2°) de rejeter les demandes présentées par M. Kamel et la CPAM de Lille-Douai devant le tribunal.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- les complications infectieuses intervenues ne sont pas imputables à une faute dans la prise en charge du patient ;
- à titre subsidiaire, seule une perte de chance peut être retenue ;
- les préjudices et les indemnités doivent être ramenés à de plus justes proportions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2018, la CPAM de Lille-Douai, représentée par Me Martha, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de condamner le centre hospitalier d'Avignon à lui verser les intérêts légaux sur la somme de 98 024,21 euros à compter de la date du jugement du tribunal et de porter le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion à la somme de 1 066 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avignon la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le centre hospitalier d'Avignon ne sont pas fondés ;
- elle a droit aux intérêts légaux sur le montant alloué au titre des débours à compter du jugement du tribunal ;
- le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion doit être augmenté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2018, M. Kamel, représenté par Me Paternoster, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de porter la condamnation du centre hospitalier d'Avignon à la somme de 752 637,48 euros et de le condamner à lui rembourser sur présentation des justificatifs les dépenses de santé futures qui resteraient à sa charge ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avignon une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le centre hospitalier d'Avignon ne sont pas fondés ;
- le centre hospitalier d'Avignon est responsable de la survenue d'une infection nosocomiale ou liée à la faute qu'il a commise ;
- il n'y a pas lieu de retenir une perte de chance ;
- il justifie de la réalité et du montant des préjudices dont il demande réparation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me De Raismes représentant le centre hospitalier d'Avignon.
Considérant ce qui suit :
1. M. Kamel a été victime dans la nuit du 19 octobre 2013 d'un accident de la voie publique ayant nécessité sa prise en charge par le service des urgences puis le service orthopédique et traumatologique du centre hospitalier d'Avignon jusqu'au 21 octobre 2013, en raison d'un traumatisme crânien avec perte de connaissance initiale, d'une plaie de la face, et d'une fracture fermée et non déplacée de la partie proximale du péroné droit avec abrasion simple de la peau du côté de la jambe opposé à cette fracture. Il a dû être de nouveau hospitalisé au centre hospitalier universitaire de Lille dès le 23 octobre et jusqu'au 5 décembre 2013, du fait d'une gangrène gazeuse post-traumatique provoquée par la prolifération de clostridies. Le centre hospitalier d'Avignon fait appel du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 28 novembre 2017 l'ayant condamné à verser à M. Kamel la somme de 102 245 euros en réparation de ses préjudices et à la CPAM de Lille-Douai la somme de 98 024,21 euros au titre des débours exposés ainsi que la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Par la voie de l'appel incident, la CPAM de Lille-Douai demande la condamnation du centre hospitalier d'Avignon à lui verser les intérêts légaux sur la somme de 98 024,21 euros à compter de la date du jugement et de porter le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion à la somme de 1 066 euros. Pour sa part, M. Kamel demande que l'indemnité que le centre hospitalier d'Avignon a été condamné à lui payer soit portée à la somme de 752 637,48 euros et que cet établissement soit également condamné à lui rembourser sur présentation des justificatifs les dépenses de santé futures qui resteraient à sa charge.
Sur la régularité du jugement :
2. Le moyen, soulevé par le centre hospitalier d'Avignon dans la requête et qui n'a fait l'objet d'aucun développement dans le mémoire ampliatif, tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, pour ce motif, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité :
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Lille le 10 décembre 2014, que la gangrène gazeuse dont M. Kamel a été victime, qui est la conséquence d'une infection par clostridies, constitue une grave complication, rare mais connue et prévisible, de l'abrasion simple de la peau de sa jambe droite à la suite de l'accident. L'intéressé a présenté, dès le lendemain de sa sortie du centre hospitalier d'Avignon, le 22 octobre, des douleurs au genou et une hyperthermie. Le 23 octobre, l'infirmière venue à son domicile a constaté une odeur nauséabonde de la plaie.
4. Il résulte encore de l'instruction, en particulier des recommandations de la conférence de consensus du 2 décembre 2015 reprises par l'expert, qu'en cas d'abrasion simple de la peau, un brossage soigneux de la plaie avec ablation des corps étrangers doit être réalisé pour limiter le risque septique et la rançon cicatricielle, sous anesthésie si nécessaire. M. Kamel a fait l'objet, à son arrivée dans le service des urgences du centre hospitalier d'Avignon, d'une désinfection cutanée et a pris, le lendemain, une douche à la Bétadine. Par ailleurs, si la présence de clostridies est courante sur les plaies accidentelles, leur multiplication nécessite des conditions locales favorables, dont la plus importante est la réduction de l'apport d'oxygène. En outre, la localisation de l'abrasion simple de la peau présentée par M. Kamel à l'opposé de la fracture du col du péroné constitue un élément aggravant du traumatisme compressif nécessitant une surveillance renforcée du syndrome des loges. La notion d'une palpation douloureuse des loges musculaires du mollet en association avec cette abrasion de la peau était évocatrice d'une plaie contuse résultant d'un tel traumatisme.
