Par un jugement n° 1607377 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'assistance Publique - Hôpitaux de Marseille à verser à M. E... la somme de 25 800 euros et à la CPAM des Bouches-du-Rhône la somme de 182 784,46 euros au titre des débours exposés pour son assuré, outre une somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrée le 12 juin 2018, le 16 juillet 2018, le 14 septembre 2018, le 20 novembre 2018 et le 14 mai 2019, l'AP-HM, représentée par Me F..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter les conclusions incidentes de M. E... et de la caisse primaire d'assurance maladie ;
L'AP-HM soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, M. E... n'établit pas qu'il n'a pas déjà bénéficié d'une indemnisation de ses séquelles en sa qualité de victime d'un accident de la circulation automobile ; notamment, il a assigné le 30 juin 2015 le conducteur du véhicule l'ayant percuté et son assureur devant le tribunal de grande instance de Marseille ;
- le rapport critique d'expertise du docteur Lebrun contredit les conclusions du rapport médical sur lequel le tribunal administratif de Marseille s'est appuyé pour la juger responsable des séquelles que conserve M. E... ;
- même en l'absence de manquement aux règles de l'art, M. E... aurait conservé de son accident des séquelles irréversibles, à hauteur de 50% de celles qu'il présente aujourd'hui ;
- à l'appui de ses conclusions incidentes, M. E... se borne à lister les préjudices invoqués sans justifier le montant de la somme qu'il sollicite pour chacun d'entre eux ; à titre subsidiaire, les sommes accordées par les premiers juges sont conformes, voire supérieures, à celle généralement allouées par les juridictions administratives.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 octobre 2018, M. E..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille ;
2°) de réformer le jugement du 12 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 25 800 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'assistance Publique - Hôpitaux de Marseille en réparation des préjudices qu'il a subis ;
3°) de porter à la somme de 75 100 euros le montant de l'indemnité due par l'assistance Publique - Hôpitaux de Marseille ;
4°) de mettre à la charge de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a été reconnu responsable de l'accident de la circulation à l'origine des blessures qu'il a présentées lors de son admission au service des urgences du centre hospitalier de la Conception, de sorte qu'il ne peut obtenir aucune indemnisation ; en tout état de cause, l'AP-HM est tenue de réparer les conséquences de ses manquements aux règles de l'art ;
- selon l'expert, les examens médicaux réalisés le 4 décembre 2012 ont été insuffisants ; il fallait, en urgence, réaliser une imagerie par résonnance magnétique (IRM) ;
- de même, l'équipe médicale aurait dû envisager plus rapidement de procéder à une ligamentoplastie du plan ligamentaire droit ;
- contrairement à ce que soutient l'AP-HM, la perte de chance est totale ;
- outre les préjudices extrapatrimoniaux, qui seront justement évalués à la somme globale de 60 100 euros, il sera fait une juste réparation du préjudice d'incidence professionnelle en lui accordant la somme de 15 000 euros.
Par des mémoires, enregistrés le 6 septembre 2018 et le 2 août 2019, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, représentée par Me G... et Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de rejeter la requête de l'assistance Publique - Hôpitaux de Marseille ;
2°) de mettre à la charge de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il résulte du rapport de l'expert désigné par le tribunal que la prise en charge médicale de M. E... à l'hôpital de la Conception a été tardive et défaillante ;
- ces fautes sont entièrement et exclusivement à l'origine des séquelles qu'il présente aujourd'hui, de sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher s'il est en mesure d'obtenir réparation de ses préjudices au titre de l'accident de la circulation dont il a été victime ;
- les premiers juges ont fait une juste appréciation de la part de responsabilité qui incombe à l'AP-HM en fonction du poste de préjudice ;
- elle apporte la preuve du montant des débours exposés pour M. E... à raison des manquements commis au cours de sa prise en charge médicale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Le 4 décembre 2012, M. H... E..., alors âgé de 20 ans, a été accueilli au service des urgences de l'hôpital de la Conception à Marseille après avoir été victime d'un accident de la circulation. L'équipe médicale a posé un diagnostic d'entorse grave du genou avant de le laisser regagner son domicile avec une attelle. Le 18 décembre 2012, M. E... s'est présenté à l'hôpital de la Conception, où une lésion sévère du ligament latéral interne a été diagnostiquée. Le 2 avril 2013, il a présenté une récidive de son entorse, justifiant une ligamentoplastie sous arthroscopie, réalisée le 15 mai 2013. M. E... a poursuivi son suivi médical au centre de rééducation La Valmante et à l'hôpital Saint-Joseph. Par la requête visée ci-dessus, l'AP-HM demande à la cour d'annuler le jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser à M. E... la somme de 25 200 euros.
Sur la responsabilité de l'AP-HM :
En ce qui concerne la recevabilité des demandes indemnitaires de M. E... :
2. Il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la qualité et la forme de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu ou qu'elle peut obtenir devant d'autres juridictions à raison des conséquences dommageables du même accident, une réparation supérieure au montant total du préjudice subi.
