Par un jugement n° 1804362 du 18 novembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, condamné solidairement le centre hospitalier de Perpignan et la SHAM à verser à Mme A... E... la somme de 15 544,80 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2018 et, d'autre part, condamné solidairement le centre hospitalier de Perpignan et la SHAM à verser à la CPAM de la Haute-Garonne la somme de 3 845,28 euros au titre des débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2018, ainsi que la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 janvier 2020 et le 28 janvier 2021, Mme A... E..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 18 novembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier pour porter à la somme globale de 43 000 euros le montant de l'indemnité allouée en réparation de ses préjudices ;
2°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a omis de se prononcer sur les frais d'expertise et de mettre ces frais à la charge définitive du centre hospitalier de Perpignan et de la SHAM.
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Perpignan et de la SHAM, solidairement, la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité du centre hospitalier de Perpignan est engagée à raison de sa prise en charge insuffisante dans le suivi postopératoire de sa fracture luxation du coude-gauche ;
- c'est à bon droit que le tribunal a jugé que ce manquement était à l'origine d'une perte de chance d'éviter l'apparition de ses séquelles à hauteur de 90% ;
- il y a lieu de porter à la somme de 500 euros l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- les souffrances qu'elle a endurées, évaluées à 1 sur une échelle de 1 à 7, devront être réévaluées à la somme de 2 000 euros ;
- il sera fait une plus juste indemnisation de son déficit fonctionnel permanent en lui allouant, à ce titre, la somme de 35 000 euros ;
- les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante de ses préjudices esthétiques permanents, en réparation desquels elle est fondée à demander la somme globale de 2 000 euros ;
- il y a lieu de porter à 3 500 euros le montant de l'indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel permanent.
Par des mémoires en défense enregistrés les 9 juin 2020 et 28 janvier 2021, le centre hospitalier de Perpignan et la SHAM, représentés par Me F..., concluent :
1°) au rejet de la requête présentée par Mme A... E... et les conclusions de la CPAM de la Haute-Garonne ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 pour juger que l'indemnité de 3 845,28 euros au versement de laquelle ils ont été condamnés, au titre des débours futurs exposés par la CPAM de la Haute-Garonne, ne sera due que sur présentation de justificatifs.
Ils font valoir que :
- Mme A... E... ne démontre pas la réalité de son préjudice d'agrément ;
- les autres préjudices invoqués ont fait l'objet d'une réparation suffisante par les premiers juges ;
- ainsi que l'a jugé le tribunal, la caisse n'apporte aucun élément pour justifier du montant des frais de kinésithérapie exposés du 30 août au 5 novembre 2012, seuls imputables à la faute de l'établissement ;
- s'agissant des frais futurs, c'est à bon droit que le tribunal a jugé que seuls les frais de consultation en chirurgie orthopédique et les frais liés à la réalisation d'un arthroscanner une fois tous les trois ans sont imputables à cette faute ;
- n'ayant pas donné son accord pour un versement en capital, il y a lieu de réformer le jugement pour juger que les frais futurs seront versés sous la forme d'une rente et sur présentation de justificatifs ;
- la caisse n'est pas fondée à obtenir, une nouvelle fois en appel, le versement de l'indemnité forfaitaire de gestion mais uniquement, et dans la seule hypothèse où il serait fait droit à ses conclusions aux fins de réformation, au rehaussement de cette indemnité ;
Par un mémoire enregistré le 26 janvier 2021, la CPAM de la Haute-Garonne, représentée par Me D..., venant aux droits de la CPAM des Pyrénées-Orientales, conclut :
1°) à la réformation du jugement de tribunal administratif de Montpellier pour porter à la somme de 4 807,55 euros le montant de l'indemnité allouée au titre des débours exposés pour Mme A... E... ;
2°) à ce que les sommes de 1 098 euros, au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, et de 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, soient mises à la charge solidaire du centre hospitalier de Perpignan et de la SHAM.
