Par un jugement n° 1608920, 1608923 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces titres exécutoires et prononcé la décharge de l'obligation de payer les sommes réclamées par ces titres.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 12 septembre 2019 et le 28 février 2020, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 juillet 2019 en tant qu'il concerne l'instance enregistrée sous le n° 1608923 relative à la redevance d'archéologie préventive ;
2°) de rejeter la demande de première instance.
Elle soutient que :
- le signataire de la requête d'appel justifie d'une délégation de signature régulièrement consentie sur le fondement de l'article 1er du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le droit de reprise de l'administration était prescrit à la date d'émission du titre exécutoire contesté sur le fondement de l'article L. 331-21 du code de l'urbanisme, issu de l'article 28 de la loi n° 2010-1658 du 20 décembre 2010 qui fixe ce délai à trois ans, alors qu'il a été prorogé à quatre ans par l'article 56 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2019, la SSCV " Campagne 1ère " conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête d'appel est irrecevable à défaut de justification par la ministre que le signataire de la requête d'appel bénéficiait d'une délégation suffisamment précise, publiée et transmise au représentant de l'Etat ;
- le moyen de la requête d'appel n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment l'article 1er de son premier protocole additionnel ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code du patrimoine ;
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Giocanti, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la SCCV " Campagne 1ère ".
Considérant ce qui suit :
1. Le directeur départemental des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône a émis à l'encontre de la SCCV " Campagne 1ère " le 28 juin 2016, d'une part, deux titres exécutoires pour le recouvrement des sommes de 45 692 euros et 45 691 euros au titre de la taxe d'aménagement et, d'autre part, un titre exécutoire pour le recouvrement de la somme de 5 580 euros au titre de la redevance d'archéologie préventive, suite à l'obtention d'un permis de construire n° PC0130151200048-T01 du 1er octobre 2012. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales interjette appel du jugement du 4 juillet 2019 en tant que le tribunal administratif de Marseille a annulé le titre exécutoire relatif à la redevance d'archéologie préventive.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. L'article L. 331-19 du code de l'urbanisme, auquel renvoie l'article L. 524-8 du code du patrimoine pour la redevance d'archéologie préventive, dispose que : " Les services de l'Etat chargés de l'urbanisme dans le département sont seuls compétents pour établir et liquider la taxe. " Et aux termes de l'article R. 811-10 du code de justice administrative : " (...) Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat./ Les ministres peuvent déléguer leur signature dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur. ". Enfin selon l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement modifié susvisé : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / [...] 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs... ".
3. Par un arrêté du 18 juin 2019, pris sur le fondement de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 précité, et publié au Journal officiel de la République française du 20 juin 2019, M. C... a été renouvelé dans ses fonctions de sous-directeur des affaires juridiques de l'environnement, de l'urbanisme et de l'habitat au sein de la direction des affaires juridiques du secrétariat général, à l'administration centrale du ministère de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales pour une période de trois ans à compter du 18 juillet 2019. Du fait de sa nomination et eu égard aux attributions de cette direction pour traiter le contentieux de ce ministère en matière notamment d'urbanisme et d'aménagement, en application de l'article 2.3.2 de l'arrêté du 9 juillet 2008 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, il disposait d'une délégation lui donnant compétence pour signer la requête d'appel au nom de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. La fin de non-recevoir opposée par la SCCV " Campagne 1er " tirée du défaut de qualité à agir du signataire de la requête doit, par suite, être écartée.
Sur le bien-fondé de la requête d'appel :
4. L'article L. 524-8 du code du patrimoine dispose que : " I. - Lorsqu'elle est perçue sur les travaux mentionnés au a de l'article L. 524-2, la redevance est établie dans les conditions prévues aux articles L. 331-19 et L. 331-20 du code de l'urbanisme. Les règles de contrôle et les sanctions sont celles prévues aux articles L. 331-21 à L. 331-23 du même code ". Aux termes de l'article L. 331-21 du code de l'urbanisme, dans sa version issue de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 : " Le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'au 31 décembre de la troisième année qui suit, selon les cas, celle de la délivrance de l'autorisation de construire... ". Toutefois, selon l'article L. 331-21 du même code, dans sa version issue de la loi de finances rectificatives n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 : " Le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'au 31 décembre de la quatrième année qui suit, selon les cas, celle de la délivrance de l'autorisation de construire ". Enfin l'article 2222 du code civil, applicable aux personnes publiques alors même que les dispositions de l'article 2227 de ce code qui soumettaient explicitement l'Etat à ces règles ont été abrogés par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, précise que : " La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur ".
5. Le tribunal, après avoir relevé que la redevance d'archéologie préventive avait été autorisée par un permis de construire délivré par le maire de Bouc Bel Air le 2 octobre 2012 a estimé que l'administration disposait, en application de l'article L. 331-21 dans sa version antérieure à la loi du 29 décembre 2015, d'un délai de trois ans à compter du 31 décembre 2012 pour exercer son droit de reprise, et qu'à la date d'émission du titre de perception attaqué, le 28 juin 2016, ce droit était donc prescrit.
6. Toutefois, l'article 123 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015 précise qu'elle entre en vigueur immédiatement, soit le 30 décembre 2015, date de sa publication. L'autorisation de construire ayant été accordée le 2 octobre 2012, le délai de reprise initial de trois ans expirait le 31 décembre 2015 et n'était donc pas acquis à la date à laquelle le délai allongé de quatre ans est entré en vigueur. Il y a donc lieu d'appliquer le délai de reprise allongé de quatre ans, qui expirait le 31 décembre 2016. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que le droit de reprise était prescrit à la date d'émission du titre de perception, le 28 juin 2016.
7. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif que devant la Cour.
8. Aux termes de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour [...] assurer le paiement des impôts... ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.
9. Mais, ainsi qu'il a été dit au point 6, le délai de reprise initial de trois ans expirait le 31 décembre 2015 et n'était donc pas acquis à la date à laquelle le délai allongé de quatre ans est entré en vigueur. En allongeant le délai de reprise de trois à quatre ans, le législateur n'a donc privé la SCCV " Campagne 1ère " d'aucune espérance légitime au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a, par suite, pas porté atteinte à un droit garanti par ces stipulations.
10. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales est par conséquent fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a annulé le titre exécutoire émis le 28 juin 2016 pour assurer le recouvrement de la redevance d'archéologie préventive due par la SCCV " Campagne 1ère " et prononcé la décharge de la somme ainsi réclamée de 5 580 euros, ainsi que le rejet des conclusions présentées devant le tribunal administratif par ladite société, aux termes de la demande enregistrée sous n° 1608923.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la SCCV " Campagne 1ère " dirigées contre l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 juillet 2019 est annulé, en tant qu'il a statué sur la demande n° 1608923.
Article 2 : La demande n° 1608923 présentée par la SCCV " Campagne 1er " devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : Les conclusions formées par la SCCV " Campagne 1er " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités et à la SCCV " Campagne 1er ".
Délibéré après l'audience du 8 avril 2021, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 avril 2021.
Le rapporteur,
Signé
I. A...La présidente,
Signé
L. HELMLINGER
La greffière,
Signé
D. GIORDANO
La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 19MA04304
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