temps de travail (RTT) et la somme de 2 058,85 euros au titre des heures de RTT capitalisées ; il est fondé à solliciter le versement de la somme de 6 500 euros correspondant à la prime de départ à la retraite ; compte tenu de sa suspension, il a été privé d'une évolution certaine de carrière et de revenus et il a droit à être indemnisé au titre de l'absence d'augmentation de salaire de la somme de 7 344 euros pour la période du 1er juillet 2008 au 1er juillet 2011, de la somme de 8 364 euros sur la période du 1er juillet 2011 au 1er juillet 2013 et la somme de 40 253,88 euros au titre des primes et indemnités liées à l'emploi correspondant à ses fonctions en l'absence de communication par la commune de Clermont-Ferrand des informations nécessaires au calcul de ces primes et indemnités ;
- il a été privé de la revalorisation de ses droits à la retraite et a subi un préjudice de 26 965,46 euros et la somme de 1 312,23 euros au titre de la retraite additionnelle ;
- l'allocation d'une somme de 10 000 euros par le tribunal au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence est insuffisante et une somme de 50 000 euros lui sera allouée à ce titre ; il est fondé à solliciter le versement de la somme de 40 000 euros en réparation de sa souffrance physique et psychologique.
Par mémoire enregistré le 8 juin 2020, la commune de Clermont-Ferrand représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) par voie d'appel incident, d'annuler le jugement du 3 octobre 2018 en ce qu'il l'a condamnée à verser la somme de 11 312,23 euros et de rejeter la demande présentée à cette hauteur par M. C... devant le tribunal ;
2°) de mettre à la charge de M. C... le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa responsabilité pour faute ne peut pas être retenue et les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- les conditions d'engagement de sa responsabilité sans faute ne sont pas satisfaites ;
- subsidiairement, il conviendra de réduire l'évaluation des préjudices de M. C... qui sont indemnisables qu'à compter de la date à laquelle il a informé son employeur de sa relaxe définitive soit le 20 octobre 2014 ou après l'arrêt de la cour d'appel rendu le 10 septembre 2015 ;
- aucun préjudice résultant de la privation de revenus professionnels n'est constitué ; subsidiairement, il ne pourrait pas dépasser la somme des primes annuelles d'indemnité servies sur dix mois, soit 292 euros ;
- M. C... n'a pas subi de préjudice moral et physique en lien avec la mesure de suspension.
Par ordonnance du 16 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 2011-605 du 30 mai 2011 portant statut particulier du cadre d'emplois des éducateurs territoriaux des activités physiques et sportives ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
- et les observations de Me D... pour M. C..., ainsi que celles de Me B..., substituant Me E..., pour la commune de Clermont-Ferrand ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., éducateur des activités physiques et sportives hors classe affecté en tant que directeur du complexe sportif municipal des Cézeaux à Clermont-Ferrand, depuis septembre 2000, a été suspendu de ses fonctions par un arrêté du 13 mai 2008 du maire, à compter du 14 mai suivant, en raison de l'engagement de poursuites judiciaires, alors que l'intéressé était admis en congé de maladie puis de longue maladie du 14 mai 2008 au 30 mai 2011. Suite au jugement de relaxe rendu le 11 mars 2013 par le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, le maire de Clermont-Ferrand, par décision du 8 février 2014, a mis fin à la suspension de M. C..., a prononcé sa réintégration et l'a affecté aux fonctions de responsable de la maison des boulistes à compter du 1er février 2014. M. C..., qui a été admis à faire valoir ses droits à la retraite au 3 septembre 2015, relève appel du jugement lu le 3 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a limité la condamnation de la commune de Clermont-Ferrand à lui verser la somme de 11 312,23 euros en réparation des préjudices subis. La commune de Clermont-Ferrand relève appel incident de sa condamnation.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne les périodes non couvertes par la mesure de suspension :
2. Il résulte de l'instruction, que suite à la décision de suspension de fonctions du 13 mai 2008, M. C... a été placé en congé maladie puis en congé de longue maladie du 14 mai 2008 au 30 mai 2011. Au cours de cette période, la réduction de traitement et les incidences statutaires dont M. C... demande l'indemnisation résultent de l'application des dispositions de l'article 57 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 sur le régime des fonctionnaires admis à bénéficier de tels congés, non pas de la mesure de suspension à raison de laquelle il recherche la responsabilité de la commune de Clermont-Ferrand. Il suit de là que la demande d'indemnisation de la perte de primes et indemnités, de privation du droit au congé annuel et de droits attachés à la réduction du temps de travail ainsi que le préjudice de carrière pour la période du 14 mai 2008 au 30 mai 2011, doit d'ores et déjà être rejetée. Il en va de même de la demande d'indemnisation des mêmes préjudices afférents à la période du 1er février 2014 au 3 septembre 2015 au cours de laquelle M. C... avait réintégré le service et qui ne peuvent se rattacher aux effets de la suspension de fonctions.
En ce qui concerne la période couverte par la mesure de suspension :
3. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée dans sa version alors applicable : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ". La suspension d'un fonctionnaire est une mesure conservatoire, sans caractère disciplinaire, qui a pour objet d'écarter l'intéressé du service pendant la durée nécessaire à l'administration pour tirer les conséquences de ce dont il est fait grief à l'agent dès lors que ces griefs présentent à la date de la suspension le caractère de gravité et de vraisemblance.
