Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 juillet 2019 et le 18 septembre 2020, M. D..., représenté par Me H..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2016 prononçant sa révocation ;
3°) d'enjoindre à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de procéder à sa réintégration ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la décision est entachée d'erreur d'appréciation, la sanction prise à son encontre étant hors de proportion avec les fautes qui lui sont reprochées au regard du contexte dans lequel il exerçait ses fonctions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2020, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 7 août 2020, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernière lieu, au 21 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... Grimaud, rapporteur ;
- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public ;
- et les observations de Me H..., représentant M. D... et de Mme A..., représentant la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
La ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a présenté une note en délibéré qui a été enregistrée le 5 octobre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a été recruté en 1997 en qualité de magasinier des bibliothèques. Affecté à la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier, il a été exclu de ses fonctions pour six mois avec sursis de quatre mois par un arrêté du 20 mars 2011 en raison de faits d'indiscipline et de relations conflictuelles avec sa hiérarchie et ses collègues. A la suite de nouveaux conflits l'opposant à son encadrement et aux autres agents du service, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a prononcé la révocation de M. D..., sanction qu'elle a maintenue par une décision du 10 août 2017 après que l'intéressé ait présenté un recours devant la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes des dispositions de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / - l'avertissement ; / - le blâme ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. / Deuxième groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; / - le déplacement d'office. / Troisième groupe : / - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation "
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à compter du mois d'octobre 2015, M. D... s'est présenté en retard à son service, a omis de le prendre ou a indiqué à ses collègues qu'il s'en dispensait pour des motifs personnels à au moins cinq reprises et qu'il s'est, dans le même temps, abstenu à plusieurs reprises de participer aux missions de rangement des ouvrages dans les rayonnages, faits qu'il a reconnus lors d'une réunion du 12 novembre 2015 avec ses supérieurs hiérarchiques. Dans le même temps, M. D... a manifesté à plusieurs reprises une vive contestation, non seulement des modalités d'organisation du service au sein de la bibliothèque interuniversitaire, mais également du fonctionnement des instances de l'université pour des questions sans rapport direct avec ses fonctions, par des messages électroniques intempestifs au ton parfois accusateur, soit adressés à sa responsable hiérarchique directe soit, en dehors de la voie hiérarchique, aux présidents successifs de l'établissement ou à d'autres cadres de celui-ci, ces messages étant en outre à plusieurs reprises adressés en copie à de nombreux destinataires. Trois de ces messages, envoyés respectivement le 15 décembre 2015 et le 9 juin 2016 à sa supérieure hiérarchique et le 21 avril 2016 à un autre cadre de l'université, mettaient par ailleurs en cause la responsable de la bibliothèque en termes insidieux et agressifs, lui imputant notamment un manque d'impartialité et une hostilité à l'égard de l'agent inspirée par des considérations religieuses. Enfin, il ressort également des pièces du dossier que M. D... a, par son attitude envers certains de ces collègues, contribué à engendrer une atmosphère de travail empreinte de tension.
4. Les faits rappelés ci-dessus, qui ne sont pas contestés de manière formelle par M. D..., manifestent, outre un refus d'obéissance et une volonté de se dispenser de l'exécution de ses missions, une violation grave des obligations professionnelles qui pèsent sur tout fonctionnaire, notamment en termes de discipline, de respect et de courtoisie, et constituent par suite des fautes disciplinaires justifiant l'infliction d'une sanction. Ces faits sont en outre d'autant plus graves qu'ils se sont répétés pendant une période de plusieurs mois et sont du même ordre que les fautes déjà sanctionnées par la décision d'exclusion de fonctions édictée à l'encontre du requérant en mars 2011. Toutefois, si la manière de servir de l'intéressé avait été jugée perfectible lors de son stage en 1997, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une remontrance ou sanction aurait été formulée à l'encontre de M. D... entre 1998 et 2011, ni entre 2011 et 2015, l'intéressé soutenant en outre sans être contredit que ses évaluations professionnelles étaient positives en 2013 et 2014. M. D... a par ailleurs été chargé pendant une longue période de la responsabilité d'établir le tableau de service de ses collègues, fonction dont le compte rendu de la réunion du 12 novembre 2015 souligne " qu'elle pouvait contribuer à
la valorisation " du travail des agents à qui elle est confiée " en permettant de mesurer les qualités de réactivité, d'organisation, d'équité et de diplomatie ". En outre, si les interventions intempestives de M. D... par courrier électronique dans les affaires du service ou de l'université sont de toute évidence déplacées, il ressort des pièces du dossier qu'à l'exception de quatre messages électroniques au ton véhément, ces correspondances demeuraient relativement neutres et que les trois messages électroniques des 15 décembre 2015, 21 avril 2016, 9 juin 2016, en dépit du caractère inacceptable de leurs termes, ont été rédigés dans un contexte de forte tension entre M. D... et sa supérieure hiérarchique. Enfin, si l'attitude de M. D... a pu contribuer à dégrader l'ambiance de travail au sein de la bibliothèque interuniversitaire, il ressort des pièces du dossier que des modifications de l'organisation du travail et des rivalités personnelles ont pu également contribuer à cet état de fait et, alors que quatre témoignages produits par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation font état de tensions inhérentes à la présence du requérant, trois attestations émanant d'autres collègues de M. D... affirment au contraire n'avoir aucune difficulté à travailler avec lui. Les pièces produites par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation à l'appui de sa note en délibéré confirment certes le comportement agressif et déplacé de M. D... et l'exaspération de certains de ses collègues, mais le compte rendu d'entretien professionnel de l'intéressé pour l'année 2015-2016 fait aussi état, malgré les reproches qu'il formule à l'encontre du requérant, de qualités professionnelles présentées par M. D..., tandis que ces pièces font état d'autres causes de tension au sein du service.
5. Il résulte de tout ce qui précède qu'au vu de l'ensemble des pièces du dossier, M. D... est fondé à soutenir que la sanction adoptée par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation est hors de proportion avec les fautes commises, et que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er décembre 2016. Il y a donc lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 mai 2019 ainsi que cette décision .
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif pour lequel il prononce l'annulation de la décision attaquée, le présent arrêt implique la réintégration de M. D.... Il y a lieu, par suite, d'enjoindre à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de procéder à cette réintégration dans le délai de deux mois.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros demandée par M. D... au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 mai 2019 et l'arrêté ministériel du 1er décembre 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de procéder à la réintégration de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. D... une somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- Mme F... G..., présidente assesseure,
- M. E... Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 octobre 2020.
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N° 19MA03160
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