3. Il résulte des motifs mêmes du jugement statuant avant dire droit par lequel le tribunal de grande instance de Marseille du 19 mars 2019 a désigné un expert, que M. E... ne sera susceptible d'obtenir réparation, devant cette juridiction, que des préjudices en lien avec l'accident de la circulation dont il a été victime le 4 décembre 2012, à l'exclusion de tout ceux dont il a déjà été indemnisé devant le tribunal administratif de Marseille et dont il sollicite, par la voie de l'appel incident, le rehaussement. Dans ces conditions, l'AP-HM n'est pas fondée à soutenir que M. E... est susceptible d'obtenir une double réparation de ses préjudices du fait des actions indemnitaires qu'il a dirigées contre l'AP-HM et contre le conducteur du véhicule l'ayant percuté le 4 décembre 2012.
En ce qui concerne les manquements :
4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que M. E... s'est présenté au centre hospitalier de la Conception le 18 décembre 2012 avec une entorse grave du genou, qui aurait dû conduire l'équipe médicale à réaliser un examen par IRM dans les plus brefs délais, puis à réaliser une ligamentoplastie tant du ligament croisé antérieur que du ligament latéral interne. Or, M. E... n'a bénéficié de ce geste chirurgical que le 15 mai 2013. Ce retard est à l'origine de la persistance d'une laxité valgus du ligament latéral interne qui a entraîné la récidive d'entorse du genou dont l'intéressé a été victime le 2 avril 2013. En outre, en n'intervenant que sur le premier de ces deux plans ligamentaires, le chirurgien du centre hospitalier de la Conception n'a pas prodigué à M. E... les soins adaptés à l'affection dont il était atteint.
6. Le rapport critique d'expertise que l'AP-HM verse à l'instruction, qui se borne à indiquer que l'IRM a été réalisée dans des délais raisonnables, ne permet pas de contredire les conclusions claires et précises de l'expert. De même si ce rapport critique mentionne que la balance bénéfice-risque d'un double abord chirurgical n'était pas favorable au patient en raison des raideurs et complications secondaires qu'un tel geste est susceptible d'entraîner pour tout autre patient qu'un athlète de haut niveau, il ne conteste pas que la rupture itérative du ligament croisé antérieur de M. E... résulte de la persistance d'une laxité interne en valgus imputable à la plastie de ce seul ligament. Au regard de l'ensemble de ces avis médicaux, l'AP-HM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a jugé que des manquements aux règles de l'art avaient été commis au cours de la prise en charge médicale de M. E..., qui engageaient sa responsabilité à l'égard de ce dernier.
En ce qui concerne l'existence d'une perte de chance :
7. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les manquements relevés au point 3 sont à l'origine pour M. E... d'une perte de chance d'échapper aux séquelles qu'il conserve de sa prise en charge médicale qu'il y a lieu de fixer à 50%.
En ce qui concerne les préjudices :
9. Est indemnisé, sous le poste de préjudice " préjudice esthétique à caractère temporaire " le préjudice, distinct du préjudice esthétique définitif, subi par les victimes subissant durant la phase antérieure à la consolidation, une véritable altération de leur apparence physique, à l'instar, notamment, des grands brûlés ou des traumatisés de la face. Tel n'est pas le cas de M. E..., dont le préjudice esthétique temporaire invoqué, évalué à 2 sur une échelle de 0 à 7 par l'expert, ne résulte que du port d'une attelle.
10. M. E... réitère en appel ses demandes tendant à l'indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique permanent, de l'incidence professionnelle et du préjudice d'agrément. Toutefois, en se bornant à lister ces préjudices, ne précisant pour chacun d'eux que le montant de l'indemnité souhaitée, il n'apporte aucun élément nouveau en appel susceptible de contredire les motifs retenus par les premiers juges pour lui allouer la somme globale de 25 800 euros en réparation de ces préjudices. Par suite, il y a lieu de rejeter ses demandes tendant à une réformation du jugement attaqué sur ce point, par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
11. Il résulte de tout ce qui précède que compte-tenu du taux de perte de chance retenu au ... euros et, d'autre part, que le montant des débours exposés par la CPAM des Bouches-du-Rhône qui ont été mis à sa charge par ce même jugement soit réduit dans la même proportion, soit la somme de 91 392,23 euros. Il y a lieu, en conséquence, de rejeter les conclusions incidentes par lesquelles M. E... a demandé que le montant des indemnités qui lui ont été allouées en première instance soit réévalué.
Sur les frais liés au litige :
12. En premier lieu, M. E... n'ayant exposé aucun dépens au sens des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, la demande qu'il présente à ce titre doit être rejetée.
13. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'AP-HM, qui n'est pas la partie tenue aux dépens dans la présente instance, les sommes que sollicitent M. E... et par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 25 800 euros que l'AP-HM a été condamnée à verser à M. E... par le jugement n° 1607377 du 12 avril 2018 est ramenée à 12 900 euros.
Article 2 : La somme de 182 784,46 euros que l'AP-HM a été condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône par le jugement n° 1607377 du 12 avril 2018 est ramenée à 91 392,23 euros.
Article 3 : Les conclusions de M. E... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1607377 du 12 avril 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Les conclusions présentées par les parties sur les fondements des articles L. 761-1 et R. 761-1du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille, à M. H... E... et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019 où siégeaient :
- M. Alfonsi, président,
- Mme I..., première conseillère,
- M. B..., conseiller.
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N° 18MA02753