Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 décembre 2014, la SAS Régie Networks représentée par Me A... et Me B... du cabinet CMS Bureau Francis Lefevbre, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 octobre 2014 ;
2°) de prononcer la restitution des taxes contestées, soit la somme de 157 523 euros ;
3°) le cas échéant, de surseoir à statuer et d'interroger à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne sur la portée de l'arrêt C-333/07 du 22 décembre 1998 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'arrêt Régie Networks de la Cour de justice des Communautés européennes, qui porte sur une question d'appréciation de validité, aurait révélé l'incompatibilité du décret du 29 décembre 1997 avec une norme de droit supérieure, en l'espèce, une règle de droit communautaire ;
- sa réclamation ne pouvait être rejetée comme portant sur une période forclose sur le fondement des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ;
- le principe de primauté du droit de l'Union européenne et l'autorité de chose jugée qui s'attache à l'arrêt C-333/07 du 22 décembre 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes font obstacle à l'application de règles nationales de prescription à des opérateurs qui ne disposaient pas d'un recours efficace jusqu'à l'intervention de cet arrêt ;
- la Cour de justice a exclu la limitation dans le temps des effets de son arrêt pour les entreprises ayant, comme elle, introduit avant la date du prononcé de cet arrêt, un recours ou une réclamation portant sur la perception de la taxe, y compris au titre d'une autre période ;
- aucun délai de forclusion ne peut lui être opposé sans méconnaître les stipulations, applicables au présent litige, de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 mars 2015, et le 29 mai 2015, le ministre chargé du budget conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il prend acte de la décision n° 373650 du 17 avril 2015 du conseil d'Etat ;
- la société n'est pas forclose au regard de l'application combinée des articles L 190 et R 196-1-c du livre des procédures fiscales ;
- en revanche, la réclamation de la SAS Régie Networks était tardive au regard des dispositions du b de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;
- les principes d'effectivité et de primauté du droit de l'Union européenne ne s'opposent pas à l'application d'un tel délai de forclusion, y compris pour des entreprises relevant de l'exception à la limitation dans le temps des effets de l'arrêt de la Cour de justice ;
- l'application d'un délai de forclusion ne méconnaît pas les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'arrêt du 22 décembre 2008, C-333/07, Régie Networks de la Cour de justice des Communautés européennes ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 97-1263 du 29 décembre 1997 portant application de l'article 80 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Haïli,
- et les conclusions de M. Maury, rapporteur public.
1. Considérant que la SAS Régie Networks venant aux droits et obligations de la société Régie Networks Sud-Est a par une réclamation du 29 décembre 2010, demandé à l'administration fiscale la restitution de la taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision, afférente à la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2000 ; que sa réclamation a été rejetée par une décision du 28 mars 2011 au motif qu'elle était tardive ; que la SAS Régie Networks relève appel du jugement du 16 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté comme irrecevable sa demande de restitution de la taxe en cause ;
Sur la recevabilité de la demande :
2. Considérant en premier lieu, qu'aux termes des troisième à cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle ou un avis rendu au contentieux, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'Etat ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, les arrêts de la Cour de cassation ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, les arrêts du Tribunal des conflits et les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle " ; qu'aux termes de l'article R. 196-1 du même livre, dans sa rédaction applicable à la même procédure : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas: / (...) 3/ b. Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c. De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. / (...) " ; qu'enfin, l'article 4 du décret du 29 décembre 1997, codifié à l'article 365 C de l'annexe II au code général des impôts prévoit : " La taxe est assise, liquidée et recouvrée, pour le compte du fonds, par la direction générale des impôts selon les mêmes règles, garanties et sanctions que celles qui sont prévues pour la taxe sur la valeur ajoutée " ; qu'il résulte de ces dispositions que les délais de réclamation applicables à la taxe contestée sont définis par le livre des procédures fiscales ;
3. Considérant que, par l'arrêt du 22 décembre 2008 Régie Networks, C-333/07, la Cour de justice des Communautés européennes a relevé que la taxe instituée par le décret du 29 décembre 1997 faisait partie intégrante du régime des aides à l'expression radiophonique qu'elle servait à financer ; qu'elle a jugé, en conséquence, que la décision de la Commission du 10 novembre 1997 de ne pas soulever d'objection à l'encontre du régime d'aide en faveur des stations de radio locales était invalide et qu'il y avait lieu de tenir en suspens les effets de ce constat d'invalidité jusqu'à l'adoption d'une nouvelle décision par la Commission, sauf pour les entreprises ayant introduit avant la date du prononcé de son arrêt un recours en justice ou une réclamation équivalente portant sur la perception de la taxe ;
