Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 juillet 2018 et le 24 janvier 2019, M. D..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 17 mai 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 23 septembre 2015 par laquelle le préfet de Vaucluse a rejeté sa demande de regroupement familial de son épouse et de ses deux enfants mineurs, ainsi que la décision du 28 décembre 2015 par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet de Vaucluse d'accorder le bénéfice du regroupement familial en faveur de son enfant Ayoub El Brahmi ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les décisions litigieuses sont entachées d'une erreur de droit, dès lors que le préfet s'est cru lié par les dispositions des décrets n° 2006-1561 du 8 décembre 2006 et n° 2008-614 du 27 juin 2008 ;
- elles sont entachées d'une erreur de fait sur le montant de son revenu brut mensuel au titre de la période de référence ;
- elles violent les dispositions de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de la stabilité de ses ressources ;
- elles contreviennent aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- sa demande de regroupement familial ayant été accueillie au profit de son épouse et de son fils Hamza par décision du 16 juin 2017, sa demande d'injonction concerne seulement son fils Ayoub.
La requête a été communiquée au préfet de Vaucluse qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 publié par le décret n° 94-203 du 4 mars 1994 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Jorda-Lecroq a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur le bien-fondé du jugement :
1. Aux termes de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. (...) 2° Le demandeur ne dispose pas ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; (...) ". Aux termes de l'article R. 411-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. (...) ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M.D..., qui exerce la profession d'ouvrier agricole en France depuis 1977 et dans le cadre de contrats saisonniers chez les deux mêmes employeurs depuis 20 ans à la date des décisions contestées, justifie, au titre de la période de référence de douze mois précédant le dépôt de sa demande, de ressources atteignant un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel. Le caractère stable de ces ressources ne saurait être remis en cause ni par le caractère saisonnier des contrats du requérant ni par la perception de l'allocation de retour à l'emploi ou d'une indemnité compensatrice de congés ou encore par la réalisation d'heures supplémentaires, dès lors que ce caractère stable ressort en particulier du relevé de reconstitution de carrière produit. L'intéressé disposait donc de ressources stables et suffisantes au sens des dispositions précitées de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 23 septembre et 28 décembre 2015.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
3. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution (...) ". Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
4. Le préfet de Vaucluse, qui avait été saisi d'une nouvelle demande, a accordé à M. D... le bénéfice du regroupement familial pour son épouse et l'enfant Hamza par décision du 16 juin 2017. En outre, il n'a pas produit de mémoire en appel, et n'a remis en cause ni dans les décisions contestées, ni dans ses écritures devant le tribunal, la satisfaction par M. D..., qui a toujours la même adresse, de la condition relative au logement. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique, compte tenu de la portée du moyen d'annulation retenu, que le préfet de Vaucluse autorise le regroupement familial au profit de l'enfant Ayoub El Brahmi qui, né le 1er août 1997, était mineur à la date de la demande de regroupement familial, le 18 juin 2015. Il y a lieu en conséquence d'adresser au préfet de Vaucluse une injonction en ce sens et de lui impartir, pour y satisfaire, un délai de deux mois courant à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au profit de M. D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 17 mai 2018 et les décisions du préfet de Vaucluse des 23 septembre et 28 décembre 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse d'autoriser le regroupement familial en faveur de M. A...D...dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D...la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. D...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente assesseure,
- MmeE..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 mai 2019.
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N° 18MA03453