Par une requête enregistrée le 23 avril 2020, l'EURL La Tortue, représentée par la Selarl Legis Conseils Var, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 février 2020 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009 et 2010 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la même période, en droits et pénalités et intérêts de retard ;
3°) de prononcer la décharge des amendes pour distributions occultes qui lui ont été infligées au titre des années 2009 et 2010.
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 8 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Elle soutient que :
- la vérificatrice n'a pas dressé le procès-verbal prévu par l'article L. 13 du livre des procédures fiscales ;
- elle n'a pas été informée des traitements informatiques envisagés et réalisés par le service vérificateur ;
- l'absence de certaines pièces comptables ne peut lui être reprochée dès lors qu'elle résulte de deux sinistres, ce qui constitue un cas de force majeur ;
- la méthode de reconstitution dite " des liquides " utilisée par l'administration n'est pas pertinente et elle méconnaît le modèle économique sur lequel est fondé son activité en ne tenant pas compte des prestations individuelles, des prestations gratuites et des prestations forfaitaires collectives ni du montant des achats destinés à l'inauguration de l'établissement au titre des années 2009 et 2010 ;
- il convient d'écarter les achats " hors champ ", ce qui a pour conséquence de diminuer le montant total des achats pris en compte par l'administration ;
- les stocks de départ étaient quasiment nuls suite aux sinistres subis ;
- dès lors que le chiffre d'affaires qu'elle a déclaré ne peut qu'être validé, aucun manquement délibéré ne peut lui être reproché ;
- aucune amende pour distribution occulte ne peut être infligée à une société en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, en application de l'article 1756 de code général des impôts ;
- les pénalités pour manquement délibéré ainsi que les amendes pour distribution occulte qui lui ont été infligées sur le fondement des articles 1729 et 1759 du code général des impôts sont disproportionnées par rapport aux droits qui lui sont réclamés ; dès lors, elles méconnaissent l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen ;
- l'avis de mise en recouvrement adressé au dirigeant de l'entreprise du 23 mars 2016, a été émis alors que les créances de l'administration étaient déjà prescrites ; l'argumentation selon laquelle la prescription aurait été interrompue par la proposition de rectification du 16 novembre 2012 adressée à l'EURL ne peut être retenue ; la prescription de la pénalité prévue à l'article 1759 du code général des impôts en matière de distribution occultes intervient à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle l'infraction a été commise et la date de l'infraction est constituée par l'expiration du délai de réponse à la demande de désignation du bénéficiaire des distributions ;
- la volonté délibérée d'éluder l'impôt, aucunement démontrée par le seul caractère flagrant et répétitif des manquements, doit être appréciée au regard de l'implication personnelle dans le manquement en cause ; l'application de la pénalité de 40% pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts implique que l'administration apporte la démonstration d'une double preuve.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 août 2020, le ministre de l'économie, finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par l'EURL La Tortue ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 18 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 novembre 2021.
Vu la lettre en date du 16 février 2022 de Me Guilbault.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Massé-Degois,
- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL La Tortue, qui exploite un bar-restaurant de plage à Saint-Raphaël, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 à l'issue de laquelle l'administration l'a assujettie à des compléments d'impôt sur les sociétés et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré ainsi que de l'amende pour distribution occulte, pour un montant total de 874 729 euros. La société La Tortue relève appel du jugement du 10 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions, en droits et pénalités, et de cette amende.
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, le tribunal a écarté le moyen invoqué par l'EURL La Tortue tiré de ce qu'elle n'a pas été informée des traitements informatiques envisagés et réalisés par le service vérificateur après avoir relevé qu'elle avait de sa propre initiative satisfait à l'obligation de représentation d'une partie des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant, sous forme dématérialisée, une copie des fichiers des écritures comptables, qu'elle ne contestait pas que la vérificatrice s'était bornée à lire des données brutes comptables figurant sur le support informatique fourni par l'administration et à réaliser des tris, classements et calculs et qu'ainsi, et en tout état de cause, le service vérificateur n'avait pas été confronté à une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés au sens du II de l'article l. 47 A du livre des procédures fiscales. Ce même moyen, repris en appel, doit être écarté par adoption des motifs des points 2 et 3 du jugement attaqué qui ne sont pas utilement contestés par la simple réitération de l'argumentation de première instance.
