Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2014, et des mémoires, enregistrés le 7 mai 2015 et le 20 avril 2016, l'ONIAM, représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire de Montpellier et la SHAM à lui payer les sommes de :
- 93 868,93 euros en remboursement de l'indemnisation versée à M. B..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2012 et de la capitalisation des intérêts ;
- 2 100 euros en remboursement des frais d'expertise ;
- 14 080,34 euros au titre de la pénalité prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le centre hospitalier universitaire de Montpellier est responsable des infections contractées par M. B..., lesquelles n'ont entraîné aucun déficit fonctionnel permanent ;
- le centre hospitalier universitaire a commis une faute en administrant au patient pendant une durée trop longue et à de trop fortes doses de la gentamicine, laquelle est à l'origine de la surdité de la victime ;
- il est ainsi fondé à engager un recours subrogatoire en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Par deux mémoires, enregistrés le 26 février 2015 et le 20 mars 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris conclut :
1°) à l'annulation du jugement du 4 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire de Montpellier et de la SHAM à lui payer la somme de 255 346,73 euros ainsi que les frais futurs au fur et à mesure de leur engagement au titre d'un capital de 4 918,71 euros pour le paiement duquel le centre hospitalier a la faculté d'opter ;
2°) à la condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire de Montpellier et de la SHAM à lui payer la somme de 255 346,73 euros au titre des dépenses engagées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2013, ainsi que les frais futurs au fur et à mesure de leur engagement, assortis des intérêts au taux légal à compter de l'engagement des dépenses ou de lui payer un capital d'un montant de 4 918,71 euros, assorti des intérêts au taux légal à compter du 7 octobre 2014, ainsi que la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge des défendeurs en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient avoir exposé les sommes demandées.
Par des mémoires, enregistrés le 17 mars 2016, le 14 avril 2016 et le 29 avril 2016, le centre hospitalier universitaire de Montpellier et la SHAM concluent au rejet de la requête et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Ils font valoir que :
- l'établissement de soins n'a commis aucune faute dans le traitement des infections subies par M. B... ;
- la note médicale produite par l'ONIAM ne remet pas sérieusement en cause les conclusions des experts nommés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) ;
- ils ne peuvent être tenus pour responsables des conséquences d'infections nosocomiales entraînant un taux de déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 % ;
- les demandes de l'office sont excessives et injustifiées quant à l'indemnisation des frais d'assistance par tierce personne et du déficit fonctionnel permanent ;
- la créance de la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas détaillée et n'est pas en lien avec la faute alléguée qu'aurait commise l'établissement de soins.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.
1. Considérant que M. B... a bénéficié le 12 mai 2009 au centre hospitalier universitaire de Montpellier d'une revascularisation myocardique avec pontages ; que la CRCI de la région Languedoc-Roussillon, saisie le 22 septembre 2009 par le patient, a estimé dans un avis du 3 février 2011 que ce dernier avait été victime d'infections nosocomiales lors de sa prise en charge médicale par le centre hospitalier universitaire de Montpellier et a également retenu des manquements fautifs imputables au service public hospitalier dans l'administration de l'antibiothérapie ; que la commission a retenu que la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Montpellier était engagée, ouvrant droit à l'entière réparation des préjudices subis par M. B... ; que la SHAM a cependant refusé d'adresser à la victime une proposition d'indemnisation ; que l'intéressé a demandé à l'ONIAM de se substituer à l'assureur défaillant du centre hospitalier ; que l'office a indemnisé le patient ; qu'il relève appel du jugement du 4 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande de condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire de Montpellier et de la SHAM à lui rembourser, sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, la somme de 93 868,93 euros versée à M. B..., ainsi que les sommes de 2 100 euros en remboursement des frais d'expertise engagés devant la CRCI et 14 080,34 euros au titre de la pénalité prévue par les dispositions de ce même article du code de la santé publique ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; qu'aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur (...). L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur (...). Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue (...) Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis " ; qu'aux termes de l'article L. 1142-17 du même code : " Lorsque la commission régionale estime que le dommage est indemnisable au titre du II de l'article L. 1142-1, ou au titre de l'article L. 1142-1-1 l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. (...). L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. (...) Si l'office qui a transigé avec la victime estime que la responsabilité d'un professionnel, établissement, service, organisme ou producteur de produits de santé mentionnés au premier alinéa de l'article L. 1142-14 est engagée, il dispose d'une action subrogatoire contre celui-ci. Cette action subrogatoire ne peut être exercée par l'office lorsque les dommages sont indemnisés au titre de l'article L. 1142-1-1, sauf en cas de faute établie de l'assuré à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté que M. B... a contracté trois infections nosocomiales ; qu'il a présenté le 19 mai 2009 un choc septique avec défaillance multi viscérale, nécessitant une reprise chirurgicale réalisée le 20 mai 2009, à l'occasion de laquelle a été mis en évidence un staphylocoque doré méti S, suivie de complications nécessitant une autre reprise chirurgicale le 31 mai 2009 ; qu'au cours de son hospitalisation en réanimation, il a présenté deux autres infections de moindre gravité, les 5 juin et 12 juin 2009 ; qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise diligentée par la CRCI, que la surdité dont reste atteint M. B..., à l'origine d'un taux de déficit fonctionnel permanent de 32 %, trouve son origine dans l'important traitement antibiotique mis en oeuvre pour traiter la première infection, comprenant une molécule de la famille des aminosides, dont les effets secondaires connus comprennent la possibilité d'engendrer une atteinte cochléo-vestibulaire, et également dans les complications présentées par la victime à la suite de ces infections ; que le déficit fonctionnel permanent du patient doit ainsi être regardé comme étant en lien direct et certain avec les infections nosocomiales subies, leurs conséquences et leur traitement ;
5. Considérant que la réparation d'un tel dommage, relevant de la solidarité nationale en application de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, incombe à l'ONIAM ; que, quel qu'ait été le sens de l'avis de la CRCI et le fondement juridique sur lequel a entendu se placer l'office pour indemniser une victime des conséquences de sa prise en charge hospitalière puis, ayant transigé avec la victime, pour engager un recours subrogatoire contre l'hôpital, l'ONIAM ne peut exercer dans ce cas que l'action prévue par l'article L. 1142-17 du code de la santé publique ; qu'il lui appartient, dans le cadre de cette action, de justifier d'une faute établie, et notamment d'un manquement caractérisé de l'établissement de santé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par la CRCI, que, compte-tenu de la gravité de l'état du patient, l'administration de gentamicine était justifiée et les posologies ont été adaptées, en particulier à l'altération de la fonction rénale avec une surveillance rapprochée des taux sanguins résiduels ; que la durée de traitement peut varier de quelques jours à quinze jours, voire plus pour certains germes ; que les experts nommés par la CRCI, qui ont eu connaissance des doses administrées et de la durée du traitement, n'ont relevé aucun manquement dans cette prise en charge, malgré la supériorité de plusieurs taux résiduels " vallée " au seuil recommandé ; que la note médicale produite par l'ONIAM, qui, non étayée par des références à la littérature médicale, ne mentionne pas la gravité de l'état du patient à la suite de la première infection nosocomiale, n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions des experts ; que le centre hospitalier universitaire n'a donc commis aucune faute à l'origine des dommages subis par M. B... ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ONIAM, qui était tenu de réparer les dommages subis par M. B... victime d'une infection nosocomiale ayant entraîné un taux de déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 %, n'est ainsi pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ; que par voie de conséquence, ses conclusions à fin de condamnation solidaire du centre hospitalier universitaire et de la SHAM doivent être rejetées, y compris sa demande de remboursement des frais d'expertise et sa demande de pénalité formulée sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, inapplicable en l'espèce, ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris tendant à la condamnation solidaire de ce même établissement hospitalier et de la SHAM à lui rembourser ses débours et à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Montpellier et de la SHAM, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes que l'ONIAM et la caisse primaire d'assurance maladie de Paris demandent au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, au centre hospitalier universitaire de Montpellier, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la Caisse Nationale Mutualiste Prévoyance et santé.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2017, où siégeaient :
- M. Laso, président-assesseur, présidant la formation du jugement en application de l'article R. 222.26 du code de justice administrative,
- M. Lafay, premier conseiller,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 16 mars 2017.
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N° 14MA04987