Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 4 févier 2019 et un mémoire ampliatif enregistré le 15 mars 2019, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales demande à la Cour d'annuler le jugement du 28 novembre 2018 du tribunal administratif de Nice et de rejeter la demande de la SCI Familiale Triguel.
Elle soutient que :
- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement en considérant que la commune de Vallauris, agissant au nom de l'État, avait commis une faute en s'abstenant de procéder d'office au travaux de remise en état de la parcelle propriété de la SCI Familiale Triguel sur le fondement de l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme ;
- le tribunal a commis une erreur de droit au regard de l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme en jugeant que l'autorité compétente avait l'obligation de procéder à l'exécution d'office de la décision de justice ;
- l'administration a la faculté de liquider l'astreinte et de la recouvrir avant l'exécution d'office ;
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en condamnant l'État à verser la somme de 7000 euros à la SCI Familiale Triguel en l'absence de justification de son préjudice.
Par un mémoire enregistré le 26 mars 2019, la SCI Familiale Triguel, représentée par Me A..., demande à la Cour de rejeter la requête, de condamner l'État à lui verser la somme de 12 000 euros en réparation de son préjudice et de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- son préjudice de jouissance s'élève à 12 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les conclusions de Mme Giocanti, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
1. Par un jugement du 13 novembre 2012, le tribunal correctionnel de Grasse a déclaré coupable la société franco italienne de location, des faits de travaux d'exhaussement et de coupe d'arbres sans autorisation sur plusieurs parcelles, notamment celle cadastrée section AC n° 214, situées chemin du Fuguière, sur le territoire de la commune de Vallauris, et l'a condamnée à une amende de 20 000 euros. Il a ordonné à l'encontre de la société franco italienne de location la remise en état des lieux dans un délai de six mois sous astreinte de 75 euros par jour de retard. Par le même jugement, MM. B... et E... C... ont été déclarés coupables des mêmes faits et condamnés chacun à une amende de 10 000 euros. Le tribunal a prononcé à l'encontre de chacun d'eux la remise en état des lieux dans un délai de six mois sous astreinte de 75 euros par jour de retard. Par un arrêt du 19 novembre 2013, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé le jugement sur les amendes infligées à MM. B... et E... C..., les a condamnés chacun à une amende de 15 000 euros, et a confirmé pour le surplus le jugement du tribunal correctionnel.
2. La SCI Familiale Triguel, propriétaire de la parcelle cadastrée section AC n° 214, a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Vallauris et l'État à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'abstention de ces personnes publiques à faire exécuter l'arrêt du 19 novembre 2013. Par un jugement du 28 novembre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande formée contre la commune de Vallauris comme mal dirigée et a condamné l'État à verser à la SCI Familiale Triguel la somme de 7 000 euros en raison de sa carence fautive à faire exécuter l'arrêt du 19 novembre 2013. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales relève appel de ce jugement. La SCI Familiale Triguel, par la voie de l'appel incident, demande que l'indemnité que l'État a été condamné à lui verser soit portée à un montant de 12 000 euros.
Sur la régularité du jugement :
3. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales soutient que le jugement serait insuffisamment motivé, en ce le tribunal n'aurait pas indiqué précisément les motifs pour lesquels il a considéré qu'en l'absence de possibilité de régularisation, il incombe à l'autorité administrative de mettre en oeuvre l'exécution d'office de la décision de justice.
4. Il ressort toutefois du jugement attaqué que le tribunal a précisé dans son point 7 qu'en l'absence de possibilité de régularisation des travaux irrégulièrement exécutés par la délivrance d'une autorisation d'urbanisme, il incombe à l'autorité publique de mettre en oeuvre l'exécution d'office de la décision de justice, sans préjudice de la liquidation et du recouvrement de l'astreinte fixée le cas échéant par le juge. Il a ainsi suffisamment motivé son jugement.