5. Dans ce contexte, le choix de la pose, pour traiter la fracture, d'un plâtre cruro-pédieux fenêtré mais momentanément fermé jusqu'aux soins infirmiers prévus à 48 heures aurait dû être encadré de précautions indispensables consistant en une désinfection soigneuse de l'abrasion avant la pose de ce plâtre et en la mise en place d'un traitement antibiotique préventif du fait de la haute probabilité d'une contamination tellurique eu égard aux circonstances de l'accident et à l'enfermement de la plaie sous le plâtre. A cet égard, l'avis contraire sur pièces établi par un médecin infectiologue et un chirurgien orthopédiste produit par le centre hospitalier devant le tribunal, qui ne comporte aucune argumentation étayée et documentée, n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'expert sur ce point.
6. Il résulte de l'instruction que les précautions décrites au point 5 ci-dessus n'ont pas été prises. La survenue de la gangrène gazeuse de M. Kamel doit, par suite, être regardée comme étant en totalité imputable aux manquements du centre hospitalier d'Avignon tenant à l'insuffisance des mesures de désinfection de l'abrasion simple de la peau avant la pose du plâtre et à l'absence de mise en place d'un traitement antibiotique préventif. Eu égard à ces circonstances, c'est à bon droit que les premiers juges, après avoir considéré que les préjudices de M. Kamel trouvaient leur cause exclusive dans l'absence de telles précautions, ont retenu que la responsabilité pour faute de l'hôpital était entièrement engagée et qu'il devait être condamné à réparer l'intégralité de ces préjudices et non une simple fraction de ceux-ci.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
Quant aux dépenses de santé :
7. La CPAM de Lille-Douai a droit aux intérêts au taux légal sur la somme, non contestée, de 98 174,21 euros que le centre hospitalier a été condamné à lui verser par le tribunal à compter du jour du jugement.
8. M. Kamel n'établit pas que des dépenses de santé seraient restées à sa charge. L'existence de dépenses de santé futures ne présente pas un caractère certain. Dès lors, la demande présentée à ce titre par M. Kamel doit être rejetée.
Quant à l'assistance par une tierce personne :
9. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. Kamel a nécessité une assistance par une tierce personne du 5 décembre 2013 jusqu'au 16 janvier 2014 à raison d'une heure par jour, soit 43 heures. Les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce préjudice en en fixant la réparation, compte-tenu du salaire minimum sur la période concernée, et en prenant en compte les charges sociales et congés payés correspondants et un taux horaire global de 15 euros, à la somme de 645 euros.
Quant aux pertes de gains professionnels et à l'incidence professionnelle :
10. Ainsi que l'ont retenu à .juste titre les premiers juges, M. Kamel était à la date de l'accident sans emploi et inscrit à la mission locale de Lille depuis 3 ans Il avait bénéficié du revenu contractualisé d'autonomie au cours de l'année 2012, sans être parvenu à obtenir un emploi. S'il n'a pas pu se rendre, le 5 novembre 2013, à une réunion d'information collective sur un emploi d'agent de médiation dans les transports en communs, suivie d'entretiens individuels de recrutement, il ne résulte pas de l'instruction que son embauche pour cet emploi présentait un caractère certain ni même qu'il avait une chance sérieuse de l'obtenir. Il n'est pas davantage établi, par ailleurs, qu'il aurait eu une chance sérieuse de réussir les épreuves de sélection pour devenir aide-soignant auxquelles il s'était inscrit et n'a pu se présenter. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à demander l'indemnisation d'une perte de gains professionnels actuels ou futurs.
11. M. Kamel est titulaire d'un baccalauréat professionnel " énergétique et climatisation " et d'une qualification en soudure inox. Il résulte de l'instruction que ses séquelles motrices lui interdisent tout travail manuel ou de manutention. Dans ces conditions, les premiers juges ont justement indemnisé l'incidence professionnelle, réparant la perte de chance professionnelle, en lui allouant la somme de 10 000 euros.