3. En second lieu, le tribunal a écarté le moyen de l'absence d'établissement du procès-verbal prévu à l'article L. 13A du livre des procédures fiscales constatant le défaut de présentation de comptabilité après avoir, d'une part, indiqué que l'administration n'avait pas relevé de défaut de présentation de comptabilité, d'autre part, précisé que la possibilité de dresser un procès-verbal constatant le défaut de présentation de la comptabilité constituait une faculté pour l'administration et, enfin, que l'absence de mise en œuvre de l'article L. 13 A était sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition. Ce même moyen, repris en appel, doit être écarté par adoption des motifs des points 4 et 5 du jugement attaqué qui ne sont pas utilement contestés par la simple réitération de l'argumentation de première instance.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
S'agissant de la charge de la preuve et du rejet de la comptabilité :
4. D'une part, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal en son point 7, l'administration s'étant conformée à l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires rendu au cours de sa séance du 19 décembre 2013, la charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe à cette dernière tandis que la charge de la preuve de l'exagération des impositions appartient ensuite à la société La Tortue lorsque le rejet de la comptabilité est fondé.
5. D'autre part, la société La Tortue n'a pas été en mesure de présenter à l'administration lors des opérations de vérification l'inventaire détaillé de ses marchandises en stock ainsi que les documents comptables faisant état de ses recettes, et notamment les bandes de contrôle papier, ni de justifier la destruction de ces documents au cours de deux sinistres. Si la société La Tortue a établi la destruction de la caisse enregistreuse de son établissement au cours de l'événement climatique de 2010, elle ne conteste cependant pas ne pas avoir réalisé la sauvegarde des fichiers de cette caisse alors que l'utilisation de celle-ci le permettait. Le constat d'huissier versé devant la Cour par l'appelante, dressant l'inventaire des dégâts liés à la tempête survenue en 2010, ne fait état de la destruction d'aucun document de nature comptable, ainsi que l'avait relevé le tribunal.
6. Par suite, c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'affaire que les premiers juges ont estimé que l'administration établissait l'existence de graves irrégularités entachant la comptabilité de la société La Tortue et qu'elle était en droit de l'écarter et de procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société.
S'agissant de la reconstitution de recettes :
7. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a procédé à la reconstitution de recettes de la société La Tortue qui exploite un bar-restaurant de plage, en utilisant la méthode dite " des liquides " et a reconstitué les achats revendus à partir du dépouillement de l'intégralité des factures d'achat des liquides des exercices vérifiés ainsi que de l'ensemble des tickets Z. Par ailleurs, le service a déduit les liquides utilisés pour la cuisine, les pertes, les offerts et les consommations du personnel. Il résulte également de l'instruction que le vérificateur a tenu compte de la pondération de chaque produit par rapport aux ventes totales et des variations de prix d'achats et de ventes en fonction des quantités achetées ou vendues ainsi que de leur impact sur la marge brute.
8. L'EURL La Tortue reprend en appel les moyens qu'elle invoquait en première instance à l'encontre de la méthode de reconstitution des recettes adoptée par le vérificateur sans apporter d'éléments nouveaux ou pertinents à leur soutien. Il y a lieu d'écarter ceux-ci par adoption des motifs, non critiqués, retenus à bon droit par le tribunal aux points 11 à 15 de son jugement et de retenir que la société requérante n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère radicalement vicié ou excessivement sommaire de la méthode suivie par le vérificateur et qu'elle n'établit pas davantage l'exagération des impositions supplémentaires qui lui sont réclamées.
S'agissant de la prescription des créances de l'administration :
9. A la suite d'une vérification de sa comptabilité, des rectifications au titre de l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos le 31 décembre 2009 et le 31 décembre 2010 et de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 assorties de la majoration de 40 % pour manquement délibéré ainsi que de l'amende pour distribution occulte, ont été proposées à l'EURL La Tortue le 16 novembre 2012 qui lui ont été notifiées par pli recommandé le 27 novembre suivant.
10. La notification de cette proposition de redressement a eu pour effet d'ouvrir à l'administration fiscale un nouveau délai, égal au délai de prescription de reprise dont elle disposait pour procéder à des redressements ou des reprises.
11. A la suite de la réponse aux observations au contribuable du 19 mars 2013 dont l'EURL a accusé réception le 25 mars suivant, et par laquelle les rehaussements envisagés ont été maintenus, y compris les pénalités et amendes, l'administration, après s'être conformée à l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires rendu au cours de sa séance du 19 décembre 2013, a transmis à l'intéressée par pli recommandé réceptionné le 7 mars 2014, les nouvelles conséquences financières du contrôle incluant les pénalités et amendes. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que l'avis de mise en recouvrement des droits, pénalités et amendes du 18 avril 2014 a été adressé, une première fois, à l'EURL La Tortue qui ne conteste pas s'être abstenue de retirer le pli recommandé et une seconde fois le 23 mars 2016 comme en atteste la signature de M. A... B..., son gérant, apposée sur cet avis.