Elle soutient que :
- le montant des débours exposés pour Mme A... E..., actualisé au 6 novembre 2019 et tenant compte des frais que la CPAM des Alpes-Maritimes devra exposer à l'avenir, s'élève à la somme de 4 807,55 euros ;
- elle a droit, en outre, au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion, fixée en dernier lieu à la somme de 1 091 euros.
Un mémoire, présenté par Mme A... E..., a été présenté le 29 avril 2021, postérieurement à la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en ce qu'il a omis de statuer sur la dévolution des frais d'expertise.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... E... relève appel du jugement du 18 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a limité à 15 544,80 euros le montant de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Perpignan et de son assureur, la SHAM, en réparation des préjudices qui ont résulté des conditions de sa prise en charge dans cet établissement, en demandant que cette indemnité soit portée à la somme de 43 000 euros. Par ses conclusions d'appel incident, la CPAM de Haute-Garonne demande que la somme mise à la charge du centre hospitalier et de la SHAM au titre des débours qu'elle a exposés pour son assurée soit portée à 4 805,77 euros. Le centre hospitalier de Perpignan et son assureur demandent, quant à eux, que le montant des débours futurs de la CPAM soit ramené à la somme de 3 845,28 euros, qui devra être versée sous forme de rente, et non de capital.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif de Montpellier a omis de se prononcer sur la charge définitive des frais de l'expertise qui avait été ordonnée par le juge des référés de ce tribunal le 26 octobre 2017. Il a ainsi méconnu la règle applicable, même sans texte, à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel. Il y a donc lieu pour la cour d'annuler le jugement attaqué dans cette mesure, de se prononcer, par la voie de l'évocation, sur la charge des dépens et, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres conclusions de Mme A... E... et de la CPAM de la Haute-Garonne.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. C'est à bon droit que les premiers juges, après avoir retenu que la responsabilité du centre hospitalier de Perpignan était engagée en raison de l'absence de reprise chirurgicale de la luxation de la tête radiale et du déplacement de l'apophyse coronoïde qu'a présentés Mme A... E... quinze jours après l'intervention chirurgicale subie le 10 avril 2012, ont fixé à 90 % le taux de perte de chance subie par l'intéressée de ne pas présenter les séquelles exclusivement liées à cette erreur de choix thérapeutique.
4. En premier lieu, alors que l'expert a estimé que les soins dont a bénéficié Mme A... E... avant la consolidation de son état de santé, du seul fait de l'erreur médicale du centre hospitalier de Perpignan, se limitaient à des séances de kinésithérapie entre les 30 août et 5 novembre 2012, la CPAM de la Haute-Garonne n'apporte pas davantage d'élément en appel qu'en première instance permettant de déterminer la part des frais qu'elle invoque exclusivement induite par ces séances de kinésithérapie. Dans ces conditions, elle n'est fondée à obtenir aucune indemnité au titre des frais liés à ces soins.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme A... E... reste exposée, en dépit de la consolidation de son état de santé acquise le 6 novembre 2011, à des risques d'arthrose. Par une attestation suffisamment circonstanciée de son médecin-conseil, la CPAM de la Haute-Garonne établit que l'intéressée devra s'astreindre à un suivi médical en chirurgie orthopédique du fait de ce risque et que les débours en résultant doivent être évalués à la somme de 4 272,53 euros. Toutefois, la fréquence des consultations et examens médicaux que requiert ce suivi médical ne pouvant actuellement être déterminée avec une certitude suffisante, il y a lieu de juger que le centre hospitalier de Perpignan et la SHAM devront rembourser les frais correspondant à la CPAM de Haute-Garonne, au fur et à mesure qu'ils seront effectivement exposés, dans la limite d'une somme totale de 3 845,28 euros, tenant compte du taux de perte de chance.