Quant aux autres dépenses :
12. M. A..., domicilié .... Il sera fait une juste appréciation des frais de déplacement ainsi exposés en en fixant la réparation, en référence au barème kilométrique applicable en 2015, à la somme de 170 euros. En revanche, M. A... n'établit pas avoir exposé des frais de déplacement pour se rendre chez son médecin traitant ou chez son psychiatre à Lille.
S'agissant des préjudices extra patrimoniaux :
Quant aux préjudices temporaires :
13. Il résulte de l'instruction que M. Kamel a subi en raison de la gangrène gazeuse une déficit fonctionnel temporaire de 100% du 23 octobre au 5 décembre 2013 (43 jours), de 75% du 6 décembre 2013 au 16 janvier 2014 (41 jours) et de 35% du 17 janvier 2014 au 9 avril 2015, date de la consolidation de son état de santé (446 jours). Les premiers juges ont justement évalué ce préjudice en en fixant la réparation à la somme globale de 4 000 euros.
14. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice relatif aux souffrances endurées, évaluées de 4 à 4,5 sur une échelle de 7, en le réparant par l'attribution d'une indemnité de 11 000 euros.
15. Il résulte de l'instruction que M. A..., alors âgé de 21 ans, a subi un préjudice esthétique temporaire devant être évalué à 3 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en en fixant la réparation à la somme de 3 000 euros.
Quant aux préjudices permanents :
16. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. A... présente des difficultés à la marche et des limitations importantes dans l'accomplissement de certains mouvements complexes. Ainsi que l'ont retenu à .... C'est donc à juste titre que les premiers juges ont fixé à 15% le déficit locomoteur subi par M. Kamel, dont l'extension du genou est conservée avec une flexion de 0 à 60°. Par ailleurs, celui-ci souffre également d'une dépression chronique, résistante aux traitements médicamenteux et à la prise en charge spécialisée dont il fait l'objet. Cette pathologie est consécutive à la gangrène gazeuse et à ses conséquences, du fait de l'absence de projection dans l'avenir compte tenu de la perte d'autonomie. Il y a lieu à ce titre de maintenir l'évaluation du déficit fonctionnel en résultant à 15%, et de fixer le déficit fonctionnel dont M. Kamel demeure globalement affecté à 30% ainsi que l'ont fait les premiers juges, qui ont en outre justement indemnisé ce préjudice en allouant à M. A..., âgé de presque 23 ans à la date de consolidation, la somme de 66 000 euros.
17. L'indemnisation de 3 000 euros accordée à M. A... au titre de son préjudice esthétique permanent évalué par l'expert à 2,5 sur une échelle de 7, n'est pas discutée et correspond à une juste évaluation de ce préjudice.
18. Ainsi que l'ont retenu à ... déficit fonctionnel permanent le prive de toute perspective de pratiquer à nouveau cette activité. Le préjudice d'agrément a été justement réparé par les premiers juges par l'allocation de la somme de 7 000 euros.
19. M. Kamel demande l'indemnisation d'un préjudice sexuel qui résulterait de l'incidence des séquelles sur la séduction et sur l'estime de soi, tenant au fait de présenter une image altérée dans le regard des tiers. Toutefois, ces circonstances ne relèvent pas du préjudice sexuel, mais du préjudice esthétique permanent, qui est déjà indemnisé ainsi que cela a été exposé au point 17.
20. Il résulte de ce qui précède que la somme que le centre hospitalier d'Avignon doit verser à M. A... doit être portée à 105 415 euros.
21. Par ailleurs, la CPAM de Lille-Douai est fondée à demander que lui soient versés les intérêts au taux légal sur la somme de 98 024,21 euros à compter du 28 novembre 2017. En revanche, en l'absence de majoration des sommes dues au titre des prestations versées, ses conclusions tendant à l'augmentation de l'indemnité forfaitaire de gestion doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
22. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avignon, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme de 2 000 euros à M. A.... En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la CPAM de Lille-Douai sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du centre hospitalier d'Avignon est rejetée.
Article 2 : La somme de 102 245 euros que le centre hospitalier d'Avignon a été condamné à verser à M. A... par le jugement du 28 novembre 2017 est portée à la somme de 105 415 euros.
Article 3 : La somme de 98 024,21 euros allouée à la CPAM de Lille-Douai portera intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2017.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 27 novembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le centre hospitalier d'Avignon versera à M. Kamel une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de M. A... et de la CPAM de Lille-Douai, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier d'Avignon, à M. B... Kamel et à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille-Douai.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019, où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme G..., présidente assesseure,
- Mme H..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 octobre 2019.
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N° 18MA00428