Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 mars 2021, Mme D... C..., épouse A... B..., représentée par Me Ruffel, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 6 novembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 25 mai 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de
100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation par Me Ruffel à l'indemnité versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- les décisions refusant de lui accorder un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français sont insuffisamment motivées dès lors que le préfet de l'Hérault n'a pas examiné sa situation au regard de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- ces mêmes décisions ont été prises sans être précédées d'un examen réel et complet de sa situation ;
- elles sont entachées d'une erreur de droit dès lors que la procédure de regroupement familial n'est pas ouverte aux ressortissants étrangers déjà présents sur le territoire français ;
- elles ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 juillet 2021, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Mme C... épouse A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique du 22 février 2022 :
- le rapport de Mme Renault,
- et les observations de Me Brulé, substituant Me Ruffel, représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... épouse A... B..., ressortissante algérienne née le 19 juin 1983, relève appel du jugement du 6 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 mai 2020 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination.
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...)
5°) Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) " et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour et de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. Cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
4. Mme C..., épouse A... B..., fait valoir qu'elle a épousé, le 18 juin 2018, un ressortissant marocain résidant régulièrement en France sous couvert d'une carte de résident d'une validité de dix ans, renouvelée pour la dernière fois en 2019, père de deux enfants nés et vivant en France, issus d'une précédente union, et à l'entretien et l'éducation desquels il n'est pas contesté qu'il participe. Il ressort des pièces du dossier qu'elle vivait en concubinage depuis octobre 2017 avec cette personne, soit près de trois ans à la date de l'arrêté attaqué, et qu'ils ont eu ensemble un enfant, né en France le 21 septembre 2019. Une mesure d'éloignement prise à son encontre aurait ainsi pour effet de la priver de la vie commune avec son époux, qui a vocation à séjourner en France, et de son enfant, si celui-ci devait rester en France avec son père, ou de priver l'enfant et sa mère de la possibilité de maintenir leur cellule familiale, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être dit, la durée du séjour de son époux et les circonstances qu'il soit père de deux autres enfants d'une part, qu'il soit d'une autre nationalité que Mme C... d'autre part, ne permettent pas d'envisager une reconstitution de la cellule familiale de l'intéressée dans son pays d'origine. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué porte une atteinte disproportionnée au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale au regard des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans que puisse être utilement opposé le fait qu'elle n'a pas exécuté l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre par arrêté du 4 août 2017, après qu'a été rejetée sa demande d'asile, par décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 6 juin 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du
6 juillet 2017.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Il y a lieu, dès lors, d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté du 25 mai 2020 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours à destination de l'Algérie et a fixé le pays de destination de sa reconduite.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Compte-tenu de ses motifs l'annulation de l'arrêté contesté implique que le préfet de l'Hérault, sous réserve d'un changement de circonstance de fait ou de droit, délivre à Mme C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
7. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, en application de ces dispositions et sous réserve que Me Ruffel, avocat de la requérante, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier le versement à Me Ruffel de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 6 novembre 2020 et l'arrêté du préfet de l'Hérault du 25 mai 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme C... un titre de séjour pourtant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Ruffel une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Ruffel renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... épouse A... B..., à Me Ruffel, au préfet de l'Hérault et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience publique du 22 février 2022, où siégeaient :
' M. Badie, président,
' M. Revert, président assesseur,
' Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 8 mars 2022.
ordonn au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissier
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N° 21MA01151