Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 janvier 2019, le 18 avril 2019 et le 31 janvier 2020, l'ODARC, représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 8 novembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. C....
Il soutient que :
- le tribunal administratif s'est indûment substitué à la Cour de justice de l'Union européenne pour apprécier la légalité d'un acte des institutions européennes ;
- la demande de M. C... était irrecevable, dès lors que l'intéressé n'avait pas d'intérêt à agir ;
- le tribunal administratif l'a condamné à verser une somme qu'il ne doit pas à M. C... ;
- il a pu plafonner l'indemnité compensatoire de handicaps naturels eu égard à l'âge de M. C... sans se fonder sur un critère discriminatoire prohibé par l'article 9 du règlement (UE) n° 1307/2013.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 juillet 2019 et le 28 février 2020, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour de rejeter la requête de l'ODARC, de le condamner aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'ODARC ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Barthez, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) C... Frères, dont M. C... est associé, a demandé le bénéfice de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) pour les campagnes 2015 et 2016. L'ODARC, qui est l'organisme payeur pour le programme de développement rural de la Corse, lui a versé à ce titre les sommes respectives de 11 997,60 euros et 11 610,58 euros, le montant de l'indemnité pour chacune des campagnes ayant été plafonné à 13 % en ce qui concerne M. C..., soit 1 380,25 euros. L'ODARC fait appel du jugement du tribunal administratif de Bastia du 8 novembre 2018 en tant qu'il l'a condamné à verser à M. C... une indemnité correspondant à l'ICHN due au titre des campagnes 2015 et 2016 pour lesquelles il n'a bénéficié que d'une indemnité ramenée à 13 % et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. M. C..., qui se prévalait de sa qualité d'associé du GAEC C... Frères, bénéficiaire de l'ICHN, justifiait à ce titre d'un intérêt personnel lui donnant qualité pour demander au tribunal administratif de condamner l'ODARC à lui verser le solde de l'indemnité. Ainsi, l'ODARC n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont admis la recevabilité de la demande présentée par M. C....
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point précédent, M. C... justifiait d'un intérêt personnel lui donnant qualité pour demander la condamnation de l'ODARC à lui verser le solde de l'ICHN. Par suite et en tout état de cause, l'ODARC ne saurait se prévaloir du principe selon lequel une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes du 1 de l'article 31 du règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 : " Les paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne et d'autres zones soumises à des contraintes naturelles ou autres contraintes spécifiques sont accordés annuellement par hectare de surface agricole, afin d'indemniser les agriculteurs pour tout ou partie des coûts supplémentaires et de la perte de revenu résultant de ces contraintes pour la production agricole dans la zone concernée. / (...) Lorsqu'ils calculent les coûts supplémentaires et les pertes de revenus, les Etats membres peuvent, quand cela est dûment justifié, les moduler afin de tenir compte : / - de la gravité des handicaps permanents affectant l'activité agricole, / - du système agricole ". Le programme de développement rural de la Corse relatif à la période 2014-2020, adopté par la collectivité territoriale de Corse et approuvé par la commission européenne le 6 octobre 2015, définit notamment une mesure M13 portant sur les paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d'autres contraintes spécifiques. Aux termes de son point 8.2.11.3.1.8, relatif aux montants et taux d'aide, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le taux d'aide publique est de 100 %. Les montants unitaires sont compris dans la fourchette précisée à l'annexe II du règlement (UE) n° 1305/2013 soit entre 25 et 450 euros/ha / (...) L'aide est dégressive au-delà des 25 premiers hectares de surface primables (...). / Par ailleurs, les paiements sont modulés en fonction des systèmes agricoles conformément à l'article 31.1. Ces modulations se basent sur les différences de coûts supplémentaires et de pertes de revenu entre les systèmes agricoles calculés avec les données du Réseau d'Information Comptable ainsi que sur les données de l'organisme payeur ODARC. / 4 - Modulations de l'ICHN afin d'adapter les paiements aux exploitations ayant presque totalement surmonté le handicap en raison de l'évolution de leur système de production, au moment de pouvoir prétendre à la retraite. / Conformément aux prévisions figurant à l'annexe M13, il apparaît que les exploitations agricoles dont les membres peuvent prétendre à la retraite, ont par la configuration différenciée de leur système de conduite technique et économique de l'exploitation presque totalement surmonté les handicaps. Aussi, afin d'éviter une surcompensation du revenu de ces exploitants par l'ICHN, le niveau de l'aide pour les exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l'âge minimum légal d'accès à la retraite à taux plein, est ramené à 13 % des montants unitaires ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 : " (...) les personnes ou groupements de personnes relevant du champ d'application du premier ou du deuxième alinéa sont considérés comme des agriculteurs actifs s'ils produisent des éléments de preuve vérifiables, selon les prescriptions des Etats membres, qui démontrent que l'une des conditions suivantes est remplie : / (...) c) leur activité principale ou leur objet social est l'exercice d'une activité agricole (...) ".