4. Considérant que l'administration ne conteste plus, dans le dernier état de ses écritures, que cet arrêt n'a pas révélé directement l'incompatibilité du décret du 29 décembre 1997 avec le droit communautaire ; qu'il ne peut constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement au sens du c précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ainsi que de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre ; que, par suite, la société Régie Networks est fondée à soutenir que l'administration, et les premiers juges, ne pouvaient rejeter sa réclamation pour forclusion en se fondant sur ces dispositions ;
5. Considérant, toutefois que si l'arrêt du 22 décembre 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes constatant, de façon rétroactive, l'invalidité de la décision de la Commission du 10 novembre 1997, a privé de base légale les impositions acquittées par les redevables de la taxe contestée pendant la période litigieuse, l'autorité de chose jugée qui s'attache à ce constat d'invalidité ne fait, en elle-même, pas obstacle à l'application du délai de réclamation prévu par le b précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; que, par suite, pour obtenir la restitution de la taxe litigieuse, la SAS Régie Networks devait présenter sa réclamation dans le délai prévu au b précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; qu'il est constant que sa réclamation portant sur la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2000 n'a été soumise à l'administration fiscale que le 29 décembre 2010, soit plusieurs années après le paiement de la taxe et, postérieurement à l'expiration du délai de réclamation ; que cette réclamation est, par suite, tardive ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que l'arrêt Régie Networks mentionne que sont exceptées de la limitation des effets dans le temps qu'il énonce les entreprises qui ont introduit avant la date du prononcé de l'arrêt un recours en justice ou une réclamation équivalente quant à la perception de la taxe parafiscale n'a pas pour effet de permettre à ces entreprises de demander, après l'intervention de cet arrêt, la décharge de cotisations portant sur des périodes au titre desquelles elles n'ont présenté aucune réclamation dans le délai prévu par le b précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, au motif qu'elles auraient présenté, dans ce délai, une réclamation portant sur une période postérieure ; que, par suite, la circonstance que la SAS Networks a présenté dès la fin 2003, soit avant le prononcé de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, une réclamation portant sur la taxe acquittée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2001, ne saurait écarter l'application au présent litige, qui porte sur la taxe versée au titre d'une période antérieure, des dispositions du b de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;
7. Considérant, en troisième lieu, que l'application du délai de réclamation de deux ans à compter du versement de la taxe tel qu'il résulte du b de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales n'a eu ni pour objet ni pour effet de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice par la SAS Régie Networks des droits qui lui sont conférés par le droit de l'Union européenne ; que, dès lors, les principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne ne s'opposent pas à la mise en oeuvre de ce délai de réclamation ;
8. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " ;
9. Considérant que le délai de réclamation de deux ans à compter du versement de la taxe tel qu'il résulte de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales est suffisant pour permettre aux contribuables de faire valoir utilement leurs droits ; que, par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que l'application des dispositions du b de cet article R. 196-1 méconnaîtrait les exigences qui s'attachent à la protection d'un droit patrimonial telles qu'elles découlent des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la réclamation formée le 29 décembre 2010 par la SAS Régie Networks et tendant à la restitution de la taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision acquittée au cours de la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2000 était tardive ; que, par suite, sans qu'il soit besoin ni d'interroger à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne sur la portée de l'arrêt C-333/07 du 22 décembre 1998, la requête de la SAS Régie Networks n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Régie Networks est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Régie Networks et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- Mme Paix, président-assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Markarian, premier conseiller,
- M. Haïli, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 juillet 2016.
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N° 14MA04958