12. Dans ces conditions, l'EURL La Tortue n'est pas fondée à soutenir que la prescription n'était pas interrompue à l'égard des créances de l'administration, y compris à l'égard des amendes et majorations dès lors que ces pénalités, ainsi qu'il a été dit ont été constatées expressément dans la proposition de rectification du 16 novembre 2012 et confirmées tant dans la réponse aux observations du contribuable du 19 mars 2013 que dans le courrier du 4 mars 2014 portant sur les nouvelles conséquences financières du contrôle.
S'agissant des pénalités :
13. Aux termes des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses... ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales: " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et de son intention délibérée d'éluder l'impôt.
14. Pour contester l'application de la majoration de 40 %, prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, pour manquement délibéré dont ont été assorties les impositions supplémentaires en litige, la société La Tortue soutient que le vérificateur n'a pas démontré que l'infraction à l'origine du rehaussement a été commise sciemment, que l'écart important entre les marges ne suffit pas à caractériser le manquement délibéré reproché et que le laxisme du gérant alors en place pendant la période vérifiée, au demeurant révoqué, ne permet pas plus de caractériser une volonté d'éluder l'impôt. Toutefois, il ressort de l'instruction que pour justifier l'application de la pénalité mentionnée au a) de l'article 1729 précité du code général des impôts, l'administration s'est fondée notamment sur l'absence de tenue d'inventaires des stocks et matières premières sur la période vérifiée, sur des coefficients de marge constatés bien inférieurs à ceux généralement constatés dans la profession, sur l'importance des minorations de recettes constatées représentant 26 % à 30 %, selon les exercices vérifiés, du chiffre d'affaires déclaré et sur la participation active de M. C... dans la dissimulation de ces minorations, lequel, en sa qualité de gérant et de cuisinier de la société, ne pouvait ignorer que l'intégralité des recettes réalisées, dont il connaissait nécessairement le montant, devait être comptabilisée et déclarée. En retenant ces éléments, l'administration doit être regardée comme établissant l'intention de l'EURL La Tortue d'éluder l'impôt et, par suite, le caractère délibéré des manquements qui lui sont reprochés. Par suite, c'est à bon droit qu'elle a infligé à la société requérante les pénalités en litige.
S'agissant des amendes pour distribution occulte :
15. Après avoir constaté que la masse des revenus distribués par l'EURL La Tortue au titre des années 2009 et 2010 excédait le montant total des distributions individuelles déclarées, l'administration a, en premier lieu, invité cette société, dans la proposition de rectification du 16 novembre 2012 qui lui a été notifiée le 27 novembre suivant, à fournir des indications relatives aux bénéficiaires de l'excédent de distributions dans un délai de trente jours, sur le fondement de l'article 117 du code général des impôts et, en second lieu, fait application de l'amende prévue par les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts au titre des deux années en litige, en l'absence de réponse à cette demande de désignation. Par suite, c'est à bon droit qu'elle a infligé à la société requérante les amendes en litige.
S'agissant de la méconnaissance du principe de proportionnalité :
16. Le tribunal a écarté le moyen de la méconnaissance par les dispositions des articles 1729 et 1759 du code général des impôts des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment du principe de proportionnalité après avoir, d'une part, précisé que les dispositions de ces articles prévoient des taux de majoration différents selon que le contribuable cumule ou non un manquement aux obligations déclaratives relatives à ses résultats avec un manquement aux obligations résultant de l'article 117 du même code et selon notamment si les inexactitudes ou omissions constituent un manquement délibéré, des manœuvres frauduleuses ou un abus de droit, d'autre part, rappelé que les articles 1729 et 1759 visent à sanctionner des manquements différents, proportionnés avec la gravité des agissements du contribuable dans la dissimulation des revenus et dans les omissions de déclarations constatés, sous le contrôle du juge de l'impôt et, enfin, estimé que ces pénalités et amendes, qui s'expriment en pourcentage, sont par ailleurs nécessairement proportionnées à l'importance des impositions éludées. Ce même moyen, repris en appel, doit être écarté par adoption des motifs du point 22 du jugement attaqué qui n'est pas utilement contesté par la simple réitération de l'argumentation de première instance.
17. Il résulte de ce qui précède que l'EURL La Tortue n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. Doivent être également rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, qui reprennent celles invoquées de l'article L. 8 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, abrogé depuis le 1er janvier 2001.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'EURL La Tortue est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL La Tortue et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 24 février 2022, où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme Massé-Degois, présidente assesseure,
- M. Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2022.
2
N° 20MA01701
nl