6. Il résulte des termes mêmes du programme de développement rural de la Corse cités au point 4 que la modulation à 13 % du taux de l'ICHN s'appliquant aux exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l'âge minimum légal d'accès à la retraite à taux plein repose non sur l'âge des agriculteurs mais sur la circonstance que les exploitations dont ils sont membres ont presque totalement surmonté les handicaps naturels eu égard à l'évolution de leur système de production. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de ce que le tribunal administratif se serait indûment substitué à la Cour de justice de l'Union européenne pour apprécier la légalité d'un acte des institutions européennes, l'ODARC est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la modulation était fondée sur le seul critère tenant à l'âge de l'exploitant, qui est discriminatoire.
7. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif et devant la Cour.
8. Il ressort des pièces du dossier que le GAEC C... Frères est constitué de deux associés, M. C... et son frère, et que ce dernier, né en 1954, n'avait pas atteint l'âge minimum légal d'accès à la retraite à taux plein au cours des années considérées. Par suite, le GAEC C... Frères ne pouvait être regardé comme une exploitation dont la majorité des agriculteurs dépasse l'âge minimum légal d'accès à la retraite à taux plein au sens du point 8.2.11.3.1.8 du programme de développement rural de la Corse. Est sans incidence à cet égard la circonstance qu'en application du principe de transparence des GAEC, les seuils d'aide et les plafonds des dispositifs de la politique agricole commune sont appliqués à chaque membre du groupement. De même, est sans incidence sur l'application aux GAEC de la condition tenant au dépassement de l'âge minimum légal d'accès à la retraite par la majorité des agriculteurs de l'exploitation la circonstance que le programme de développement rural de la Corse prévoit qu'un GAEC est éligible à l'ICHN avec une dégressivité de l'aide appliquée au niveau des membres éligibles du groupement selon les conditions prévues au 4 de l'article 31 du règlement (UE) n° 1305/2013, dès lors que la mesure en cause constitue non une dégressivité, mais une modulation de l'indemnité en fonction du système agricole prévue au 1 de l'article 31 du règlement. Dans ces conditions, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que l'ODARC a fait application de la modulation de l'ICHN dont le GAEC C... Frères a bénéficié au titre des campagnes 2015 et 2016.
9. Il résulte de ce qui précède que l'ODARC n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de M. C... s'agissant de l'ICHN au titre des campagnes 2015 et 2016 et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
10. D'une part, aucun dépens n'ayant été exposé dans cette instance, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. C... tendant à l'application des dispositions de l'article R. 7611 du code de justice administrative.
11. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ODARC le versement à M. C... de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'ODARC est rejetée.
Article 2 : L'ODARC versera à M. C... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office du développement agricole et rural de Corse et à M. B... C....
Copie en sera adressée au préfet de Corse et de la Corse du Sud et à la collectivité de Corse.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021, où siégeaient :
- M. Barthez, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Carontenuto, premier conseiller,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2021.
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N° 19MA00060
nc