6. En troisième lieu, Mme A... E... a subi un déficit fonctionnel temporaire exclusivement en lien avec la faute médicale du centre hospitalier de Perpignan évalué à 20 % pendant soixante-huit jours. Les premiers juges n'ont pas fait une réparation insuffisante de ce préjudice en allouant à la victime la somme de 244,80 euros, tenant compte du coefficient de perte de chance.
7. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que Mme A... E... demeure atteinte, depuis la consolidation de son état de santé, acquise alors qu'elle était âgée de vingt-neuf ans, d'une incapacité permanente partielle, en lien avec ses séquelles, évaluée par les experts à 10 %. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice en résultant en le fixant à la somme de 13 500 euros, après application du taux de perte de chance.
8. En cinquième lieu, l'expert ayant fixé à 1 sur une échelle de 0 à 7 la part des souffrances physiques endurées par Mme A... E... exclusivement imputables à la faute médicale du centre hospitalier de Perpignan, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de l'indemnité due à ce titre en allouant à l'intéressée, après application du taux de perte de chance, une somme de 900 euros.
9. En sixième lieu, les préjudices esthétiques temporaire et permanent de Mme A... E..., résultant de l'altération de son apparence physique, ont été évalués à 1 sur une échelle de 0 à 7. Dans ces conditions, le tribunal a justement apprécié la perte de chance d'éviter de subir ces préjudices en allouant à ce titre la somme de 900 euros.
10. En dernier lieu, n'est réparée sous le poste de préjudice d'agrément que l'impossibilité de se livrer à une activité pratiquée régulièrement avant la survenue des séquelles. Dès lors, en se bornant à invoquer la pratique occasionnelle d'activités sportives diverses, à faire état des répercussions sociales et familiales des séquelles dont elle souffre, lesquelles sont déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, et, enfin, à faire état d'une inscription à un cours de fitness, sur la seule foi de deux attestations particulièrement vagues sur ce point, Mme A... E... n'établit pas la réalité du préjudice d'agrément dont elle sollicite la réparation.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... E..., n'est pas fondée à demander que le montant des indemnités allouées par les premiers juges en réparation de ses préjudices soient rehaussés. En revanche, le centre hospitalier de Perpignan et la SHAM sont fondés à demander que l'indemnité au versement de laquelle le tribunal a condamné la CPAM de la Haute-Garonne au titre des débours qu'elle exposera pour le suivi médical en chirurgie orthopédique de Mme A... E..., ne sera due qu'au fur et à mesure des débours exposés, dans la limite de 3 845,28 euros, et sur présentation de justificatifs.
Sur le surplus des conclusions :
12. En premier lieu, la CPAM de la Haute-Garonne, dont les conclusions d'appel sont rejetées, n'est pas fondée à demander que l'indemnité forfaitaire de gestion allouée par les premiers juges sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale soit portée à la somme de 1 098 euros.
13. En deuxième lieu, il y a lieu de mettre les frais et honoraires de la première expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, liquidés et taxés pour un montant de 1 080 euros par ordonnance du 21 février 2019 de la présidente du tribunal administratif de Montpellier, à la charge du centre hospitalier de Perpignan et de la SHAM.
14. En dernier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du centre hospitalier de Perpignan et de la SHAM, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, tout ou partie des sommes que demandent Mme G... et la CPAM de la Haute-Garonne au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1804362 du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les frais de l'expertise.
Article 2 : Les frais de l'expertise, ordonnée le 26 octobre 2017 par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, liquidés et taxés à la somme de 1 080 euros, sont mis à la charge définitive du centre hospitalier de Perpignan et de la SHAM.
Article 3 : L'indemnité de 3 845,28 euros au versement de laquelle le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier de Perpignan et la SHAM à l'article 3 du jugement n° 1804362 du 18 novembre 2019 sera versée dans les conditions exposées au point 11 du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus du jugement n° 1804362 du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... A... E..., au centre hospitalier de Perpignan, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2021, où siégeaient :
- M. Alfonsi, président,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- M. C..., conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2021.
7
N° 20MA00151
kp