Sur la responsabilité de l'État :
En ce qui concerne la faute :
5. Aux termes de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme : " En cas de condamnation d'une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L. 160-1 et L. 480-4, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l'absence d'avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l'autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur. / (...) ". Aux termes de l'article L. 480-7 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence : " Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol un délai pour l'exécution de l'ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; il peut assortir sa décision d'une astreinte de 7,5 à 75 euros par jour de retard. Au cas où le délai n'est pas observé, l'astreinte prononcée, qui ne peut être révisée que dans le cas prévu au troisième alinéa du présent article, court à partir de l'expiration dudit délai jusqu'au jour où l'ordre a été complètement exécuté. Si l'exécution n'est pas intervenue dans l'année de l'expiration du délai, le tribunal peut, sur réquisition du ministère public, relever à une ou plusieurs reprises, le montant de l'astreinte, même au-delà du maximum prévu ci-dessus... ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 480-9 du même code : " Si, à l'expiration du délai fixé par le jugement, la démolition, la mise en conformité ou la remise en état ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol. / Au cas où les travaux porteraient atteinte à des droits acquis par des tiers sur les lieux ou ouvrages visés, le maire ou le fonctionnaire compétent ne pourra faire procéder aux travaux mentionnés à l'alinéa précédent qu'après décision du tribunal de grande instance qui ordonnera, le cas échéant, l'expulsion de tous occupants. ".
6. Il résulte de ces dispositions que, au terme du délai fixé par la décision du juge pénal prise en application de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme, il appartient au maire ou au fonctionnaire compétent, de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers, sous la réserve mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 480-9 du code, de faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de cette décision de justice, sauf si des motifs tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics justifient un refus. En outre, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'urbanisme visant à régulariser les travaux dont la démolition, la mise en conformité ou la remise en état a été ordonnée par le juge pénal, l'autorité compétente n'est pas tenue de la rejeter et il lui appartient d'apprécier l'opportunité de délivrer une telle autorisation de régularisation, compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d'urbanisme applicables. Dans le cas où, sans motif légal, l'administration refuse de faire procéder d'office aux travaux nécessaires à l'exécution de la décision du juge pénal, sa responsabilité pour faute peut être poursuivie. En cas de refus légal, et donc en l'absence de toute faute de l'administration, la responsabilité sans faute de l'État peut être recherchée, sur le fondement du principe d'égalité devant les charges publiques, par un tiers qui se prévaut d'un préjudice revêtant un caractère grave et spécial.
7. D'une part, les dispositions précitées ne font de la liquidation de l'astreinte prévue à l'article L. 480-7 ni un préalable ni une alternative à la mise en oeuvre d'office des travaux nécessaires à l'exécution de la décision rendue par le juge répressif. Ainsi que l'a jugé le tribunal, il appartient donc au maire ou au fonctionnaire compétent de mettre en oeuvre ces travaux sans préjudice de la liquidation et du recouvrement de l'astreinte prononcée le cas échéant par le juge pénal.
8. D'autre part, il est constant que les exhaussements n'étaient pas autorisés par le document d'urbanisme applicable et qu'aucune régularisation n'était dès lors possible. Il résulte de l'instruction que le délai de six mois pour exécuter l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence courait à compter de la date à laquelle cet arrêt est devenu définitif. La Cour de cassation ayant déclaré le pourvoi non admis le 11 mars 2014, la mise en oeuvre d'office des travaux nécessaires à l'exécution de cet arrêt pouvait donc intervenir à compter du 11 septembre 2014. La SCI Familiale Triguel a demandé à plusieurs reprises au préfet de faire procéder d'office à la remise en état des lieux, notamment par des lettres des 27 janvier et 9 mai 2015. En se bornant à alléguer le coût d'une remise en état des lieux, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales n'allègue aucun motif tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics pour ne pas avoir fait procéder à la remise en état des lieux. Ainsi que l'a jugé le tribunal, la carence des services de l'Etat a constitué une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne le préjudice :
9. Du fait de la carence fautive des services de l'État, telle que décrite au point 8, la SCI Familiale Triguel a été privée de la jouissance d'une parcelle d'une superficie d'environ 2 600 m² située à proximité d'une zone d'activité, puisqu'elle n'a pu user librement de son bien. Le tribunal a fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à 7000 euros.
10. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a condamné l'État à verser une somme de 7000 euros à la SCI Familiale Triguel, d'autre part que l'appel incident de cette dernière tendant à la réévaluation de cette indemnité doit être écarté.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à la SCI Familiale Triguel au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le recours de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SCI Familiale Triguel par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 3 : L'État versera la somme de 2 000 euros à la SCI Familiale Triguel en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la SCI familiale Triguel.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et à la commune de Vallauris.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020, où siégeaient :
- M. Poujade président,
- M. D..., président assesseur,
- Mme Gougot, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
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N°19MA00619
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