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que suite aux plaintes déposées devant l'autorité judiciaire par plusieurs de ses subordonnées pour harcèlement sexuel et moral, M. C... a été mis en examen et a fait l'objet, dès le 6 mai 2008, d'une mesure de placement sous contrôle judiciaire lui interdisant de se rendre sur le complexe sportif qu'il dirigeait, d'entrer en relation avec certains des employés du service et de se livrer à toute activité comportant l'exercice d'un pouvoir hiérarchique. Compte tenu de ces contraintes, qui faisaient d'elles-mêmes obstacle à son maintien en fonction et dessaisissaient l'employeur de toute faculté d'apprécier la gravité et vraisemblance des faits aussi longtemps que la justice ne s'était pas prononcée, alors en outre que ni la disposition précitée ni le principe général du droit n'obligeait l'administration à procéder à une enquête interne, M. C... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité fautive résultant de l'arrêté du 14 mai 2008 prononçant sa suspension de fonctions. Par suite, la commune de Clermont-Ferrand ne saurait être tenu de répondre, sur le fondement de la faute, de la privation de primes annuelles d'assiduités, du droit au congé annuel et à la réduction du temps de travail, des heures de RTT capitalisées et la revalorisation de ses droits à la retraite et au titre de la retraite additionnelle sur la période du 30 mai 2011 au 11 mars 2013, date du jugement du tribunal correctionnel prononçant la relaxe de M. C... pour les faits qui ont fondé la mesure de suspension. La demande d'indemnisation présentée de ce chef doit donc être rejetée.
5. En revanche, les dispositions de l'article 30 précité font peser sur la collectivité employeur, après avoir sollicité le cas échéant l'autorité judiciaire sur les suites des poursuites, l'obligation de réintégrer sans délai l'agent relaxé, ce qui implique que soient reconstitués ses droits, avec effet rétroactif, sans que puisse être utilement invoqué le défaut d'information qui n'incombe pas à l'intéressé. Il résulte de l'instruction qu'alors que M. C... a été relaxé par jugement du 11 mars 2013, il n'a été mis fin à la suspension de ses fonctions qu'au 1er février 2014. Ce retard de dix mois est constitutif d'une illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Clermont-Ferrand.
6. Du 11 mars 2013 au 31 janvier 2014, M. C... n'a pu percevoir la nouvelle bonification indiciaire, les indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires et l'indemnité d'exercice de mission des préfectures d'un montant total mensuel de 457,46 euros, selon ses bulletins de salaire, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. C... aurait perçu une compensation de ce poste de préjudice par une mutuelle. Il est, dès lors, fondé à demander le versement de la somme de 4 574,60 euros à ce titre. Par ailleurs, un tel retard dans la réintégration de M. C... a emporté pour ce dernier un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il sera fait une juste évaluation en mettant à la charge de la commune de Clermont-Ferrand le versement de la somme totale de 2 000 euros à ce titre.
7. En dernier lieu, pour les motifs retenus par le tribunal et qu'il y a lieu pour la cour d'adopter, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la commune de Clermont-Ferrand a commis une faute en le réintégrant, compte tenu des nécessités du service et de son grade, en tant que responsable de la maison des boulistes conformément à son statut. La demande d'indemnisation des préjudices de tous ordres présentée sur ce fondement doit donc être rejetée.
Sur l'appel incident :
8. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement.
9. Toutefois, si la suspension de fonctions litigieuse, légalement justifiée et fondée sur un motif d'intérêt général, a causé à M. C... un préjudice spécial en ce qu'il a dû en assumer seul les effets du 30 mai 2011 au 10 mars 2013, il résulte de l'instruction que son traitement de base a été maintenu de mai 2008 à février 2014 et que la perte de chance alléguée quant à l'évolution de sa carrière compte tenu de son inscription sur la liste d'aptitude à l'emploi de conseiller des activités physiques et sportives à compter du 1er juillet 2007 par arrêté du maire de Clermont-Ferrand du 27 juin 2007 n'est qu'éventuelle. Par ailleurs, le préjudice moral allégué d'atteinte à la réputation et les souffrances endurées, résultent directement et uniquement de la mise en cause au judiciaire de M. C... par certains de ses subordonnées et de l'instance pénale qui en est résulté. Il suit de là que les préjudices allégués exclusivement liés à la suspension de fonction ne peuvent être regardés comme anormaux et donc de nature à engager la responsabilité sans faute de la commune de Clermont-Ferrand.
10. Par suite, la commune de Clermont-Ferrand est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamnée sur ce fondement à verser à M. C... la somme de 11 312,23 euros. Après imputation des sommes liquidées au point 7, la condamnation de la commune de Clermont-Ferrand, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2016, capitalisés au 26 octobre 2017, doit être ramenée à 6 574,60 euros et le jugement attaqué, réformé dans les mêmes proportions.
11. La commune de Clermont-Ferrand n'étant pas la partie perdante, les conclusions de M. C... tendant à mettre à sa charge une somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Clermont-Ferrand en application de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La condamnation de la commune de Clermont-Ferrand, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2016, capitalisés au 26 octobre 2017, est ramenée de 11 312,23 euros à 6 574,60 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1601849 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand lu le 3 octobre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la commune de Clermont-Ferrand.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre ;
M. Seillet, président assesseur ;
Mme Burnichon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.
N° 18LY04169