Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2019, la commune de Saint-Gervasy, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 7 mai 2019 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par M. B... en première instance ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer un non-lieu à statuer ;
3°) de mettre à la charge de M. C... B... et de M. E... F... la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif aurait dû constater le non-lieu à statuer, dès lors que l'exercice du droit de préemption a été confirmé par une délibération du 13 août 2018 ;
- la décision contestée du 13 juillet 2018 n'est pas entachée d'incompétence, dès lors que son auteur disposait d'une délégation régulière du conseil municipal ;
- le vice d'incompétence a été régularisé par la délibération du 13 août 2018 ;
- la réalité et l'antériorité du projet qui a justifié l'exercice du droit de préemption sont établies ;
- les autres moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2020, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la commune de Saint-Gervasy ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés ;
- le droit de préemption ne pouvait être exercé par la commune à la date de la signature du compromis de vente ;
- les formalités prévues à l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme n'ont pas été accomplies ;
- la décision de préemption est illégale, faute de préciser le prix proposé conformément à l'article R. 213-8 du code de l'urbanisme ;
- la décision de préemption n'est pas exécutoire, faute d'avoir été transmise au contrôle de légalité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. G...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la commune de Saint-Gervasy, et de Me A..., représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... et M. E... F... ont conclu un compromis de vente portant sur les parcelles cadastrées section AD nos 98 et 107 à Saint-Gervasy au prix de 125 000 euros. Le maire de Saint-Gervasy a préempté les parcelles en question par une décision du 13 juillet 2018. Le conseil municipal a entendu confirmer cette décision par une délibération du 13 août 2018. La commune de Saint-Gervasy fait appel du jugement du 7 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Nîmes, saisi par M. B..., a annulé la décision du 13 juillet 2018.
Sur la régularité du jugement :
2. La délibération du conseil municipal du 13 août 2018 n'a ni retiré, ni abrogé la décision du maire du 13 juillet 2018, mais vise, selon ses termes mêmes, à la confirmer. La décision du 13 juillet 2018 est ainsi restée dans l'ordre juridique pour y produire ses effets. Le tribunal administratif n'a dès lors pas commis d'irrégularité en ne prononçant pas un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. B... du fait de l'adoption de la délibération du 13 août 2018.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, (...) par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) / 15° D'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues à l'article L. 211-2 ou au premier alinéa de l'article L. 213-3 de ce même code dans les conditions que fixe le conseil municipal ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 2122-23 du même code : " Le conseil municipal peut toujours mettre fin à la délégation ". L'article L. 211-2 du code de l'urbanisme prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " Lorsque la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre / Toutefois, la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, (...) ainsi que celle de la métropole de Lyon en matière de plan local d'urbanisme, emporte leur compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain. ". Le premier alinéa de l'article L. 213-3 du même code dispose que : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l'État, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire ". Il résulte de ces dispositions que le conseil municipal a la possibilité de déléguer au maire, pour la durée de son mandat, en conservant la faculté de mettre fin à tout moment à cette délégation, d'une part, l'exercice des droits de préemption dont la commune est titulaire ou délégataire, afin d'acquérir des biens au profit de celle-ci, et, d'autre part, le cas échéant aux conditions qu'il détermine, le pouvoir de déléguer l'exercice de ces droits à certaines personnes publiques ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement à l'occasion de l'aliénation d'un bien particulier, pour permettre au délégataire de l'acquérir à son profit.
4. Par une délibération du 27 mai 2014, le conseil municipal a délégué au maire l'exercice du droit de préemption en vertu des articles L. 213-3 et L. 214-1 du code de l'urbanisme. Contrairement à ce que soutient la commune, le fait que cette délégation ait été accordée sur le fondement du 15° de l'article L. 2122-2 du code général des collectivités territoriales n'autorisait pas le maire à faire abstraction des conditions déterminées par le conseil municipal. Il est constant que la décision du 13 juillet 2018 n'a été prise ni sur le fondement de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme, ni sur celui de son article L. 214-1. La délibération du 13 août 2018 n'a pas et ne saurait avoir eu pour effet de donner rétroactivement compétence au maire pour exercer le droit de préemption au nom de la commune en dehors des cas prévus par la délibération du 27 mai 2014. Le tribunal administratif a ainsi retenu à juste titre le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 13 juillet 2018.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) // Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ". Selon le premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
6. Le maire de Saint-Gervasy a exercé le droit de préemption urbain sur les parcelles en question afin de transformer le bâtiment à usage commercial en hangar de stockage destiné au matériel des services techniques communaux. La transformation de ce bâtiment ne saurait constituer, à elle seule, dès lors qu'elles ne s'inscrivent pas dans un projet plus global relevant de l'article L. 300-1, l'une des actions ou opérations d'aménagement mentionnées par les dispositions citées au paragraphe ci-dessus. Elle ne répond en outre à aucun des objectifs définis au même article L. 300-1. Ces motifs justifient le second moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif, tiré de la méconnaissance des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Gervasy n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 13 juillet 2018 préemptant les parcelles nos 98 et 107.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Saint-Gervasy le versement de la somme de 1 500 euros à M. B... au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
9. M. F... n'est pas partie à la présente instance. M. B... n'est pas la partie perdante. Les dispositions de cet article font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune de Saint-Gervasy sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Saint-Gervasy est rejetée.
Article 2 : La commune de Saint-Gervasy versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Gervasy et à M. C... B....
Copie en sera adressée à M. E... F....
Délibéré après l'audience du 15 février 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. G..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2021.
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No 19MA03042