Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 septembre 2017, 12 octobre et 29 octobre 2018, la SARL La Petite Plage, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 7 juillet 2017 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et des pénalités y afférentes ;
3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration ne pouvait faire application de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, faute de démonstration de l'opposition à contrôle fiscal ;
- le vérificateur a irrégulièrement emporté des documents ;
- elle peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la réponse ministérielle n° 7 511 à la question écrite de M. B..., député, publiée au journal officiel de la République française du 30 novembre 1978, selon laquelle l'emport irrégulier de documents comptables vicie la procédure même en cas d'imposition d'office ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires dite " des vins ", dont le vérificateur a fait application, repose sur une extrapolation de chiffre d'affaires à partir d'un poste de recettes sur lequel les marges sont élevées ;
- le vérificateur n'a pas tenu compte, pour reconstituer son chiffre d'affaires, de l'irrégularité de l'activité et des conséquences des sinistres subis, et notamment de la destruction des bouteilles ;
- à titre subsidiaire, seul doit être pris en compte le chiffre d'affaires réel résultant de la totalisation des tickets Z mensuels.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 septembre 2018 et le 22 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL La Petite Plage ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., substituant Me C..., représentant la SARL La Petite Plage.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL La Petite Plage, qui exerce à Juan-les-Pins une activité de restauration et de location de matelas de plage, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2008 au 30 septembre 2011. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale, après avoir écarté la comptabilité et procédé à la reconstitution du chiffre d'affaires, lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés, selon la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 74 du livre des procédures fiscales. La SARL La Petite Plage fait appel du jugement du 7 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été ainsi assujettie, ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers. / Ces dispositions s'appliquent en cas d'opposition à la mise en oeuvre du contrôle dans les conditions prévues au II de l'article L. 47 A ". Aux termes du II de l'article L. 47 A du même livre, dans sa rédaction applicable au présent litige : " En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : / a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; / b) Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, l'administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. Les résultats des traitements sont alors remis sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget ; / c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L'administration restitue au contribuable avant la mise en recouvrement les copies des fichiers et n'en conserve pas de double. L'administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification mentionnée à l'article L. 57 (...) ".
3. Il résulte de l'instruction qu'au cours de la première intervention sur place, le 6 février 2012, le vérificateur a constaté l'existence d'une caisse de marque Sharp, de type Pos Terminal UPX-500, dotée du logiciel dénommé " Chablis ", dont le gérant de la société a indiqué qu'elle avait été utilisée au cours de l'ensemble de la période vérifiée. Le 17 février 2012, le gérant a informé le vérificateur de la suppression accidentelle de l'historique de la base de données à l'issue d'une manipulation opérée le 10 février 2017. En réponse à la demande de traitements informatiques notifiée le 7 mars 2012 au représentant de la SARL La Petite Plage, ce dernier a indiqué au vérificateur, par une lettre du 8 avril 2012, ne pas être en mesure de procéder aux traitements, faute d'archivage des données. A l'issue d'un audit de caisse réalisé par les agents de l'administration le 24 avril 2012, l'absence de fichier de sauvegarde du système " Chablis " a été constaté, rendant impossible le contrôle de l'administration pour l'ensemble de la période vérifiée.
4. Le caractère accidentel de la suppression des données, laquelle résulte au demeurant d'une intervention du gérant réalisée quatre jours après le début du contrôle, n'est pas démontré par la fiche d'intervention du prestataire informatique rédigée le 10 février 2012. Si la société requérante soutient que les sauvegardes des données informatiques auraient été détruites à l'issue de " coups de mer ", elle ne produit aucun élément de nature à en justifier. Dans ces conditions, alors que l'obligation de sauvegarde de la comptabilité informatisée avait été rappelée au gérant de la société au cours d'un précédent contrôle, et que, contrairement à ce qui est soutenu, la seule présentation au vérificateur des tickets Z ne saurait en tout état de cause pallier le défaut de production de la comptabilité informatisée, les agissements du gérant de la SARL La Petite Plage doivent être regardés comme constitutifs d'une opposition à contrôle fiscal. Par suite, l'administration a pu légalement se fonder sur les dispositions combinées des articles L. 47 A et L. 74 du livre des procédures fiscales pour constater l'existence d'une telle opposition et, en conséquence, évaluer d'office les bases d'imposition de la SARL La Petite Plage.
5. En deuxième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que l'évaluation d'office des bases d'imposition de la SARL La Petite Plage résulte des seuls agissements de son gérant, constitutifs d'une opposition à contrôle fiscal. Par conséquent, la société requérante, qui s'est d'elle-même placée en dehors des règles applicables à la procédure d'imposition, ne saurait utilement soutenir que la procédure d'imposition serait irrégulière en raison de l'emport irrégulier de documents comptables.
6. En troisième lieu, si la société requérante se prévaut de la réponse ministérielle n° 7 511 à la question écrite de M. B..., député, publiée au journal officiel en date du 30 novembre 1978, cette réponse, qui traite de questions touchant à la procédure d'imposition, ne peut pas être regardée comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé des impositions :
7. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". La SARL La Petite Plage, dont les impositions ont été régulièrement établies selon la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, supporte la charge de la preuve de l'exagération de ses bases d'imposition.
8. En premier lieu, la méthode de reconstitution retenue par le vérificateur a consisté à évaluer le chiffre d'affaires de l'activité de restauration à partir du volume des vins et champagnes effectivement acquis par l'entreprise, compte tenu de la consommation moyenne réelle des clients. Dans ces conditions, la pertinence de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires mise en oeuvre par le vérificateur ne saurait être critiquée aux motifs qu'elle repose sur une extrapolation et que les marges réalisées par les restaurateurs sont importantes en ce qui concerne les alcools.
9. En deuxième lieu, eu égard à ce qui vient d'être dit, la circonstance que l'activité aurait été irrégulière en raison des sinistres survenus en fin d'année est sans incidence. Par ailleurs, la société requérante ne produit aucun élément de nature à démontrer la destruction des stocks des vins et champagnes, dans une proportion supérieure au taux de réfaction de 10 % admis par le vérificateur pour tenir compte notamment de la casse et des pertes.
10. En troisième lieu, la société requérante propose à titre subsidiaire de retenir le chiffre d'affaires résultant de la totalisation des tickets Z mensuels. Toutefois, la seule production de tels tickets et d'attestations rédigées dans le cadre de l'instance par un expert-comptable, dont il ressort que seuls ces tickets mensuels lui ont été transmis, ne permet pas de s'assurer du caractère exhaustif de l'enregistrement des recettes, alors que le vérificateur a notamment relevé qu'une partie des tickets Z quotidiens qui lui ont été présentés présentent des ruptures de numérotation et ne comportent pas le détail de certaines recettes.
11. Par suite, la SARL La Petite Plage ne rapporte pas la preuve de l'exagération de ses bases d'imposition.
Sur les pénalités :
12. Aux termes de l'article 1732 du code général des impôts : " La mise en oeuvre de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales entraîne : / a. L'application d'une majoration de 100 % aux droits rappelés ou aux créances de nature fiscale qui doivent être restituées à l'Etat (...) ".
13. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt que la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales en cas d'opposition du contribuable au contrôle fiscal a été mise en oeuvre à bon droit à l'encontre de la SARL La Petite Plage. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à contester la majoration de 100 % qui a assorti, sur le fondement des dispositions de l'article 1732 précité du code général des impôts, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les cotisations d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL La Petite Plage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SARL La Petite Plage au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL La Petite Plage est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL La Petite Plage et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2018, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,
- M. Barthez, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 décembre 2018.
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N° 17MA03863
nc